Mini-dossier : Action communautaire

Mini-dossier : Action communautaire autonome

Vers une réappropriation de notre action politique

Caroline Toupin

Dans un contexte d’épuisement et de sous-financement, il est plus que jamais important de rappeler que l’action communautaire autonome est un mouvement social et politique qui doit être proactif dans la construction d’un contre-discours fort.

On connaît d’abord les organismes communautaires pour leurs services de proximité basés sur les besoins des gens (logement, pauvreté, toxicomanie, réinsertion sociale, etc.). Mais au-delà des services directs qu’ils offrent à la population, les organismes apportent quelque chose d’encore plus important à la société : la participation citoyenne et la transformation sociale. À partir d’un problème individuel de surendettement, par exemple, une personne prendra conscience qu’elle n’est pas seule à vivre pareille situation. Cela pourra la conduire à se mettre en action pour modifier ces conditions de vie. À partir d’une expérience personnelle, on peut contribuer à trouver des solutions globales et entreprendre des actions collectives visant à améliorer les lois et les protections sociales. C’est de cette manière que les gens des communautés de toutes les régions ont façonné le Québec et inspiré les politiques sociales dont nous bénéficions tous et toutes aujourd’hui.

Des gens qui ont façonné le Québec

L’exemple des cliniques populaires, comme la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles qui fête ses 50 ans cette année, a marqué tout le Québec en inspirant le réseau des centres locaux de services communautaires (CLSC). Les organismes communautaires ont été parmi les premiers à offrir des services juridiques aux gens qui n’en avaient pas les moyens, ce qui a inspiré le service d’aide juridique que nous connaissons aujourd’hui. Ce sont les garderies populaires qui ont inspiré le modèle des centres de la petite enfance (CPE) dans les quartiers défavorisés. Est-ce que les conjoint·e·s de même sexe auraient pu se marier et constituer des familles sans les luttes LGBTQ2 ? Est-ce qu’il y aurait eu des logements sociaux sans l’action des locataires ? Est-ce qu’on aurait obtenu l’équité salariale sans la lutte des femmes ? Est-ce qu’on parlerait de racisme systémique actuellement sans les luttes menées par les personnes racisées et les Autochtones ? Cela fait plus de 50 ans que les communautés s’impliquent, de manière innovante et créative, dans la résolution des problèmes sociaux afin d’améliorer leurs droits et leurs conditions de vie. Existe-t-il une seule politique sociale qui n’a pas été inspirée ou influencée par des revendications populaires ?

La dépolitisation du communautaire

Si, depuis plus de 50 ans, les mouvements populaires et communautaires ont largement contribué à influencer les politiques sociales au Québec, force est de constater que cette influence s’est largement effritée. Les politiques néolibérales des vingt dernières années, se traduisant principalement par un désengagement de l’État, ont provoqué des transformations profondes non seulement au sein de la société, mais également au sein du mouvement communautaire lui-même. L’une des conséquences de cette longue ascension de la gouvernance néolibérale se fait sentir dans l’essence même de l’action communautaire autonome amenant progressivement l’État à imposer sa vision utilitariste des organismes communautaires. Nous constatons aujourd’hui que cette influence a été intériorisée au sein même des organismes, qui se perçoivent de plus en plus comme des prestataires de services plutôt que comme des agents de transformation sociale. Ce n’est pas étonnant, car les besoins exprimés par la population sont grandissants dans un contexte de coupe dans les services publics et les programmes sociaux. Pour combler ces besoins et pallier ainsi les carences étatiques, les organismes ont été amenés à développer davantage leurs services à la population, ce qui a entraîné un déficit de temps, d’énergie et d’argent à consacrer à leur travail d’action politique et de mobilisation sociale. Nous observons ainsi que le mouvement communautaire n’est plus la locomotive du progrès social qu’il a déjà été. Le travail des quinze dernières années a plutôt consisté à tenter de sauvegarder les acquis et à empêcher la machine néolibérale de percer le filet social. Face à la croissance des inégalités sociales, économiques et politiques, il est évident que la voix communautaire, c’est-à-dire celle des personnes touchées par les différents problèmes sociaux, n’est plus autant entendue.

