Natasha Kanapé Fontaine
Nanimissuat Île-tonnerre
Natasha Kanapé Fontaine, Nanimissuat Île-tonnerre, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, 80 pages.
L’été dernier, il a été question des pièges et devoirs inhérents à la représentation, entre autres, des peuples autochtones et de leurs récits. Quelques mois plus tôt était lancé ce quatrième recueil de la poète, militante et comédienne qui évoque justement la mémoire à reconstruire. Cette quête de vérité et de mémoire est présentée comme point de départ dans le prologue : « Un grand vide se creuse d’une génération à l’autre. Lorsque le récit n’est pas raconté, il y a privation. » Il était question de ce fossé quand, dans une capsule vidéo, la poète évoquait que plusieurs jeunes des communautés autochtones n’étaient pas au courant, par exemple, de l’expérience traumatisante vécue par leurs parents dans les pensionnats. C’est peut-être de ce vide dont il est question dans le recueil, mais surtout de cette façon dont certains récits sont effacés, dont certaines mémoires se perdent parfois même dans le contexte familial. Deux vers simples et chargés surgissent en éclairs et jettent une lumière sur l’enjeu à l’œuvre dans le recueil : « Je ne sais pas parler aux étrangères / Qui m’habitent. » Transparaît alors une tension entre le familier et l’inconnu, une part d’indicible du traumatisme intergénérationnel. À ce titre, la table des matières agit presque comme un poème en identifiant le je successivement, entre autres, à la grand-mère, la mère et la fille. On chemine à travers les générations vers le souvenir effacé et ce cheminement est laborieux.
L’auteure évoque le périple dans le souvenir par l’image du corps des narratrices blessées, épuisées dans la marche et la nage et par celui des femmes oubliées « Un défilé de mortes / danse l’agonie […] / Chaque coup de pagaie / Est une injure / Au ciel incarnat ». On y décrit tel un océan opaque, hostile, le territoire du souvenir. Cet océan trouble n’est pas seulement celui des femmes autochtones. La poète lie leur récit avec celui, plus global, de femmes dont l’histoire est effacée : « Nous sommes mortes / Ensevelies / Nous sommes des pluies diluviennes / De migrantes / D’assassinées / De disparues (…) Nous sommes de tous les continents ». Le destin des femmes autochtones disparues ou assassinées est ainsi inscrit avec celui des migrantes, des réfugiées, dont l’histoire aussi est tue, cachée, réduite aux statistiques.
De la quête mémorielle intime surgit donc un nouveau projet clair et global : « Allez et revenez / Procréer / Avec le ciel / La prochaine terre / À donner aux sans-pays ». Kanapé Fontaine propose un havre, une Île, pour les sans-pays et toutes celles dont la trace risque de s’éteindre. Dans la foulée des dialogues qui ont surgi au cours de l’été dernier, il est crucial de donner place à ces récits et aux voix des principales concernées. La poésie de Natasha Kanapé Fontaine, lucide et lyrique, fiévreuse, en est une excellente porte d’entrée.