30 ans de résistance à l’homophobie. La descente policière au Sex Garage

No 083 - mars 2020

Mémoire des luttes

30 ans de résistance à l’homophobie. La descente policière au Sex Garage

André Querry

En 2020, on soulignera le 30e anniversaire de la descente policière qui a eu lieu lors d’une fête privée surnommée « Sex Garage ». Cette soirée rassemblait des membres de la communauté LGBTQ+ et fut ruinée par une intervention policière musclée et parsemée de propos homophobes. D’autres arrestations eurent lieu lors de manifestations qui suivirent cette intervention policière. Ces événements de l’été 1990 ont été déterminants dans l’obtention de véritables gains juridiques et sociaux pour les membres de la communauté LGBTQ+.

On considère généralement que l’adoption du « bill omnibus » le 27 juin 1969, soit la veille des émeutes de Stonewall, est le premier jalon vers la reconnaissance de droits pour les LGBTQ+. Le projet de loi, qui avait été déposé en décembre 1967, modifiait les articles 147 et 149 du Code criminel. L’article 147 fait référence à la sodomie et à la bestialité, tandis que l’article 149 vise « un acte de grossière indécence avec une autre personne  ». Les modifications apportées par le bill omnibus précisaient que ces deux articles ne s’appliquaient « à aucun acte commis dans l’intimité […] entre deux personnes dont chacune est âgée de 21 ans et plus, qui consentent, toutes les deux, à l’accomplissement de l’acte ». C’est lors du débat sur ce projet de loi que Pierre-Elliot Trudeau, alors ministre de la Justice, avait déclaré que l’État n’avait rien à faire dans la chambre à coucher des gens.

Si l’État canadien n’avait plus rien à y faire, cet État allait quand même continuer à pourchasser durant les décennies suivantes les personnes de la communauté LGBTQ+ dans les lieux publics et les milieux de travail, les brimant notamment dans la fonction publique fédérale, dans l’armée et même dans les compagnies sous-traitantes. Le gouvernement canadien avait aussi subventionné une « machine » qui devait aider à détecter les homosexuels… (La Presse, 24 avril 1992).

Arrestations et meurtres se multiplient

En décembre 1977, une modification de la Charte québécoise des droits de la personne permet d’ajouter l’orientation sexuelle parmi les motifs illicites de discrimination. Cet amendement à la Charte était une revendication de la communauté LGBTQ+ depuis des années et fut adopté à la suite d’une série de descentes policières dans les bars et saunas avant les Jeux olympiques de 1976 (trois descentes et plus de 157 arrestations) et après la descente policière au bar le Truxx le 21 octobre 1977 (s’étant soldée par 145 arrestations). C’est dans ce contexte que naît l’Association pour les droits de la communauté gaie du Québec.

Lors de la descente du Truxx, 50 membres de l’escouade tactique, dont deux armés de mitraillettes, firent irruption dans le bar et procédèrent à l’arrestation des clients pour les inculper d’avoir fréquenté une maison de débauche. Selon la Gazette du 24 octobre 1977, un policier a expliqué : « Il y a présentement une épidémie de vols à main armée commis par des homosexuels… quelques-uns de ces bandits pouvaient se trouver dans ce club de nuit et cela nécessitait l’assistance de l’escouade tactique. »

Malgré tout, les descentes policières vont continuer au cours des années 1980, dans des endroits privés et des bars, dont la descente au bar Chez Buds en juin 1984 avec 188 arrestations, pour un total de plus de 400 arrestations en 10 ans.

À la fin de cette décennie, une série de meurtres et d’attaques contre des membres de la communauté LGBTQ+ commence en mars 1989 avec l’assassinat de Joseph Rose par de jeunes skinheads néonazis. Puis, le 12 janvier 1990, une bande d’une vingtaine de skinheads attaque des usagers près du métro Beaudry, les traitant de « fifis » avant de les attaquer. C’est le début d’une longue liste de meurtres contre des gais – quatorze en tout en moins de trois ans.

Arrive enfin l’été 1990 et sa crise d’Oka, avec la mort du caporal Marcel Lemay le 11 juillet, événements qui domineront l’actualité et mettront en cause l’action des corps policiers.