L’influence des fondations caritatives

Alors que la société civile et les gens impliqués dans les organismes communautaires perdent de l’influence en matière de politiques sociales, celle des gens fortunés est en pleine ascension. En effet, les acteurs et actrices de la nouvelle philanthropie, qui se perçoivent davantage comme des « investisseurs sociaux », se sont positionné·e·s sur l’échiquier politique comme les sauveurs et sauveuses des politiques sociales permettant ainsi à l’État de se désengager davantage. Appliquant la logique du marché et un mode de gestion s’inspirant du milieu des affaires, les philanthropes se considèrent comme plus aptes que l’État ou la société civile à résoudre les problèmes sociaux. De plus, comme ces personnes partagent la même vision du désengagement de l’État en matière de politiques publiques, elles n’ont aucun mal à obtenir du financement public pour leurs initiatives sociales. Toutefois, ne possédant souvent pas l’expertise du terrain et la proximité nécessaires avec les gens de la communauté pour réaliser leurs projets, elles font appel aux organismes communautaires pour livrer leurs services selon des orientations bien précises qu’elles ont préalablement déterminées, et ce, sans l’apport de la communauté. Ainsi, plutôt que de financer directement les organismes pour des services qui existent déjà, l’État préfère financer les fondations philanthropiques pour créer des services similaires. Par exemple, les millions investis dans les cliniques de pédiatrie sociale du Dr Julien, en plus de coûter beaucoup plus cher que nos CLSC, viennent dédoubler tout le travail social que font les organismes communautaires depuis des décennies alors que ceux-ci croulent sous le poids du manque de financement.

Des organismes pour les communautés

Nous constatons également que les grandes fondations, les ministères et les municipalités, qui constituent les principaux bailleurs de fonds des organismes, tentent de plus en plus d’imposer leurs propres orientations, services et mode de gestion dans les organismes communautaires. Il s’agit ni plus ni moins de tentatives d’appropriation de la réputation et de l’expertise des organismes afin d’en faire des entreprises sociales répondant aux besoins et aux priorités de ces bailleurs de fonds. Rappelons que les organismes communautaires ne sont ni des entreprises ni des sous-traitants. Ils n’appartiennent ni aux fondations, ni au gouvernement, ni aux municipalités. Ils appartiennent aux communautés qui les administrent avec diligence et transparence depuis plus de 50 ans. Cette volonté d’orienter et de contrôler les organismes provoque malheureusement une perte de l’exercice démocratique et une détérioration du pouvoir des citoyen·ne·s sur leur avenir et sur leur communauté. À long terme, c’est la société qui sera la grande perdante en se privant de la vitalité et de la créativité des gens de ses propres communautés.

N’oublions pas que l’approche d’intervention communautaire, basée sur l’action collective, a fait ses preuves au cours des dernières décennies. D’autant plus lorsque nous faisons face à des gouvernements qui tentent de s’approprier notre action, qui cherche à rentabiliser la pauvreté et qui affaiblissent notre filet social par la mise en place de politiques rétrogrades. Cette action politique ne peut pas se faire sur une base individuelle. Une personne seule arrivera difficilement à défendre ses droits, mais avec la collectivité, elle sera plus forte et son action permettra d’apporter une réelle transformation sociale. Opérer des changements durables chez les individus et dans la société prend du temps et ne se mesure pas à l’aide d’indicateurs de performance. Si notre approche fonctionne, c’est parce qu’elle est ancrée dans les vrais besoins des gens et qu’elle s’opère grâce à une réelle prise en charge collective des problèmes sociaux. Il est aujourd’hui crucial de redonner un sens à cette action et de renouer avec les bases et les racines du mouvement, c’est-à-dire l’éducation populaire et la défense collective des droits.

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