Dossier : Aux voleurs ! Nos (...)

Mise en contexte

Entretien avec Richard Le Hir

Richard Le Hir, Rémi Leroux

Richard Le Hir est un observateur attentif de la vie économique et politique québécoise. Ancien député d’Iberville, ministre délégué à la Restructuration dans le gouvernement Parizeau, il a également occupé la poste de président directeur général de l’Association des manufacturiers du Québec entre 1989 et 1994. Depuis plusieurs années, il scrute au plus près ces jeux de l’ombre qui conduisent selon lui à la dépossession de nos ressources naturelles par des compagnies privées peu scrupuleuses. Dans des chroniques documentées mises en ligne sur le site vigie.net et regroupées récemment dans l’ouvrage Desmarais, la Dépossession tranquille (Éd. Michel Brûlé), Richard Le Hir décrypte et dénonce.

À babord ! {} : Le Plan Nord et l’accès aux ressources naturelles du Québec ont considérablement aiguisé l’appétit des grands compagnies d’exploration et d’exploitation ces derniers mois. Cela se fait-il au détriment de la population québécoise ?

Richard Le Hir : Avant tout, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue dans un dossier comme celui-là, c’est l’incidence géopolitique. On est dans le domaine des richesses naturelles et des ressources stratégiques. Quand on parle d’eau, de pétrole et de minerais comme ceux qu’on est capable de trouver dans le Nord du Québec, nous sommes dans une stratégie géopolitique de haut vol. Il suffit de voir ce qu’à mis en place le gouvernement Charest pour s’en convaincre : il a fait des investissements qui s’avèrent être des cadeaux aux entreprises, aux sociétés minières, aux capitaux étrangers. Or, ce n’était vraiment pas nécessaire. Elles seraient venues de toute façon.

À quel rythme et à quel prix développer le Nord et au bénéfice de qui ? Ce ne sont pas des entreprises québécoises que l’on va aider. Il y aurait une logique industrielle à soutenir des entreprises québécoises pour qu’elles acquièrent, avec de tels investissements, une taille qui leur permette de concurrencer à l’international. Cela aurait du sens sur le plan de la logique du développement économique au Québec. Plutôt que cela, on fait des cadeaux à l’Inde et à la Chine. Je n’ai rien de particulier contre ces pays, mais je ne vois pas pourquoi on financerait leur développement.

ÀB ! : Dans ce contexte, vous estimez que Power Corporation fait partie des acteurs de l’ombre qui tire les ficelles.

RLH : Power Corporation un genre de conglomérat qui s’est développé surtout à partir des services financiers. Or, ces dernières années, avec la crise de 2007-2008 en particulier, on a bien vu qu’ils avaient atteint une limite et que le secteur des services financiers n’allait plus être aussi porteur à l’avenir. La financiarisation de l’économie est un fiasco. La mondialisation est un fiasco. Elle s’est appuyée sur les services financiers au lieu de s’appuyer sur l’industrialisation. À partir de ce moment-là, ce n’est qu’une question de temps avant que l’empire financier de Power s’écroule. Pour eux, cela devient très important de se repositionner dans d’autres secteurs de l’économie, solides, comme les richesses naturelles, afin de repartir sur des bases plus saines. Ces derniers mois, les annonces faites dans le dossier du Plan Nord ont permis de confirmer les intérêts de Power pour le secteur. Les médias ont par exemple cité le nom de la société Imerys, filiale de Pargesa, la holding suisse de Paul Desmarais et Albert Frère, un homme d’affaire belge. Imerys est une entreprise justement spécialisée dans les minéraux et métaux stratégiques ! Elle est par ailleurs cliente de Total, société dont Pargesa détient également des parts importantes.

ÀB ! : Vous soulignez également les liens entre la Caisse de dépôt et placement du Québec et la transnationale Talisman Energy, spécialisée dans l’exploration et l’extraction du gaz de schiste. Power est-il également en coulisses ?

RLH : Depuis quelques années, la Caisse de dépôt investit dans Talisman Energy des millions de dollars. On joue avec la sécurité financière des Québécois. Or, qui pousse à ces investissements ? Desmarais. Sa proximité avec Michel Sabia, président de la CDP est connue. Sans compter que Talisman est également l’employeur de Lucien Bouchard, l’ancien Premier ministre québécois devenu porte-parole de l’Association pétrolière et gazière du Québec… Tous ces intérêts sont liés.

