Philosophie de la praxis : Marx, Luckás et l’École de Francfort

No 75 - été 2018

Andrew Feenberg

Philosophie de la praxis : Marx, Luckás et l’École de Francfort

Benjamin Pillet

Andrew Feenberg, Philosophie de la praxis : Marx, Luckás et l’École de Francfort, Montréal, Lux, 2016, 544 pages.

C’est sans aucune exagération que l’on se doit de reconnaître le caractère extrêmement ambitieux du projet que constitue la récente traduction française de Philosophy of Praxis ; s’y plonger requiert une certaine abnégation.

Andrew Feenberg se donne en effet pour objectif de dégager une comparaison entre la philosophie du jeune Marx (en particulier celui des Manuscrits de 1844), celle de Lukács et celle de Marcuse, une « philosophie de la praxis » capable de « ramener les abstractions philosophiques à leur enracinement dans des conditions sociales concrètes ». Ce faisant, Feenberg participe (en compagnie d’auteurs tels que George Ciccariello-Maher) d’un mouvement – certes peu récent, mais en constant renouvellement – cherchant à moderniser la dialectique en la libérant explicitement des anachronismes qui accompagnent une lecture marxiste traditionnelle, c’est-à-dire socio-économique plutôt que philosophique. L’abstraction y occupe donc une place de choix ; pour s’en convaincre, que l’on considère par exemple la proposition centrale du livre : « Puisque l’histoire est constituée d’actions sociales, la relation ontologiquement significative entre l’être humain et l’être en général est désormais l’action sociale. L’histoire est ontologie et le devenir de l’espèce humaine est le domaine privilégié où l’on peut enfin résoudre les antinomies de la philosophie [hégélienne]. »

Feenberg, en définitive, ne nous propose rien de moins que de redonner au marxisme ses lettres de noblesse en lui faisant dépasser le simple état de théorie sociale, pour le faire accéder à celui d’une ontologie pleine et entière. On retrouve là l’esprit de la célèbre onzième thèse sur Feuerbach : plutôt qu’interpréter le monde, la philosophie doit maintenant le transformer. Il est donc préférable d’être muni d’une certaine érudition avant de plonger dans Philosophie de la praxis. Néanmoins, son absence n’est pas entièrement rédhibitoire ; à la fois bien écrit et peu jargonneux malgré tout, le livre s’avère en définitive didactique en parvenant à guider le lecteur au travers de ses méandres philosophiques grâce à de fréquents rappels théoriques.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème