L’histoire méconnue des grèves d’élèves du secondaire

No 084 - été 2020

Sous la loupe

L’histoire méconnue des grèves d’élèves du secondaire

Francis Dupuis-Déri

Les récentes mobilisations des élèves du secondaire pour la défense du climat sont historiques à l’échelle planétaire. À Montréal, la marche pour le climat du 27 septembre 2019 aurait été l’une des plus grandes manifestations de l’histoire du Canada. Des jeunes se mobilisent également dans leur école pour exiger la mise en place d’un service de compost ou pour l’utilisation d’ustensiles biodégradables à la cafétéria. D’autres rejoignent le réseau Extinction Rebellion pour mener des actions de désobéissance civile.

Cette turbulence paraît exceptionnelle, puisque les écoles secondaires ne sont pas considérées comme des espaces politiques et parce que les élèves, trop jeunes, n’auraient pas encore un potentiel militant, contrairement au mouvement étudiant postsecondaire. Selon cette perspective, la vie politique des élèves se réduirait à participer à l’élection du Conseil d’élèves, éventuellement à un comité d’Amnistie internationale ou à la Marche Monde Oxfam-Québec, aussi connue comme la Marche 2/3, un événement annuel qui, selon l’organisme qui l’encadre, « permet aux jeunes du Québec de manifester leur solidarité envers les peuples du monde entier dans une marche festive, colorée et animée [1] ».

Une recherche au sujet de la contestation dans les écoles au Québec a toutefois permis d’exhumer une histoire méconnue mais étonnante. En mars 1913, par exemple, 500 élèves de l’Aberdeen School, à Montréal, déclenchent une grève pour exiger des excuses d’une enseignante qui a déclaré que les Juifs sont « sans parole et malpropres [2] ». En 1919, la décision de la Commission scolaire de Montréal d’annuler la cérémonie de remise de prix à la fin de l’année, pour des raisons budgétaires, provoque une grève des écoliers. En 1934, c’est encore à l’école Aberdeen que 27 élèves refusent d’effectuer les tâches scolaires, pour exiger du lait gratuit pour les enfants de parents sans-emploi. L’année suivante, des centaines d’élèves de l’école Rosemont, à Montréal, s’absentent des classes pour protester contre le manque de souliers et de vêtements dans les familles frappées par la fermeture des ateliers des Angus Railway Shops. En 1938, les élèves de l’École normale Jacques-Cartier refusent d’entrer en classe pour dénoncer l’incompétence du directeur.

Des mobilisations d’envergure

Au-delà d’actions isolées, les jeunes lancent des campagnes nationales, bien avant Internet et les médias sociaux. Des dizaines de milliers d’élèves britanniques ont ainsi déclenché un mouvement de grèves, en 1911, qui a touché plus de 60 villes et qui exigeait de ne pas avoir de leçons le soir, pour toucher un salaire à l’usine. On exigeait aussi la fin des punitions corporelles (« No more cane ! »), ce qui ne sera obtenu qu’après une autre grève d’élèves, en 1972 ! Des élèves ont aussi participé activement au mouvement des droits civiques aux États-Unis, aux mobilisations anti-impérialistes au Vietnam, à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et à l’intifada en Palestine, entre autres causes.

Au Canada, la « grève du chocolat » – en réalité un boycottage – a débuté en avril 1947, quand un jeune du village de Ladysmith, en Colombie-Britannique, a réalisé que le prix de la barre de chocolat était passé de 5 à 8 cents, à la suite de la levée du contrôle des prix à la consommation, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La contestation s’est répandue en quelques jours dans tout le pays, avec des rassemblements de centaines de jeunes devant les magasins, des manifestations à pieds, à vélo ou en voiture. On agitait des pancartes frappées de slogans tels que « Barres à 8 cents injustes pour les enfants » ou « Les enfants pauvres devraient avoir la chance d’acheter des barres », ou on brandissait l’effigie d’un jeune pendu avec cette affiche à son cou : « Il a acheté une barre à 8 cents ». Des jeunes ont forcé l’entrée d’une station de radio en Ontario pour pouvoir se faire entendre en ondes, ou encore des parlements provinciaux à Victoria (29 avril) et à Winnipeg (1er mai), où l’hôtel de ville est également envahi. À Sherbrooke, la vente de chocolat a chuté de 40 %. La presse, plutôt favorable à ces jeunes en colère contre la spéculation, leur retira son appui lorsque le Toronto Telegram a rapporté que cette campagne était manipulée par la Housewives Consumer Association (HCA) et la National Federation of Labor Youth (NFLY), des organisations que la GRC considérait liées au Parti communiste. D’ailleurs, des jeunes anglophones et francophones qui manifestaient ensemble à Montréal s’identifiaient sur leurs pancartes à la Fédération de la jeunesse ouvrière [3].

