Jean-Denis Garon et Alain Therrien
Le prédateur et l’imposteur. La politique économique selon Jean Chrétien et Paul Martin
lu par Raymond Favreau
Jean-Denis Garon et Alain Therrien, Le prédateur et l’imposteur. La politique économique selon Jean Chrétien et Paul Martin, Éditions Michel Brulé, Montréal, 2007.
De prime abord le lecteur apprécie la critique détaillée que font les auteurs [1] de la réforme de l’assurance-chômage, qu’ils qualifient d’odieuse, et que Paul Martin a effectué aux frais des chômeurs. Très bon aussi est le résumé qu’ils font de l’histoire des relations fédérales et provinciales sur le plan fiscal et financier, qui a mené au déséquilibre fiscal actuel. Ils relatent assez bien les nombreux empiètements d’Ottawa dans les champs de compétence des provinces, son abus du pouvoir de dépenser, et les massives coupures dans les transferts aux gouvernements provinciaux à compter de 1995.
Ils reprochent à Chrétien et à Martin de se vanter d’avoir éliminé le déficit, sans en avoir parlé durant leur campagne électorale, et de l’avoir fait aux dépens des programmes sociaux, fédéraux et provinciaux. Ils concluent en faveur de la souveraineté du Québec comme moyen de sortir du marasme des finances publiques québécoises.
Si le reste des propos de Garon et Therrien cadraient mieux avec ce qui précède, l’évaluation de leur ouvrage serait moins négative. Mais, pour le reste les contradictions s’accumulent et elles ne seront pas sans étonner le lecteur qui s’attend à une certaine suite dans les idées. Car autant ils ne ménagent pas Martin et Chrétien, autant ils sont élogieux du gouvernement Mulroney, qui d’après les auteurs a eu le « courage » de mettre en place l’ALÉ, l’ALÉNA et la TPS. Mulroney et son ministre des Finances Wilson reçoivent aussi une bonne note pour n’avoir coupé dans les transferts aux provinces que lorsque Ottawa était en situation déficitaire.
Notons les autres bijoux « lucides » qu’on trouve dans Le prédateur et l’imposteur : Garon et Therrien donnent crédit à Chrétien pour avoir privatisé des sociétés d’État comme le Canadien National. Ils déplorent que la Loi fédérale sur le financement de l’assurance-maladie empêche les Québécoises de débattre des « options » (sous-entendu : de l’introduction du privé). Ils écrivent que la taille de la dette fédérale, qui selon eux est plus élevée que celle des provinces, empêche Ottawa de consacrer des dépenses aux priorités des Canadiennes et des Canadiens. À noter que ce n’est qu’en termes absolus qu’on peut affirmer que la dette fédérale est plus forte que celles des gouvernements provinciaux. Le ratio dette : PIB fédéral est le plus bas des pays de l’OCDE, ce qui n’est pas vrai de la dette du Québec, qui est dans la moyenne de ces pays industrialisés. De plus, il me semble évident que notre gouvernement fédéral – libéral ou conservateur – choisit délibérément de ne pas dépenser pour l’environnement et la santé publique. Les moyens financiers ne manquent pas. Encore cette année, Ottawa se dirige vers un surplus énorme (plus de 9 milliards les premiers six mois de 2007), malgré la hausse des dépenses militaires et le remboursement accéléré de la dette.
Enfin, si Garon et Therrien ont bien situé le sujet dans son contexte historique canadien, ils occultent la continuité patente entre les mesures néolibérales que Mulroney et Wilson ont mis en chantier durant les années 1980 et 1990, et le suivi logique et prévisible de Martin et Chrétien dans cette voie. La coïncidence entre la promulgation du Consensus de Washington en 1995 et le début de l’élimination du déficit fédéral par Martin passe aussi inaperçue. Un bref traitement de l’autre déséquilibre fiscal, celui entre les contribuables particuliers et les sociétés, et entre les détenteurs du capital et les salariées, graduellement inscrit dans nos lois fiscales, aurait été un ajout significatif.
[1] Ils sont tous deux économistes.