Mettre en scène la désobéissance

Dossier : Perturbations à prévoir

Dossier : Perturbations à prévoir

Mettre en scène la désobéissance

Elza Kephart

Hormis les manifestations auxquelles j’ai participé et des pétitions que j’ai signées, je ne me suis jamais engagée dans le mouvement environnementaliste. Je suis cinéaste de métier et j’ai toujours œuvré dans ce milieu. Après avoir entendu parler d’Extinction Rébellion (XR) en novembre 2018, s’est imposée à moi de façon fulgurante l’idée de désobéissance civile pour faire face à l’enjeu existentiel du changement climatique. Je suis alors devenue une des fondatrices du mouvement XR au Québec.

Une fois le mouvement bien ancré, j’ai intégré le groupe Tactique, responsable de l’organisation d’actions. En tant que cinéaste, je suis habituée à monter des projets avec une équipe. L’organisation d’actions a ainsi été pour moi un enchaînement naturel. Une action est semblable à une pièce de théâtre, à une mise en scène : tout l’horaire est pensé en fonction du moment décisif qu’est la « première » ; il faut trouver du financement, monter une équipe, élaborer la mise en scène (costumes, lieu, visuel), créer une structure narrative (chaque action a son début, son milieu et sa fin) ; trouver des actrices et acteurs (les activistes, la police), et un public, public qui peut parfois se muer en participant, à son insu ; par les répétitions on s’assure que tout le monde connaît son rôle et le déroulement de l’action ; enfin, il faut collaborer avec l’équipe média, car la presse doit être au rendez-vous pour la « première » qui est aussi, bizarrement, la « dernière ».

Viennent ensuite les critiques : « Quoi un pont, vous êtes fous ! ». « Bravo le pont, excellent !  ». Tout le monde est critique, mais c’est le but : nous forçons le débat au sein de la société civile, ce qui incite les gens à se questionner, comme toute œuvre d’art réussie. (Je dois préciser que je n’ai pas coordonné l’action du pont Jacques-Cartier ; pour la sécurité juridique des personnes ayant assuré la coordination, nous ne révélons pas les actions qu’elles ont coordonnées, car elles peuvent faire face à des accusations de complot).

Bien que j’aie réalisé trois longs métrages de fiction, ce qui est en soi une occupation stressante, je n’ai jamais encore eu autant de pression qu’en coordonnant une action de désobéissance civile. Cette pression est énorme : insomnie, accrochages avec nos collègues, changements de dernière minute, etc. L’action ne se déroule presque jamais comme nous l’avions planifiée. Il faut donc pouvoir s’adapter à tout moment aux circonstances mouvantes de ce théâtre vivant. J’ai également appris qu’il est d’importance primordiale de se reposer à la suite d’une action pour se régénérer, pour refaire ce plein d’énergie qu’exige la créativité.

Quelques semaines plus tard, une autre idée d’action me vient en tête et je n’ai qu’une envie, c’est de la réaliser (pourvu qu’elle s’inscrive dans la stratégie de XRQC). Une chose est claire : je crois profondément que la désobéissance civile est ce dont notre société a besoin pour forcer les gouvernements à agir en conformité avec l’urgence de répondre à la catastrophe climatique à laquelle toutes les populations du globe sont confrontées.

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