Marchés libres : travailleurs entravés

No 27 - déc. 2008 / jan. 2009

L’enjeu migratoire

Marchés libres : travailleurs entravés

Mouloud Idir

Il est de plus en plus admis que les migrations constitueront un enjeu majeur au 21e siècle. Le grand défi, disent les spécialistes, est de repenser les politiques migratoires sur des bases plus justes et solidaires, qui permettront non seulement à tous les États de bénéficier des flux migratoires pour leur propre développement, mais aussi aux migrants eux-mêmes de vivre plus dignement. À cet égard, beaucoup de propositions existent. Celles-ci gagneraient à être connues.

L’augmentation des migrations

D’abord quelques chiffres. Les flux migratoires se sont amplement mondialisés. On dénombre actuellement plus de 200 millions de migrants dans le monde, ce qui équivaut à près de 3 % de la population : selon l’Organisation des nations unies (ONU), en 2005, on comptait 191 millions de migrants dans le monde, 115 millions dans les pays développés et 75 millions dans les pays en développement. Dans le contexte actuel, le paradigme dominant est celui du renforcement des mesures de contrôle aux frontières. Pourtant, de nombreux spécialistes montrent, chiffres à l’appui, l’incongruité des politiques étatiques actuelles. Un des arguments avancés est le suivant : on parle aujourd’hui de circulation migratoire. Beaucoup de migrants aspirent à circuler sans nécessairement souhaiter se sédentariser définitivement. Une sommité en la matière, Catherine Wihtol de Wenden, tient le propos suivant : « plus les frontières leur sont ouvertes, plus les migrants circulent et moins ils s’installent, car ils peuvent aller et venir. Ceux qui se sédentarisent de façon aléatoire sont ceux pour qui les frontières sont fermées et qui sont entrés clandestinement ou ont un statut précaire : s’ils repartent chez eux, ils ne pourront plus revenir. » Bien entendu, un tel argument a une portée stratégique, il vise surtout à répondre à ceux qui agitent le spectre de la criminalité et de la menace à la sécurité pour justifier le renforcement des contrôles aux frontières.

Laissez venir à moi ceux qui ont des sous

Il faut aussi ajouter que les transferts de fonds des migrants sont désormais vus comme un élément essentiel du développement des pays d’origine des migrants. La Banque mondiale estime que les fonds envoyés sont passés de 102 milliards de dollars en 1995 à 300 milliards en 2006. Les États d’accueil tentent de coopérer avec les pays de départ pour bénéficier des investissements productifs et des créations d’entreprises. Les États de départ commencent à changer de discours sur les effets négatifs de l’émigration et certains favorisent l’exportation de leur main-d’œuvre. De nombreuses ONG occidentales, flairant les effets de cette manne, sont désormais impliquées dans cette question.

Au niveau plus politique, il se profile aussi une nouvelle vision des migrations : un droit de migrer, fondé sur le droit à la mobilité, émerge au niveau international. On pense ici à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille, ratifiée par 37 pays en 2003. Catherine Wihtol de Wenden observe aussi que « les pays de départ et d’accueil semblent prêts à coopérer pour mieux gérer les flux qui, de toute façon, se poursuivront. À charge pour les États d’éviter que la mobilité ne soit perçue comme perturbatrice, voire subversive, vis-à-vis du pouvoir politique. » Il semble donc clair que l’enjeu migratoire ne peut plus demeurer captif d’une vision isolationniste et répressive. À cet égard, la rhétorique populiste en matière migratoire va jusqu’à lier les mains d’un certain patronat qui souhaite conjoncturellement – le mot est ici important – une plus grande disponibilité du sous-prolétariat migrant sur son sol. Une sorte d’armée de réserve pour rendre le marché du travail plus flexible.

Partir, c’est mourir un peu

Bien entendu, une approche progressiste et critique des migrations [1] ne peut faire l’économie d’une réflexion plus profondément politique sur les causes plus structurelles sous-jacentes aux déplacements des personnes migrantes [2] . Nous en sommes souvent très loin dans les débats.


[1Un livre critique en la matière : Danièle Lochak, Face aux migrants : États de droit ou état de siège ?, Paris, Textuel, 2007.

[2Pour en savoir plus : Catherine Wihtol de Wenden, Faut-il ouvrir les frontières ?, Paris, Presses de Sciences Po, 1999. Voir aussi notre entretien avec Catherine Wihtol de Wenden, « L’état des migrations en Europe », Bulletin Vivre ensemble, Vol.15, No 52, Hiver 2008.

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