ÀB ! : Selon vous, nous ne sommes pas passés loin d’une privatisation d’Hydro-Québec. Une opération à laquelle Power Corporation ne serait pas totalement étrangère…

RLH : Au cours de ma carrière professionnelle, j’ai occupé des postes de responsabilités assez élevés dans l’industrie, l’industrie pétrolière, le secteur énergétique. J’ai eu à me familiariser avec l’ensemble de la politique énergétique du Canada, d’un bout à l’autre du pays. Alors quand le gouvernement du Québec a annoncé l’imminence d’une transaction entre Hydro-Québec et Énergie Nouveau-Brunswick en 2009, par laquelle Hydro-Québec allait se porter acquéreur d’Énergie N-B, la chose m’a semblé bien étrange. Je ne voyais pas du tout la logique ni commerciale, ni industrielle ni même économique de cette transaction. Connaissant fort bien les milieux d’affaires du Nouveau-Brunswick, des Provinces Atlantiques de façon générale, et leur farouche indépendance vis à vis du reste du Canada, je me doutais bien que cela n’allait pas passer comme du beurre dans la poêle. D’autant plus que ces provinces là n’ont pas beaucoup de sièges sociaux. En perdre un aussi gros, qui se serait retrouvé à Montréal, c’était une perspective peu réjouissante. Le temps de le dire, on a donc assisté à une levée de bouclier pour faire avorter le projet.

Si Hydro-Québec achetait Énergie N-B, elle cessait d’être une entreprise purement provinciale pour devenir une entreprise interprovinciale, donc la compétence sur les entreprises glissait entre les mains du gouvernement fédéral. Ce qui aurait considérablement réduit l’intérêt pour le Québec de conserver la propriété de l’entreprise et aurait en fait constitué une ouverture vers sa privatisation. Je me suis mis à regarder qui avait intérêt à ce que la transaction se fasse. Très rapidement, j’ai bien vu que les seuls qui avaient la surface financière et les réseaux d’influence pour défendre une telle stratégie, c’était Desmarais, c’était Power Corporation. En regardant les autres transactions réalisées au fil des ans pour se positionner dans le secteur de l’énergie, c’était tout à fait cohérent. Il ne faut pas non plus oublier que, depuis 2004, Michel Plessis-Bélair, vice-président du conseil d’administration de Power Corporation, siège au conseil d’Hydro-Québec…

ÀB ! :Autre dossier sensible : l’Île Anticosti. Le Québec peut-il résister à l’appétit du privé pour son sous-sol gorgé de pétrole de schiste ?

RLH : L’arrivée au pouvoir du Parti québécois va très probablement conduire à un moratoire sur l’exploitation du pétrole de l’île d’Anticosti. Comme ce sera le cas pour le gaz de schiste, tant et aussi longtemps que l’innocuité des procédés d’exploitation ne sera pas démontrée. Dès la fin des années 70, on avait identifié des ressources pétrolières en Gaspésie, par l’intermédiaire de la Société québécoise d’initiative pétrolière (SOQUIP). Mais à l’époque, le forage vertical était la principale technologie. Il était donc impossible de déceler des quantités exploitables en utilisant une telle technologie. L’exploration a cependant toujours ciblé la même région : le bassin géologique qui avait été identifié comme favorable autour de Gaspé. A partir du moment où les techniques du forage horizontal et de stimulation des puits ont été développées, la donne a complètement changé. La nouvelle situation a laissé apparaître des gisements très importants. On parle de dizaines de milliards de barils.

Lorsque, début 2011 les libéraux ont confirmé qu’ils mettaient fin à leur programme d’exploration pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent et en particulier sur l’île d’Anticosti, je me suis posé des questions. Mes soupçons se sont renforcés lorsqu’on a appris qu’Hydro-Québec avait cédé ses permis d’exploration de l’île à la société Petrolia, donc au privé, dans des conditions parfaitement opaques. Nous ne savons toujours pas aujourd’hui quelle a été la contrepartie de cette entente mystérieuse. Ce que l’on sait par contre, c’est que la surface financière de Petrolia n’est pas énorme. Elle fait office de société « junior » dans le monde pétrolier. Pourtant, en y regardant de plus près, on décèle la présence de Power Corporation.

ÀB ! :Comment se traduit cette présence ?

RLH : Comme il le fait tout le temps, Paul Desmarais avance masqué. Via des sociétés écrans et des amis. On retrouve par exemple Loïc Le Floch-Prigent à la tête de Pilatus Energy AG, une société actionnaire de Petrolia. Paul Desmarais connaît très bien Loïk Le Floch-Prigent, du temps où se dernier dirigeait les sociétés françaises GDF et Elf-Aquitaine. Même si avec le personnage, Desmarais a vite senti que cela sentait le soufre. Cela passe désormais par l’intermédiaire de Bouygues, géant français des travaux publics dont les dirigeants, très proches de Paul Desmarais, ont investis dans Petrolia.


ÀB ! : Le départ de Jean Charest et l’arrivée au pouvoir du Parti québécois vont-ils changer la donne ?

RLH : Il est fort probable que la situation va évoluer maintenant que le PQ même minoritaire, est au pouvoir. La nomination de Daniel Breton comme Ministre de l’environnement est un signe fort. Vous pouvez être certain qu’il va y avoir un grand ménage de fait. Ensuite, il faudra déclencher des commissions d’enquête pour savoir ce qui s’est passé à Hydro-Québec et à la Caisse de dépôt ces dernières années.

NDLR : La surface financière d’une entreprise renvoie à son patrimoine net et à l’importance de celui-ci. La notion de surface financière permet ainsi une appréciation de la capacité de l’entreprise de financer ses investissements et d’honorer ses engagements financiers.

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