En mémoire de Rémi Savard

No 084 - été 2020

Figures marquantes

En mémoire de Rémi Savard

Gérald McKenzie

Juste avant de prendre le large, Rémi avait été frappé par l’oubli. Pourtant, la plus grande partie de sa vie d’anthropologue avait été vouée à la mémoire. Dans la cave de sa maison près de la rue Beaubien, comme un moine, il compilait les histoires anciennes et les légendes recueillies auprès des Innus de la Côte-Nord et traduites pour la plupart par la poète innue Joséphine Bacon.

Déjà, avec son père qui arpentait le territoire du Nitassinan avec des guides innus, il côtoyait ceux et celles qui lui apprirent sérieusement à rire, ce qui préfigurait son œuvre : Le Rire précolombien dans le Québec d’aujourd’hui. À force de retourner aux histoires que lui avaient racontées les conteurs et conteuses innus, de les avoir comparées avec celles d’autres peuples d’Amérique du Nord, Rémi a bien vu leurs similitudes et la force de leur symbolisme, comparable aux récits des grandes « civilisations ».

Claude Lévi-Strauss, un de ses professeurs, lui avait conseillé de concentrer son travail sur les mythes et légendes de ce coin d’Amérique. Dans les facultés d’anthropologie, ça n’avait pas nécessairement la cote. Il était le précurseur des Laurent Girouard qui, en archéologie, fondait la Société d’archéologie préhistorique du Québec et des Sylvie Vincent qui s’engageait à fond dans le développement du Centre de documentation sur les peuples autochtones de nos régions, qu’il dirigeait.

Rémi Savard, avec ses étudiant·e·s, avait renversé la tendance courante de « faire son terrain » dans des cultures exotiques et lointaines, par ailleurs fort intéressantes et éclairantes sur l’humanité. « Contrairement à la grande majorité des autres professeurs, il estimait que c’était donc à cette rencontre qu’il fallait envoyer les étudiants. Déjà pointaient deux de ses grandes préoccupations : faire connaître les cultures et les réalités des premiers habitants du Québec et du Nord-Est de l’Amérique [et] participer à la construction d’un pont entre les nations aînées et la nation cadette », rappelle Sylvie Vincent.

Un anthropologue engagé

Lors de la première grève étudiante au Québec (1961), il s’était engagé dans le mouvement étudiant à Laval où Duplessis refusa pendant plus de trois mois de recevoir le manifeste des représentant·e·s étudiant·e·s qui cognaient à sa porte tous les jours. La grève permet toutefois au mouvement étudiant d’établir les bases sur lesquelles reposeront toutes les luttes à venir. La démocratie étudiante et des assemblées, ainsi qu’une structure interuniversitaire de négociation se mettent en place. Plus tard, l’anthropologue sera actif dans la campagne électorale de Michel Chartrand pour le Parti socialiste du Québec.

Depuis des décennies, des leaders autochtones font entendre leur voix. Comme intellectuel engagé, Rémi se mettra au service de leurs luttes dans sa propre société. « Il a vécu l’ère de l’indifférence, de l’ignorance, de l’injustice, du racisme à l’égard des Autochtones de ce pays […] Il a dénoncé, il a pris la plume et la parole, il s’est engagé pour changer l’ordre du monde », souligne Serge Bouchard. Il intervient au côté des militant·e·s lors de la « guerre du saumon » pour décluber les rivières et participe avec les Innus de la Côte-Nord à leur lutte pour le droit de pêcher le saumon. Il inspire le Comité d’appui aux nations autochtones de la Ligue des droits et libertés et se rend d’urgence avec des militant·e·s à Listuguj où 500 policiers de la SQ ont envahi la réserve et souillé le territoire ancestral. On le retrouve à conseiller les observateurs internationaux de la Fédération internationale des droits humains qui viennent rencontrer les Innus du Labrador qui protestent contre les vols militaires à basse altitude. Il témoignera des semaines entières devant la Commission d’enquête sur la mort de deux Innus à la rivière Moisie. Il comparaîtra dans plusieurs enquêtes confrontant des historiens négationnistes pour qui les Innus sont des peuples nomades et n’avaient pas de droits sur ce territoire qu’ils auraient occupé au hasard de leur pérégrination ; alors que, depuis des générations, les familles innues se déplacent sur des tracés vieux comme le monde. Les traces sont sur le territoire et dans la tradition orale.

Plus récemment, en déambulant dans le Vieux-Montréal lors du Festival des Premières Nations, les Algonquins de Trois-Rivières, dont on nie l’existence, l’abordent pour se faire aider. S’en suivent des recherches et des interventions qui révéleront les pratiques discriminatoires des autorités religieuses lors des mariages et des baptêmes pour effacer les origines algonquines. « On a toujours vécu selon les traditions ancestrales, alors pour nous, c’est important d’être reconnu comme tel », dit Claude Hubert. Depuis une dizaine d’années, cet homme a retracé la vie de 17 000 ancêtres des membres de la communauté de la Petite Mission de Yamachiche, à l’ouest de Trois-Rivières. Son objectif : faire reconnaître leur identité amérindienne.

Lors de la crise d’Oka, Rémi Savard s’est engagé dans le comité que François Saillant avait mobilisé en appui aux Premières Nations. Un animateur de CJMS avait alerté ses auditeurs et auditrices que des Mohawks allaient sortir pour aller en ville (à l’hôpital). On avait tiré des roches sur le cortège à la sortie du pont Mercier. Il y eut des blessés. Une honte ! On peut entendre Rémi en appeler à la solidarité des Québécois·es dans un petit film réalisé lors de ces manifestations.

Souverainiste convaincu, Rémi Savard a par ailleurs toujours défendu l’idée que l’indépendance est un vain projet sans la reconnaissance de ce droit aux Premières Nations.

Sylvie Vincent soulignait dans son hommage lors des récentes funérailles où étaient présentes plus de 250 personnes que « la Société et la revue Recherches amérindiennes au Québec (50e anniversaire), francophone et indépendante des universités, ont compté sur ton soutien publiant plusieurs de tes articles. Tu lui confiais la publication de ton dernier livre, Carcajou à l’aurore du Monde ». Comme disait l’artiste innue Katia Rock, «  rien n’avait de secret parce que tu as su respectueusement et simplement écouter les histoires des anciens sans voler ni prendre, juste écouter avec ton cœur. Toi tu es et a été cette porte vers l’autre, de l’autre côté, le parleur, l’explicateur, le transmetteur, le raconteur et le défendeur parfois même. »

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