Élections au Salvador : à tribord toute !

No 75 - été 2018

International

Élections au Salvador : à tribord toute !

Gilbert Talbot

Plus de six millions d’habitant·e·s vivent au Salvador, pays le plus densément peuplé des Amériques. Ce si beau pays, pas plus grand que la vallée du Saint-Laurent, jouit d’un climat paradisiaque qui contraste cependant avec les graves enjeux économiques et sociaux que la dernière élection a mis en lumière.

Le peuple salvadorien est très accueillant, mais on sent toute sa tristesse, tant il souffre encore énormément de la pauvreté, de l’insalubrité et de la menace quotidienne des bandes mafieuses. Le salaire minimum institutionnel est de 300$US par mois, ce qui est une risée par rapport au coût réel de la vie. Les gens doivent s’appuyer sur d’autres sources de revenus pour survivre. La communauté diasporique joue un rôle important à ce chapitre : il est fréquent que des membres d’une famille qui ont réussi à migrer dans un pays plus riche leur envoient de l’argent chaque mois. Cette entrée de capitaux est d’ailleurs incluse dans le calcul du PIB sous le nom de remisas et comptait pour 18% du revenu national en 2017.

La grande menace

Le plus grand danger pour les Salvadorien·ne·s n’est toutefois pas d’ordre économique, mais bien sécuritaire. En effet, c’est la menace que font peser sur tout le pays les bandes criminelles appelées marras qui est la plus préoccupante. Selon le candidat Federico Mejía de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA), sur les 262 municipalités que compte le Salvador, 90% d’entre elles sont aux prises avec ces bandes hyperviolentes. Ces différents groupuscules qui s’affrontent sur le territoire seraient composés actuellement de quelque 90000 membres. Les gens se font tuer dans les autobus en plein jour, tout autant que dans les rues sombres le soir. Ce sont surtout les jeunes qui sont courtisés par les marras. Ceux qui refusent de s’y engager ou tentent de s’en sortir sont les premières victimes de ces tueries.

La grande histoire de ce petit pays

Officiellement, le Salvador est une république démocratique qui élit son président, son assemblée législative, ses maires et ses conseillers. C’est un pays indépendant, libéré de la domination espagnole depuis 1821. La pire des guerres civiles éclata en 1978, soit en même temps que dans les pays voisins, le Nicaragua et le Guatemala. En 1992, un accord de paix fut signé entre l’ARENA, qui regroupait les forces de l’extrême droite, et le Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), qui fédérait tous les groupes armés de la guérilla de gauche. De cette entente naquit un nouveau gouvernement démocratiquement élu, dans lequel les partis politiques ont remplacé les milices armées. L’ARENA sera au pouvoir pendant les vingt années suivantes. Le peuple en avait assez de la guerre, il voulait la paix et la prospérité. L’ARENA y fit fleurir l’entreprise privée et le libre-échange avec les États-Unis et les pays voisins. Le Salvador abandonna sa monnaie nationale, le colón et adopta le dollar américain. Cependant, le FMLN fut porté au pouvoir avec le président Mauricio Funes en 2009 et y fut reconduit avec son successeur, Salvador Cerén, en 2014. En 2015, une nouvelle forme de scrutin proportionnel fut approuvée par tous les partis politiques. Désormais, les citoyen·ne·s pourront voter soit pour une bannière qui comprend tous les candidat·e·s de leur liste, soit pour certain·e·s d’entre eux individuellement. Ils et elles pourront aussi voter pour des candidatures d’autres listes ou même pour des indépendant·e·s. Par exemple, dans la capitale San Salvador, on y élit 24 député·e·s. Il y a huit partis politiques reconnus et quatre candidats indépendants, pour un total de 196 candidat·e·s sur le même bulletin de vote !

La recherche de la paix et de la sécurité sont devenues des enjeux nationaux majeurs auxquels le FMLN n’a pas su répondre au cours de ses deux mandats. De plus, Mauricio Funes fut impliqué dans un scandale de corruption et s’exila au Nicaragua. De son côté, Salvador Cerén appuya la position de Maduro au Venezuela et fut associé aussi au régime cubain, deux ennemis des États-Unis. Or, ses rivaux de l’ARENA se présentent comme les amis inconditionnels du grand protecteur américain. J’ai d’ailleurs rencontré un candidat de l’ARENA au poste de député dans la capitale, Federico Mejía, qui soutient ouvertement la politique de Trump tant sur le mur que sur les renvois des dreamers : « Nous allons construire ici notre propre rêve salvadorien », me dit-il avec passion. Sa solution, c’est la création de bons emplois bien payés : « La paix reviendra au pays avec la prospérité », croit-il.

Comment expliquer cette déroute du FMLN ? La déception que suscite ce parti dans la population rompt avec le fait qu’il avait si héroïquement tenu au moment de la guerre civile. À cette époque, le FMLN était un regroupement de trois groupes de combattants d’idéologies différentes, soutenu par Cuba et l’URSS. Après la signature des accords de paix, des dissensions apparurent. On rejeta la candidature de Facundo Guardado, l’un des trois chefs de groupes de combattants, sous prétexte qu’il avait participé aux combats. Ce qui n’empêcha pas pour autant Salvador Cerén de se porter candidat aux élections de 2014, alors qu’il fut lui aussi commandant dans la guérilla – dans un groupe de combattants plus important par ailleurs. Guardado se rangea alors du côté de l’ARENA. Cerén gagna les élections, mais par une très faible majorité et Facundo Guardado fut considéré comme un traître à la cause. Cependant, selon les quelques sons de cloche du verdict populaire recueillis, autant de la part d’Edwin, notre chauffeur de taxi, que de Francisca, notre femme de ménage ou d’Antonio, un jeune ex-marra que nous avons rencontré, Cerén est un président incompétent qui n’a pas pu amener une solution efficace contre la montée de la violence des marras qui s’est aggravée sous son règne. C’est aussi l’abstention importante de la part des membres du FMLN qui a porté le coup de grâce à ce parti de gauche. À San Salvador, par exemple, l’ARENA l’a emporté avec moins de votes que lors des élections précédentes, qu’elle avait alors perdues.

Quel devenir ?

Qu’arrivera-t-il maintenant ? Il faut s’attendre à un retour de l’ARENA au pouvoir, soutenu par le GANA et le PCN (voir encadré). Ce sera un gouvernement de droite évidemment, mais avec « une conscience sociale » nouvelle qui devrait rapprocher le gouvernement des besoins de la population, mais aussi de Donald Trump. Il s’agira d’un gouvernement à saveur populiste pour remplacer un gouvernement qui ne fut pas assez populaire.

Par ailleurs, le FMLN devra faire rapidement son autocritique, car les élections présidentielles auront lieu l’an prochain, en avril 2019. L’adversaire à battre sera encore le candidat de l’ARENA, possiblement le multimillionnaire Javier Simán, propriétaire entre autres d’une grande chaîne de magasins portant son nom.

Au centre, Nayib Bukele, actuel maire de San Salvador – un autre exclu du FMLN – lance un nouveau mouvement politique, Nuevas Ideas, contre la « partitocratie », la corruption et la démagogie. Il doit recueillir 50000 signatures pour devenir un parti politique officiel en vue des présidentielles de 2019. Et selon mon chauffeur de taxi, il réussira et sera élu, à l’instar d’Emmanuel Macron en France.

Portfolio

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