Dossier : Cégeps – 50 ans d’existen

Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence

Un demi-siècle de réformes

Petite histoire politique

Pierre Avignon

Le 29 juin 1967, la Loi sur les collèges d’enseignement général et professionnel était sanctionnée, mettant ainsi en œuvre l’une des propositions les plus originales du rapport Parent. L’idée semble assez consensuelle pour se concrétiser sous un gouvernement dirigé par l’Union nationale, qui vient de prendre la place des libéraux de Jean Lesage. Cinquante ans plus tard, on peut cependant constater que l’institution n’a pas cessé d’être remise en cause au fil des décennies.

Pour comprendre les réformes successives ayant affecté les cégeps, il faut les replacer dans leur contexte social respectif, car les changements de politiques éducatives sont non seulement le résultat des rapports de force entre les acteurs, mais également le reflet de changements démographiques, technologiques ou économiques. On peut ainsi identifier deux grandes périodes de transformation : celle de la mise en œuvre de l’État-providence durant les années 1960, puis sa remise en question avec la montée du néolibéralisme à partir des années 1980.

De la réforme Parent à la réforme Robillard

Alors que dans les années 1960 les pays occidentaux font face à une croissance démographique importante et à une demande de démocratisation des institutions publiques très forte, les années 1980 marquent le début d’une période de décroissance démographique, de croissance des inégalités et d’un accroissement de la concurrence internationale. Bien que ces changements, qui influenceront l’évolution des cégeps, s’effectuent progressivement, le contraste est marquant lorsque l’on analyse les discours politiques qui accompagnent ces réformes [1]. En 1978, le ministre de l’Éducation Jacques-Yvan Morin met ainsi l’accent sur le rôle social et culturel des cégeps, visant l’égalité des chances et le vivre ensemble. La ministre Lucienne Robillard mettra pour sa part davantage l’accent, dans les années 1990, sur l’adaptation au marché du travail.

La proposition initiale de mettre en place les cégeps vise notamment à favoriser l’accès à l’enseignement supérieur pour une jeune génération revendiquant plus de justice sociale. C’est en réunissant dans toutes les régions du Québec des étudiant·e·s de la formation préuniversitaire et technique et en leur offrant une formation générale commune que les cégeps trouveront toute leur originalité.

C’est également cette spécificité qui constituera une tension continue entre formation générale et spécialisation, malgré l’équilibre proposé à l’origine par les commissaires. Afin de favoriser une éducation humaniste, il fut en effet recommandé de diviser les études collégiales en trois domaines occupant un temps d’enseignement équivalent :

1. Le partage d’une culture commune (cours obligatoires).

2. La découverte de nouveaux domaines de connaissance favorisant l’orientation (cours complémentaires).

3. La formation spécifique donnant accès au marché du travail (cours de concentration).

Cette formule ne fut pourtant jamais appliquée et, dès le départ, les cours complémentaires seront relégués au second plan. Leur place dans le cursus collégial diminuera d’ailleurs réforme après réforme, pour ne représenter aujourd’hui que 4 unités sur environ 30 unités au préuniversitaire et 50 au secteur technique. De plus, afin de rendre obligatoires des cours d’anglais, le gouvernement supprimera un cours de philosophie en 1993.

Ce sera d’ailleurs cette année-là que la loi sur les cégeps connaîtra sa plus grande transformation avec la réforme Robillard. Décentralisation dans l’élaboration des programmes, approche par compétences et adaptation de la formation générale sont au cœur des changements proposés. Plusieurs de ces thèmes seront également présents lors des débats entourant les modifications apportées par la réforme Marois en 1997, par la réforme Legault en 2002 ou lors du Forum sur l’avenir de l’enseignement collégial organisé par le ministre Reid en 2004.

La nouvelle gestion publique au coeur des réformes de l’État néolibéral

Le « management totalitaire », comme le qualifie Alain Deneault, a par ailleurs favorisé l’intégration, dans l’administration des services publics, des manières de faire de l’entreprise privée, dont le clientélisme, l’évaluation, la mise en concurrence, la sous-traitance et l’approche par résultats. Dans le réseau collégial, cela s’est notamment traduit par les plans de réussite, l’apparition de fondations, l’augmentation des frais afférents pour les étudiant·e·s, mais aussi par une forme de commercialisation de plus en plus importante, entre autres du secteur de l’éducation des adultes. Outre la pression pour augmenter les sources de financement privé, les modes de gouvernance ont également évolué. Le plus marquant est sans doute le basculement, au sein des conseils d’administration, d’une majorité des membres issue de l’interne du cégep vers une représentation majoritairement externe. Ce virage, provenant aussi de la réforme Robillard, a notamment été rendu possible par l’ajout de représentant·e·s des entreprises au détriment du personnel enseignant. Un autre symbole important de ce nouveau modèle de gestion sera sans aucun doute l’apparition de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial, en 1993, ainsi que son récent engouement pour l’assurance qualité [2].

La décentralisation des pouvoirs vers les collèges a quant à elle été accompagnée d’une augmentation des mesures d’évaluation à la fois pour les collèges, le personnel, mais aussi pour les étudiant·e·s (épreuves uniformes, épreuves synthèses, etc.). Pourtant, hormis le fait d’augmenter la pression sur tous les acteurs du réseau et de mobiliser des ressources administratives, ces mesures ne semblent pas avoir eu d’impact sur les parcours étudiants, mise à part une différenciation toujours plus grande d’un cégep à l’autre… favorisant la mise en place d’un « quasi-marché » ; un concept développé par plusieurs sociologues de l’éducation pour décrire la mise en concurrence des établissements publics.

Malgré ces changements, les critiques se poursuivront, entre autres de la part de la Fédération des commissions scolaires en 2003, puis de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec en 2014 qui alla même jusqu’à prôner l’abolition des cégeps ! Plus récemment, le caractère obligatoire des cours de formation générale a été remis en question dans le rapport final sur l’offre de formation collégiale [3]. Pourtant, la pertinence de ce réseau unique au monde a été maintes fois démontrée, par exemple avec sa capacité de permettre à des jeunes de toutes les régions de poursuivre leurs études. Ainsi, depuis 1967, le taux d’accès à l’enseignement postsecondaire est passé de moins de 20٪ à plus de 60%.

Vers la prochaine réforme...

La ministre responsable de l’Enseignement supérieur Hélène David pilote actuellement une nouvelle réforme du réseau collégial dans laquelle l’assurance qualité et la valorisation des formations courtes et des besoins des entreprises ont la part belle. On se situe dans la continuité des réformes des dernières décennies. Il nous faudra donc continuer de rappeler l’importance de mettre en avant la coopération, le financement public, l’accessibilité et la culture générale afin de maintenir le projet de société qui sous-tendait la mise en place du réseau collégial avec ses notions d’égalité des chances et de justice sociale, tel que défini par les rédacteurs du rapport Parent.


[1Mélanie Bourque et Pierre Avignon, « Le recours aux commissions d’enquête et aux groupes de travail dans les secteurs de la santé et des services sociaux et de l’éducation : 1960-2014 », Bulletin d’histoire politique, vol. 23, no3, printemps 2015.

[2Lire à ce sujet Fanny Theurillat-Cloutier, « Cégeps : la pathologie managériale », À bâbord !, no 67, décembre 2015 – janvier 2016. NDLR.

[3Thierry Karsenty, « Quelle est la pertinence pour la formation générale ? », CRIFPE, septembre 2015. Disponible en ligne.

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