No 67 - déc. 2016 / janv. 2017

Grève au Vieux-Port de Montréal

Un flop !

Léa Fontaine

Les employé·e·s du Vieux-Port de Montréal étaient en grève depuis le 27 mai 2016. Si le conflit s’est officiellement résolu le 27 octobre dernier, le résultat n’a pas été à la hauteur des attentes des travailleurs·euses, malgré leur vaillance.

Les travailleuses et travailleurs du Vieux-Port de Montréal travaillent notamment au Centre des sciences de Montréal, au Port d’escale et à la patinoire. Ils sont représentés par le Syndicat des employés du Vieux-Port de Montréal (SEVPM), section locale de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC-Québec). Ce dernier affirme qu’il s’agit de sa pire négociation collective à vie. La négociation a débuté mi-janvier 2016 alors que la convention collective venait à échéance le 31 mars 2016.

Négociation contrainte et tête hybride

L’employeur, relevant de la législation fédérale – nous y reviendrons ! –, a déposé ce qu’il appelle une « enveloppe », pseudo proposition de convention collective à l’intérieur de laquelle les parties « devaient » négocier… La négociation ne pouvait avoir lieu qu’entre ces balises, soit les positions campées par l’employeur, ce qui aurait pu être qualifié de négociation de mauvaise foi selon la jurisprudence. Les seuls éléments ayant fait l’objet « d’échanges » (à l’intérieur de ladite enveloppe) étaient, d’une part, l’offre salariale – que l’on pourrait qualifier, au minimum, de médiocre et qui avait été refusée par 80 % des employé·e·s – et d’autre part, l’ajout d’une cinquième année de hausse salariale, proposée par le médiateur. Jusqu’à quelques jours avant la fin de la grève, aucune clause normative n’avait été abordée.

Concrètement, le syndicat ne voulait pas négocier uniquement à l’intérieur de cette enveloppe, car cela aurait signifié qu’il aurait cédé face à l’employeur. La position de l’employeur était d’ailleurs perçue par le syndicat comme une forme de refus de négocier. Il est vrai que si le droit du travail permet une négociation menée de manière « serrée », il n’autorise pas l’une ou l’autre des parties à rester campée ad vitam aeternam sur sa position initiale. Si tel est le cas, il ne s’agirait aucunement d’une négociation collective de bonne foi et diligente, tel que l’exige le droit du travail québécois.

Concernant les conditions salariales, Konrad Lamour, président du SEVPM, soulignait : « Notre échelle salariale ne progresse presque pas depuis près de 10 ans […]. Sans oublier que près de 50 % de nos membres ne gagnent pas 15 $ de l’heure, qui est un salaire décent pour vivre dans la dignité [1]. » Les employé·e·s du Vieux-Port seraient d’ailleurs parmi les moins bien payés de la fonction publique canadienne.

Mathieu Guèvremont rappelle que la revendication relative au 15 $ / heure applicable progressivement avait été abandonnée en cours de négociation dans la mesure où l’employeur était bien loin de cette proposition ; alors même que la hausse aurait seulement représenté une somme d’environ 250 000 $ par année pour l’employeur. Or, le Vieux-Port avait annoncé prévoir des profits aux alentours de 135 millions pour les cinq prochaines années.

La négociation fut d’autant plus complexe que l’employeur a une tête hybride, composée d’une part de la Société immobilière du Canada, de nature fédérale, et d’autre part de la Société immobilière du Canada inc., de nature provinciale, représentée par le Conseil du trésor.

Cette tête hybride sert à l’employeur à échapper tantôt à la législation québécoise, tantôt à la législation fédérale. Par exemple, en matière de taxation, l’employeur avait intérêt à être la Société immobilière Canada inc., afin d’éviter la forte taxation fédérale, alors que celle du Québec est moins importante. À l’inverse, en matière de relations de travail, l’employeur tirait plus d’avantages à être reconnu comme entité fédérale pour éviter l’application du droit du travail québécois, particulièrement pour les dispositions anti-briseurs de grève, qui n’existent pas en droit fédéral.

Une guerre d’usure

Depuis le dépôt patronal initial, l’employeur avait, tout compte fait, formulé plusieurs nouvelles propositions rejetées par les travailleurs·euses. Il est vrai que ces derniers étaient éprouvés par la durée de la grève, qui avait conduit certain·e·s notamment à l’épuisement et au stress économique ; sans oublier les effets de l’approche de l’hiver.

De ce fait, le rejet des propositions patronales se faisaient de moins en moins vigoureuses. Le moral en avait pris un coup. Les travailleurs·euses se sentaient méprisés. Le temps passant, le risque d’apparition de tensions entre les grévistes quasi jusqu’au-boutistes et les grévistes plus fragiles nerveusement et économiquement prenait forme. Pour parer à cela, la créativité fut nécessaire et prit des formes variées : véhiculer un message positif, et non un message de colère afin de gagner le soutien de l’opinion publique ; décentraliser les responsabilités syndicales ; s’entraider matériellement et psychologiquement ; tenir des ateliers scientifiques gratuits au sein des écoles primaires et secondaires de Montréal.

En date du 26 octobre 2016, le patron s’obstinait et n’avait toujours pas évoqué le contenu normatif de son « enveloppe ». Il comptait depuis le début, selon toute vraisemblance, sur l’épuisement des troupes en étirant la durée du conflit alors même que le syndicat souhaitait retourner le plus rapidement possible à la table de négociation. Le SEVPM affirmait qu’il était misérable de bloquer ainsi la négociation collective. Non seulement cela a-t-il porté atteinte aux salarié·e·s, mais aussi aux citoyen·ne·s qui n’ont pu profiter des installations situées dans le Vieux-Port pendant la durée du conflit.

Malgré tout, les travailleurs·euses du Vieux-Port de Montréal, dans l’ensemble, sont restés déterminés et souhaitaient sortir de ce conflit la tête haute. Ils étaient décidés, malgré quelques découragements. Mathieu Guèvremont invitait la population à soutenir leur grève. Bien campé sur ses positions et absolument confiant, le représentant syndical Guèvremont affirmait haut et fort : « Le combat continue et je suis sûr que nous allons le gagner !  » Malheureusement, ce ne fut pas le cas : l’entente de principe a été adoptée à une faible majorité de 52 %. Le conflit est donc terminé pour les travailleurs·euses de l’unité des permanents, des réguliers et des occasionnels [2]. Ceux-ci ont obtenu des hausses salariales de 12 %, et ce, pour les 5 prochaines années. Élément central des revendications syndicales : le salaire minimum des syndiqués augmentera de 10,67 $ à 12,38 $ pendant la durée de la convention collective, et non à 15 $. Les travailleurs réguliers et occasionnels ont aussi obtenu des gains en matière de congés mobiles sous certaines conditions. Selon Mathieu Guèvremont, il s’agit là d’un échec cuisant de la négociation collective.


[1Communiqué de presse de l’AFPC, « Vieux-Port de Montréal : en grève dès le 27 mai », 25 mai 2016. Disponible en ligne : http://afpcquebec.com.

[2Les membres de l’unité des Saisonniers ont toutefois refusé à majorité l’entente de principe. Le SEVPM entend ainsi poursuivre la lutte pour cette unité d’environ 30 travailleurs et travailleuses.

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