Les années 1960 ont aussi été marquées par des manifestations et des grèves d’élèves, par exemple pour la défense des écoles francophones à Saint-Léonard, pour appuyer les négociations du corps enseignant avec la commission scolaire (à Verdun, en 1965) ou pour protester contre le manque de casiers et de manuels scolaires (commission scolaire de Tilly, en 1968). En décembre 1968, le député René Lévesque a dénoncé l’« embrigadement » des jeunes par les directions et les enseignant·e·s, après une manifestation de milliers d’élèves devant l’Assemblée nationale, pour la défense du français. Deux ans plus tard, les élèves de la polyvalente Père-Marquette, à Montréal, ont refusé d’aller en classe pour le droit de porter des jeans et de fumer des cigarettes dans l’école.

Un mouvement plus vaste s’est déployé dans toute la province, en 1981, quand le ministre de l’Éducation Camille Laurin a décidé que la note de passage serait de 60 % et non plus 50 %. Le mouvement aurait débuté en février, dans les polyvalentes Marie-de-l’Incarnation et Lévy. Les manifestations passaient d’école en école – polyvalentes Jean-de-Brébeuf, Roc-Amadour, J.-François-Perrault, etc. – pour encourager d’autres jeunes à rejoindre la mobilisation. Il s’agit d’une tactique classique lors de grèves au secondaire, observée également en Grande-Bretagne en 1911. Le mouvement a repris dans la région de Montréal au printemps, alors qu’une vingtaine d’écoles sont désertées par les élèves. Le mouvement touche aussi Chomedey, Valleyfield et Drummondville. Pendant cette campagne, c’est plusieurs dizaines de milliers d’élèves qui ont refusé d’aller en classe et le ministre a finalement accepté de négocier et la réforme a été adoptée graduellement, pour n’être appliquée en secondaire 5 qu’après plusieurs années.

En 1990, on retrouve les élèves du secondaire aux côtés d’étudiantes et d’étudiants postsecondaires qui s’opposent au « dégel » des frais de scolarité. L’année suivante, c’est dans la rue que les jeunes dénoncent la (première) guerre contre l’Irak. À Québec, les élèves des Compagnons-de-Cartier manifestent jusqu’à l’école Rochebelle, à Sainte-Foy, et plus de 1 000 élèves de John Rennie, à Pointe-Claire, forment une chaîne humaine pour la paix. À l’école Montcalm, à Sherbrooke, les élèves portent des vêtements blancs et manifestent devant leur établissement. Les élèves ont souvent l’appui de la direction, défavorable à la guerre. Alors que les bombes commencent à pleuvoir sur l’Irak, en janvier, quelques centaines d’élèves manifestent devant l’Assemblée nationale et 1 500 élèves descendent dans les rues de Montréal jusqu’à ce que la police les disperse. Quelques jours plus tard, un millier d’élèves de la polyvalente Émile-Legault, dans le nord de Montréal, marchent jusqu’au consulat des États-Unis. La présidente du Conseil d’élèves de cette école, qui comptait alors des élèves de 73 nationalités différentes, a déclaré aux médias : « C’est dommage qu’on ne puisse inviter les [George] Bush, [Brian] Mulroney et [Sadam] Hussein à vivre une semaine dans une école comme la nôtre [4]. »

