À Bâbord ! et les luttes antiracistes
Un rattrapage nécessaire
Au cours de ses 13 premières années d’existence, À bâbord ! a régulièrement traité d’enjeux et de luttes autour de l’immigration, de l’asile politique et des relations inter-ethniques. À travers ces questions, nous avons eu l’occasion d’aborder des problématiques telles que l’intolérance et la montée de courants d’extrême droite.
Pourtant, il s’agit de notre premier dossier consacré au seul thème du racisme. Alors que les discours et les pratiques haineuses tendent à être normalisés, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde, il nous semblait incontournable d’aborder la question cette année.
Lors de la première réunion préparatoire de ce dossier, nous avons convenu d’inviter des personnes qui agissent au quotidien sur le front des luttes antiracistes, de manière à concevoir un dossier thématique qui refléterait leurs analyses de la situation et soutiendrait leurs batailles. Plusieurs ont accepté l’invitation et la rencontre fut très stimulante, mais aussi « confrontante » pour les membres de la revue.
En effet, À bâbord ! n’est pas à l’abri de cette « difficulté à parler de racisme au Québec » qui a été abordée lors de cette rencontre. Comme progressistes, on peut en venir à se dire que nous sommes du bon côté de la clôture, et donc que « le racisme, c’est le problème des autres ». Sans une réelle prise de conscience des rapports de privilèges basés sur la race, mais aussi la classe et le genre, nous contribuons à l’invisibilisation des combats antiracistes. Une réflexion en continu est nécessaire pour s’assurer non seulement d’appuyer et de faire connaître ces luttes sur le terrain, mais aussi de mieux intégrer les principes qui les sous-tendent à nos propres pratiques.
Dans les cercles de la gauche québécoise, la question de la démocratie à l’intérieur des organisations est sur la table depuis quelques décennies. Le courant anarchiste a fait valoir avec succès l’idée qu’on ne peut réellement transformer la société si l’on reproduit les hiérarchies qui structurent le vivre ensemble à l’intérieur de nos espaces de luttes et de résistances. Dans la même veine, les féministes ont su amener de nombreux groupes et mouvements à s’interroger sur les dynamiques internes qui perpétuent les privilèges masculins.
Bien sûr, ces questions ne sont pas réglées, mais au moins, la nécessité de s’y pencher est de plus en plus reconnue. Force est de constater qu’en ce qui a trait aux personnes racisées, nous, à À bâbord !, avons un retard plus important à combler. Si l’on se penche sur les réalités vécues par une communauté uniquement au moment où une crise éclate, c’est peut-être le signe que nous en étions trop éloigné·e·s pour être sensibles aux réalités qui ont mené à cette crise. Il est donc nécessaire de faire des efforts conscients pour intégrer en profondeur à nos analyses et à nos pratiques cette dimension et les personnes qui la portent, sans alourdir la tâche des groupes antiracistes. Que faisons-nous pour créer des liens durables avec des communautés moins présentes au sein de nos organisations ?
Il faut travailler à rendre poreuses et fluides les frontières de ce « Nous » afin que « l’Autre » souhaite y participer, que tous et toutes se sentent interpellés par les propos de chacun·e, que nous puissions devenir allié·e·s dans la réciprocité et marcher côte à côte. Décoloniser le « Nous », en quelque sorte. Délaisser le discours unique pour faire place à des perspectives nuancées des réalités des un·e·s et des autres, à une diversité de voix. C’est donc à une réflexion poussée sur nos pratiques que nous sommes convié·e·s ainsi que sur le sens du rôle d’alliée antiraciste en tant que revue de gauche. La coordination de ce dossier représente pour nous une première étape en vue de pousser plus loin ces réflexions. Nous considérons qu’établir des canaux de dialogue réguliers entre nos groupes est une avenue porteuse pour la suite.