Dossier : Abitibi. Territoire (...)

Dossier : Abitibi. Territoire des possibles

Territoire habité

Ariane Turmel-Chénard

Il serait malhonnête de présenter la « région 08 » sans évoquer le fait que, bien avant sa création officielle comme région administrative, son territoire était habité. En effet, pendant plus de 7 000 ans, des communautés autochtones nomades y ont vécu. Elles ont d’ailleurs inspiré son nom : Abitibi signifie « là où les eaux se séparent » et Témiscamingue « eau profonde », « lac profond ».

C’est à partir de la colonisation, au début du 20e siècle, qu’une situation de cohabitation complexe s’est tissée entre le peuple anicinabe et les nouveaux et nouvelles arrivant·e·s sur ce territoire où mouches, orignaux et humains vivent en proximité.

Démarches préparatoires pour être allié·e·s

Ce sont les enjeux éthiques nécessaires à la rédaction d’un article sur un sujet aussi vaste et complexe que la situation des Autochtones en Abitibi-Témiscamingue qui sont les premiers à avoir émergé. Comment aborder cette question de façon adéquate en tant que non-Autochtone ? J’ai d’abord cherché à confier l’écriture de ce texte à une personne autochtone plus à même d’en parler. Toutefois, en menant les rencontres préparatoires pour l’écriture de l’article, j’ai senti que l’émergence d’un intérêt collectif nouveau pour les Autochtones pouvait constituer un fardeau pour des personnes impliquées dans leur communauté ayant probablement d’autres priorités que d’assurer l’éducation des Allochtones sur leur situation. « Être une alliée, c’est perturber les espaces oppressifs en éduquant les autres sur les réalités et l’histoire des personnes marginalisées [1] ».

Je me suis remémoré les rencontres significatives que j’ai eu la chance d’avoir avec notamment Pascale-Josée Binette et Ronald Brazeau, deux Autochtones engagés dans leur communauté. J’ai pensé alors que la collaboration que je souhaitais se trouvait peut-être où je ne la cherchais pas, hors de mes conceptions structurées par ma situation privilégiée. C’est en prenant acte des propos énoncés par les personnes concernées que je souhaite assumer une position d’alliée en perturbant les espaces oppressifs encore trop présents dans nos sociétés contemporaines.

Petite histoire de génocide

Dans le court métrage Faim de mois [2], Pascale-Josée Binette décrit la culture allochtone comme étant essentiellement basée sur l’accumulation de richesse. Artiste, organisatrice communautaire au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, femme engagée au sein de sa communauté, elle explique que cette façon de vivre a des répercussions importantes sur le territoire et sur la culture anicinabek : « Souvent, dans la culture allochtone, on voit juste comment s’enrichir. Je ne sais pas si les gens sont conscients de l’impact qu’ils ont sur leur territoire. L’impact minier, ça a des conséquences sur les animaux, ça a des conséquences sur les humains aussi, puis ça crée un déséquilibre et un trou immense. Ça a un impact sur les Anicinabek, sur leur culture.  » La sédentarisation forcée des Algonquin·e·s lors de l’arrivée des colons et leur confinement à l’espace de la réserve a provoqué une rupture dans les relations significatives que les communautés autochtones avaient avec le territoire. Il y a un monde de différences entre une vision holistique du territoire où ce sont tous les êtres vivants qui appartiennent à la Terre-Mère et cette conception individualiste imposée depuis l’arrivée des Européen·ne·s qui soumet la Terre aux propriétaires qui l’ont achetée. Il semble que cette façon de comprendre l’importance du respect du territoire que Pascale-Josée exprime si poétiquement dans les courts métrages du projet Des-Terres-minées suscite des réflexions nécessaires dans le contexte actuel où des catastrophes environnementales ne cessent de se produire : « Quand je pars dans le bois, y a plus rien qui compte, y a plus de temps, plus d’argent, y a juste ce sentiment-là d’appartenir à la terre [3] ».

Réconciliation ou remède à la culpabilité ?

La méconnaissance quant à l’histoire et à la situation actuelle des Autochtones, due notamment à une faible représentation souvent stéréotypée de leurs réalités dans les médias, alimente encore aujourd’hui l’ignorance et le racisme. Avec la fermeture des derniers pensionnats en 1996 et les « efforts » du gouvernement pour ouvrir un dialogue avec les premiers peuples, la colonisation semble pour certain·e·s révolue. Cependant, le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées qui continue d’augmenter ainsi que les manifestations actuelles de racisme systémique partout au pays prouvent le contraire. Le fait colonial n’est pas chose du passé.