Confronter le pouvoir

Dans les décennies qui suivent, les élèves ont manifesté ou fait la grève, entre autres raisons, pour dénoncer la mauvaise qualité de l’air dans leur école (école Chavigny, Trois-Rivières-Ouest, 1991), contre un enseignant violent (école Mgr-Langevin, Rimouski, 1993), contre l’annulation des olympiades (école Saint-Jean-Baptiste, Rimouski, 1993), contre une discipline trop sévère (1993), en faveur d’une politique antiraciste et antisexiste (polyvalente Armand-Saint-Onge, Amqui, Matapédia, 1994), contre la réduction des budgets au ministère de l’Éducation (polyvalente de L’Ancienne-Lorette, 1996), pour exiger que le chauffage fonctionne (école Alexander Galt, Lennoxville, 1997) et contre les suspensions d’élèves aux cheveux teints en bleu ou mauve (entre autres, à l’école Marguerite-De Lajemmerais en 1998).

L’année 1999 est marquée par une autre campagne de mobilisation nationale, sans doute la plus importante avant celle pour le climat. Des dizaines d’écoles sont en grève en réaction à l’annulation d’activités parascolaires, un moyen de pression du syndicat d’enseignement dans le cadre d’une négociation difficile avec le gouvernement. Les activités touchées englobaient des sorties, l’animation d’une radio, l’aide aux études, etc. La mobilisation est particulièrement dynamique et turbulente.

Le 4 mai, le pont Lachapelle, entre Laval et Montréal, est bloqué très tôt le matin par des élèves de l’école Saint-Maxime, que rejoignent des élèves des écoles Horizon Jeunesse, Mont-de-la-Salle et Saint-Martin. Le blocage dure environ 3 heures ! Le lendemain, le pont Viau est bloqué pendant 3 heures par environ 2 000 élèves de plusieurs écoles de Laval. Un Comité étudiant pour le rétablissement des activités scolaires (CERAS) est mis sur pied pour négocier avec les directions d’établissement et le syndicat. Quelques jours plus tard, des élèves des écoles du Boisé et Vanier, à Laval, bloquent pendant une heure le pont Pie-IX et environ 3 000 élèves d’écoles de Repentigny, Le Gardeur et l’Assomption bloquent la route 138 pendant une heure, après avoir manifesté devant le bureau d’un député.

Le mouvement va reprendre de plus belle à la rentrée de l’automne. Des élèves de la polyvalente Charles-Gravel (Chicoutimi) sèchent leurs classes. Les élèves anglophones se joignent au mouvement, par exemple à la Chambly County High School et la Penfield Academy à Saint-Lambert, où les jeunes manifestent devant l’hôtel de ville. Des élèves de La Camaradière, les Compagnons-de-Cartier, Joseph-François-Perrault, Sainte-Foy et bien d’autres établissements, dont Québec High School et St. Patrick’s High School, manifestent devant l’Assemblée nationale. Des élèves ont aussi bloqué l’autoroute de la Capitale, à Beauport, et des élèves des Compagnons-de-Cartier et de Rochebelle ont défilé sur le pont de Québec.

Le 20 septembre, la police a procédé à quelques arrestations lorsque 450 élèves des écoles Val-Mauricie et des Chutes bloquent un pont à Shawinigan. Le lendemain, à l’heure de pointe matinale, 200 élèves de l’école Saint-Jean-Baptiste, à Longueuil, traversent le pont Jacques-Cartier, puis reviennent sur la rive sud pour bloquer l’autoroute 20 pendant plus d’une heure. Le premier ministre Lucien Bouchard réagit alors avec paternalisme : « c’est très dangereux que de vouloir bloquer la circulation. […] Je comprends que les jeunes soient mécontents du fait que les activités parascolaires aient été réduites considérablement, mais je leur demande de rester à l’école et de ne pas se livrer à ce genre d’activités [5]. » Cette sortie reste sans effet : quelques jours plus tard, des élèves bloquent le pont Pie-IX pendant 30 minutes, alors que d’autres jeunes bloquent la route 112.