La goutte de trop

Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1990, une intervention policière a lieu dans une fête privée regroupant principalement des membres de la communauté LGBTQ+. Cette intervention dite « du Sex Garage » se conclut par une évacuation violente des lieux, doublée de quelques arrestations. Selon l’article de La Presse du 16 juillet 1990, des membres du SPVM ont proféré des grossièretés visant de façon évidente l’orientation sexuelle des participants et participantes. Ils simulaient des gestes vulgaires avec leurs matraques en traitant, entre autres, les gens de tapettes.

Rapidement, une riposte est organisée pour le soir même : une petite manifestation de 200 personnes qui bloquent pendant quelques heures l’intersection Sainte-Catherine et Amherst (rebaptisée depuis Atateken). Le lendemain, le 16 juillet, un « kiss-in » est organisé devant le poste de police 25, responsable de la descente du Sex Garage. La manifestation se termine par l’arrestation musclée de 48 personnes. Plusieurs des policiers et policières avaient pris soin d’enlever leur matricule d’identification et d’enfiler des gants de latex.

D’autres manifestations seront organisées les jours suivants devant le poste de police 25 et une grande manifestation est proposée pour le 29 juillet 1990. Un comité d’organisation de la manifestation est formé. Le 16 juillet en soirée, une centaine de personnes participent au comité d’organisation dans les locaux du Centre communautaire des gais et lesbiennes de Montréal. Une participation diversifiée : des hommes, des femmes, des anglophones, des francophones, des personnes de tous les âges, les gens de Act-Up, etc., uni·e·s par leur désir d’organiser la réplique à l’homophobie et à la répression.

Plus de 2000 personnes participent à cette manifestation. Ça semble peu, mais pour l’époque c’était énorme et inédit pour un enjeu comme celui-là. L’année suivante une manifestation était organisée pour souligner le 1er anniversaire de la manifestation, une autre pour le 2e anniversaire. C’est de la commémoration de cette manifestation qu’est finalement née Divers/Cité en 1993, avec des défilés qui attireront des dizaines de milliers de personnes chaque année.

En réponse à cette mobilisation et devant la recrudescence de la répression, des attaques et des meurtres contre les personnes de la communauté LGBTQ+, la Table de concertation des gais et des lesbiennes de Montréal est fondée. Le Comité sur la violence de la Table deviendra le fer de lance de la lutte pour l’égalité des droits et dénoncera l’inaction des autorités contre la discrimination, les attaques et les meurtres. Et il ne fera pas toujours dans la dentelle (contrairement au stéréotype du mouchoir de dentelle associé aux gais) ; il fera des mémoires, des conférences de presse, mais aussi des manifestations.

Naturellement, les militantes et militants sont vus comme des extrémistes. Le SPVM prétendait ne pouvoir rien faire contre les meurtres : « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Mes hommes ne fittent pas dans cette clientèle-là », affirme le lieutenant-détective Yvan Gaudreau au mois de janvier 1992.

Au mois de décembre 1992, le Comité sur la violence de la Table de concertation des lesbiennes et gais du Grand Montréal demandait à la Commission des droits de la personne du Québec de tenir une enquête publique sur la violence et la discrimination faites aux membres de cette communauté. Cette demande était acceptée quelques jours plus tard et les audiences eurent lieu du 15 au 22 novembre 1993. Le rapport final, « De l’illégalité à l’égalité », fut publié en mai 1994.

C’est dans ce cadre que j’ai eu l’honneur de présenter le mémoire du Comité contre le racisme d’Hochelaga-Maisonneuve, mémoire qui est cité à plusieurs occasions dans le rapport final de la Commission. Ce mémoire me sert encore 26 ans plus tard…

Depuis 30 ans les choses ont évolué : la reconnaissance des conjoint·e·s de même sexe a été obtenue, l’armée canadienne participe aux défilés de la Fierté, de plus en plus de publicités, de films, d’émissions incluent des couples de même sexe. Toutefois, je reste sur mes gardes. J’observe ce qui se passe dans le monde ; même dans des pays comme la France et les États-Unis, il y a encore des reculs et des campagnes anti-LGBTQ+.

Et si on regarde dans notre propre cour, on constate le sans-gêne avec lequel la droite canadienne affiche sa morale rétrograde. On aperçoit ici les mouvements d’extrême droite, leurs propos haineux, leurs marches hostiles dans le Village... Non, rien n’est jamais totalement acquis !

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