Dossier : Souveraineté alimentaire

Les fruits amers de l’industrie agricole

par Maxime Laplante

Maxime Laplante

Pour les défenseurs de l’agrobusiness moderne, l’industrie agricole incarne l’efficacité, la productivité accrue, la meilleure garantie de nourrir la planète de plus en plus peuplée. Et pourtant ! À tous les égards, notre modèle agricole représente un net recul.

Lorsqu’on parle de productivité, on sous-entend généralement de faire plus avec moins. Le but de toute augmentation de productivité demeure évidemment de réduire l’utilisation de ressources limitées. Or, en industrie agricole, on se limite à mesurer la productivité en termes de main-d’œuvre nécessaire pour nourrir la population. Comme si l’objectif devait être de diminuer le nombre de fermes et de personnes en vivant. En revanche, on néglige de considérer la quantité d’énergie fossile pour produire de la nourriture, ou le coût des subventions par aliment produit pour notre population.

En outre, on se garde bien de procéder à une évaluation globale. Par exemple, on mentionnera qu’une seule personne suffit pour s’occuper d’un élevage de 4 000 porcs à l’engrais. Mais on occulte le fait que les porcs sont nés ailleurs, seront transportés par un autre, abattus par un tiers, débités par un suivant, et ainsi de suite. En fait, l’augmentation de la productivité en agriculture n’est qu’un mythe.

On peut illustrer cette situation par un exemple simple : comparons deux champs d’avoine ; l’un en monoculture, l’autre en culture mélangée avec d’autres céréales et des plantes pouvant être récoltées en foin. Au moment de la récolte, le rendement en avoine est certes supérieur en monoculture mais pour effectuer un calcul complet, il faudrait aussi ajouter le rendement des autres céréales en mélange, ainsi que la paille (en monoculture, la paille devient souvent un déchet, les producteurs de céréales n’ayant pas toujours des animaux pour l’utiliser). Et n’oublions pas que le champ mélangé produira ensuite du foin pendant plusieurs années, sans avoir besoin d’être labouré. Et puis, si les grandes monocultures étaient si productives, pourquoi nécessitent-elles le plus de subventions ?

Une efficacité douteuse

Autre constat d’échec de l’industrie agricole qui prétend avoir sorti les fermiers et fermières de la misère des années trente : la baisse du revenu agricole. Depuis un demi-siècle, l’agrobusiness a convaincu le gouvernement du Québec qu’il fallait éliminer les trois-quarts des fermes, surtout celles qui ne sont pas orientées vers le commerce. Maintenant que c’est chose faite, l’élimination se poursuit, car il s’agit encore et toujours d’épurer le secteur pour ne conserver que les plus rentables ! Mais, comme par hasard, le revenu net des fermes ne cesse de dégringoler.

La ferme de 2007 a un revenu net inférieur à celle du début des années 1980. Et toutes les merveilleuses trouvailles technologiques n’ont fait qu’empirer la situation. Comment s’en surprendre ? Pour acquérir la plus grosse presse à foin, il a fallu changer de tracteur pour un plus gros, ainsi que l’andaineuse et la faucheuse. Et lorsque la presse a coûté 40 000 $, difficile de la laisser dehors pendant les 50 semaines où elle ne sert pas. Il s’ensuit une course à l’endettement dont on ne sort pas si facilement. Pendant que le chiffre d’affaires des fermes poursuit sa hausse, le revenu net a maintenant atteint une valeur négative au pays. En moyenne, les fermes canadiennes fonctionnent donc à perte. Ce n’est que grâce aux subventions versées aux plus grandes entreprises que celles-ci survivent.

C’est également en raison de ce système encourageant la grande entreprise que la production biologique progresse difficilement au Québec, avec des prix sensiblement plus élevés que pour les denrées conventionnelles. En effet, de par leur taille, mais aussi en raison de la diversité de leur production, beaucoup de fermes biologiques échappent au soutien de l’État, contrairement aux usines agricoles. Les programmes d’assurance-récolte ne s’appliquent généralement qu’aux cultures pures et non mélangées, en plus d’exiger des quantités minimales assez élevées (10 hectares pour les céréales, 300 porcs, 50 brebis, etc.). En outre, les fermes biologiques doivent assumer seules les coûts de leur certification, tout en prévoyant des bandes de protection face à la contamination par les pesticides et semences transgéniques des voisins.

Dans un contexte semblable, peu surprenant que les produits biologiques se vendent plus cher à l’épicerie. Et il ne faut pas oublier que les plans conjoints contrôlés par l’UPA, incluant les agences de vente et les quotas, sont bâtis en fonction d’une mise en marché spécialisée et à fort volume. La vente directe à la ferme, surtout en ce qui concerne les denrées animales, est extrêmement difficile.

En somme, où est donc le progrès, alors que les fermiers et fermières se spécialisent au détriment de leur revenu, perdent leur autonomie décisionnelle et se retrouvent abandonnées face à un système industriel qui encourage leur extermination ? Le futur, s’il doit répondre à des objectifs durables, passe nécessairement par la paysannerie. Le véritable progrès réside dans l’amélioration des conditions des fermiers et fermières et par le respect de l’environnement.

Thèmes de recherche Agriculture et alimentation
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