La réconciliation est ce terme à la mode, abondamment utilisé par les institutions gouvernementales au cours des dernières années, pour définir la marche à suivre dans les relations entre les Premiers Peuples et les Allochtones. Celle-ci ne peut se réaliser par une simple déculpabilisation synonyme de statu quo. La reconnaissance des abus perpétrés par l’État canadien, ainsi que de ses normes structurelles basées sur un colonialisme sexiste ancré dans nos façons d’interagir, est fondamentale. Elle est un premier pas vers la compréhension des souffrances qu’elles ont engendrées. Comme l’a écrit Richard Kistabish, acteur important dans le milieu culturel et communautaire autochtone de la région : « Ils ont utilisé tous les moyens pour nous arrêter, pour nous faire disparaître. Ils ont utilisé notre culture, notre spiritualité, notre langue pour nous faire disparaître [4]. » Ces souffrances sont légitimes et doivent être acceptées comme telles. Le Canada, responsable de ces iniquités, ne peut décider seul d’une réconciliation ; cette décision revient en premier lieu aux Autochtones.

L’horizon peint aux couleurs vives

« Les réductions (dépossession des territoires, bris des traités, mises en réserves, séparation des jeunes et des aînés, interdiction des rituels et des langues, interdiction de voter et d’aller à l’école supérieure et autres mesures de génocide), malgré de grands ravages, n’ont pas complètement réussi. Et elles concernent l’art. [5] »

Ronald Brazeau, de la communauté de Lac-Simon, m’a fait remarquer que les aspects positifs et les réussites sont souvent invisibilisés lorsque les questions autochtones sont abordées. Cela m’incite à poursuivre sur une note plus positive. Au cœur de cette région où les mines poussent plus vite que des champignons, l’art autochtone a pris un essor considérable au cours des dernières années, créant un espace où parfois l’indicible est exprimable. Il suffit de naviguer dans les eaux fougueuses et joyeuses du journal L’indice Bohémien de Rouyn-Noranda ou sur le site web de Culturat (culturat.org) pour s’en rendre compte. Bien que les artistes autochtones demeurent sous-représenté·e·s dans la majorité des institutions culturelles au Québec, l’art autochtone se fraye un chemin notamment au sein de certaines institutions muséales en Abitibi-Témiscamingue. Le Centre culturel Kinawit a ouvert ses portes près de Val-d’Or en 2016 et accueille présentement l’exposition « Parce que l’urbanité est aussi anicinabe ». Il y a aussi eu la création de l’organisme Minwashin visant à promouvoir l’art et la culture anicinabek en 2018. Plusieurs expositions sont à venir dont Dialogue 3 (Ma Musée d’Art de Rouyn-Noranda, été 2019) et la résidence FMR de Roger Wylde (Centre d’exposition de Val-d’Or, juin 2019). Ces œuvres et ces artistes valent la peine d’être découvert·e·s puisqu’ils·elles offrent un regard unique sur le monde tel qu’ils·elles le voient. L’exposition permanente « Un peuple, une histoire » (à Pikogan), qui retrace l’histoire des Abitibiwinnik, est aussi ouverte pour la période estivale.

Épilogue

J’aimerais qu’on se souvienne de l’importance d’écouter tout en saluant le courage de celles et ceux qui acceptent, malgré tout le mal subi, de tendre le regard et de dialoguer. L’énergie nécessaire pour continuer à aborder ce sujet trop souvent esquivé parce que douloureux et confrontant peut aussi être mobilisée par des allié·e·s. Je termine en affirmant qu’il serait temps que mon logiciel de traitement de texte arrête de souligner le mot anicinabe en rouge et en remerciant chaleureusement Pascale-Josée Binette et Ronald Brazeau pour les informations et les idées généreusement partagées.

* * *

LES SEPT COMMUNAUTÉS ALGONQUINES SITUÉES EN ABITIBI−TÉMISCAMINGUE

Abitibiwinni (Pikogan)
Kitcisakik
Lac Simon
Timiskaming
Kebaowek
Long Point (Winneway)
Wolf Lake (Hunter’s Point)

Population : 8 165 personnes [6]

 


[1La trousse d’outils pour les alliées aux luttes autochtones, Réseau de la stratégie urbaine de la communauté autochtone à Montréal. Disponible en ligne.

[2Des-Terres-Minées, « Faim de mois ». Disponible en ligne.

[3Des-Terres-Minées, « Histoire de génocides ». Disponible en ligne.

[4Richard Kistabish, L’indice bohémien, juin 2018. Disponible en ligne.

[5Guy Sioui Durand, « Jouer à l’Indien est une chose, être un Amérindien en est une autre », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 33, no 3, 2003, p. 23.

[6Source : « Les portraits de la région – Premières Nations », L’Observatoire de l’Abitibi-Témiscamingue, mars 2019. Disponible en ligne.

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