François Legault, alors ministre de l’Éducation pour le Parti québécois, qualifie d’« inacceptable l’utilisation des élèves à des fins syndicales [6] », même si les élèves déclarent ne pas prendre parti dans le conflit de travail, ne voulant qu’un règlement rapide pour ne pas être pénalisés. La répression s’intensifie à Montréal, avec 36 arrestations à la suite d’une manifestation turbulente d’élèves qui se termine au parc Jarry. La police procède aussi à l’arrestation de 270 élèves dans la cour de l’école Chomedey (amende de 118 $). Dans la semaine suivante, des manifestations ont encore lieu et les élèves de la polyvalente Saint-Aubin, à Baie-Saint-Paul, bloquent la route 138 pendant environ 45 minutes.

Autonomie et imagination

Dans les années 2000 et 2010, les élèves se mobilisent encore contre le Sommet des Amériques (2001), contre la (deuxième) guerre contre l’Irak (2003), lors des grèves du mouvement étudiant postsecondaire (2005 et 2012), contre l’austérité du gouvernement libéral (2015), contre des codes vestimentaires sexistes (le mouvement des « carrés jaunes », en 2016).

Les adultes laissent souvent entendre que les jeunes sont des ignares que des adultes manipulent, que ce soit les communistes, les nationalistes ou les syndicats. Pourtant, les jeunes font preuve d’autonomie et d’imagination. Les formes de leur contestation sont diversifiées, comme chez les adultes, mais on retrouve généralement les journées de grèves, précédées ou non par une assemblée ou simplement déclenchées à l’initiative de quelques jeunes, des manifestations devant l’établissement ou dans la rue, qui prennent souvent la direction d’autres écoles pour encourager l’élargissement du mouvement. La mobilisation est parfois turbulente et peut s’accompagner de sabotage et de vandalisme. Ainsi, à l’école Édouard-Montpetit (Montréal) en 1994, une assemblée se déroule à la cafétéria pour dénoncer la piètre organisation des examens. Une grève est déclenchée, marquée par l’explosion de pétards et d’une boîte de Drano, et des élèves jettent dans une poubelle incendiée des lettres que la direction avait adressées aux parents pour les informer de la situation.

La colère des élèves est parfois dirigée vers la police, par exemple lorsque 250 jeunes de Saint-Hyacinthe manifestent après l’arrestation d’une élève de l’École Casavant, sous prétexte qu’elle aurait posé des gestes obscènes. Cailloux, blocs de glace et des œufs pleuvent sur les véhicules de la police. Une école secondaire peut aussi devenir le théâtre d’affrontements politiques, par exemple en avril 1992, quand une dizaine de jeunes Noirs armés de couteaux entrent à l’École Curé-Antoine-Labelle, à Laval, pour attaquer des skinheads néonazis. La police est appelée sur les lieux et procède à l’arrestation de treize Noirs.

Cette trop brève histoire indique donc que les élèves du secondaire, qui n’ont pas le droit de voter et qui sont généralement considérés comme immatures et si facilement manipulables, savent se mobiliser pour une diversité de cause et de diverses manières. Comme le confiait aux médias Hugo, un élève de 3e secondaire de l’école Le Vitrail, au sujet des grèves de 2005 : « Ce qu’on veut prouver, c’est qu’on est capable de s’organiser [7] ».


[2« Écoliers juifs en grève », Le Devoir, 1er mars 1913, p. 8.

[3Heather Fitzsimmons Frey, « Canadian chocolate war : imagining, depicting, and fearing “yougster” power » dans Victoria Pettersen Lantz, Angela Sweigart-Gallagher (dir.), Nationalism and Youth in Theatre and Performance, Londres-New York, Routledge, 2014.

[4Éric Trottier, « Les pacifistes québécois entreprennent de nouvelles actions », La Presse, 19 janvier 1991, p. A4.

[5Michel Corbeil et Brigitte Breton, « Le premier ministre, les parents et les CS blâment les profs », Le Soleil, 24 septembre 1999, p. A8.

[6Éric Desrosiers, « Les débrayages étudiants font tache d’huile : la police perd patience », Le Devoir, 24 septembre 1999, p. A1.

[7Hugo Meunier, « La grève étudiante s’étend au secondaire », La Presse, 9 mars 2005, p. A10.

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