Le projet de loi 39 réformant le mode de scrutin doit avoir toutes les chances d’être amélioré
Lorsque l’Assemblée nationale reprendra ses travaux le 15 septembre prochain, le gouvernement Legault entreprendra la seconde moitié de son mandat. Nous souhaitons vivement que le menu législatif que le premier ministre annoncera alors inclut le projet de loi 39 visant à remplacer le mode de scrutin majoritaire actuel par un système mixte à finalité proportionnelle. Nous l’incitons également à renoncer à tenir un référendum sur ce sujet qui aurait lieu en même temps que les élections de 2022.
Non seulement s’agit-il d’un projet de loi qui donne suite à une promesse phare de la Coalition Avenir Québec, lors de la campagne électorale de 2018, mais la réalisation de cette réforme permettrait de tourner enfin la page sur les échecs subis par le gouvernement du Parti québécois en 1984 et celui du Parti libéral en 2008.
La Commission des institutions a entrepris l’étude du projet de loi 39 en janvier et février derniers. Elle a alors reçu une cinquantaine d’avis par des auditions et des mémoires présentés par des organismes importants de la société civile et des citoyens familiers avec la question. Un message très clair a alors été livré : de sérieuses modifications sont nécessaires pour que le modèle mixte proposé soit vraiment proportionnel et pour y inclure des mesures efficaces afin de diversifier la classe politique. Quant à son mode d’adoption, la proposition gouvernementale de le soumettre au référendum a été refusée quasi unanimement, surtout si celui-ci se tenait en même temps que les prochaines élections. Rappelons que c’est pour repousser l’application du nouveau système aux élections de 2026 que le gouvernement a proposé de tenir un référendum en 2022, et ce, afin de rassurer les membres de son caucus qui craignaient pour leur réélection.
Mais la pandémie n’a pas permis d’entreprendre l’étude détaillée du projet de loi qui compte 400 articles. Cette dernière nécessitera certes une énergie considérable, du moins, si le gouvernement est ouvert aux suggestions reçues et s’il accorde à la commission parlementaire le temps nécessaire. Or, on prévoit que le rythme de l’Assemblée nationale sera chamboulé pendant encore longtemps, pour traiter tous les dossiers liés à la pandémie, mais aussi en raison des conséquences de la distanciation physique sur les travaux parlementaires. Le premier ministre n’étant pas connu pour sa patience envers ce type de travaux, le risque est grand d’assister à une finale précipitée, ou pire, au recours à un 5e bâillon depuis son élection. Cela ne manquerait pas d’être vu comme un procédé partisan, puisque la CAQ est avantagée par le projet de loi sous sa forme actuelle, surtout que cet empressement ne viserait qu’à respecter un calendrier référendaire rejeté lors de la consultation.
Ainsi, en plus de ne pas être nécessaire, un référendum mettrait une pression indue sur le calendrier d’adoption du projet de loi 39. En effet, une durée de 18 mois étant nécessaire pour organiser la tenue ce dernier, le calendrier ne tiendrait plus si l’adoption du projet de loi survenait après mars 2021. Or, cet objectif ne pourrait être atteint que si le gouvernement refusait de corriger les lacunes de son projet de loi ou, ce qui serait tout aussi indécent, en raccourcissant le calendrier référendaire sensé permettre un exercice démocratique.
Nous voyons mal le gouvernement, dans le contexte socio-économique et sanitaire qui résultera de la pandémie, dire à la population que plusieurs mois d’énergie et de fonds publics serviront à entériner un projet de loi déjà adopté. La simultanéité de deux campagnes- électorale et référendaire- favoriserait déjà le statu quo quant au mode de scrutin. La nouvelle conjoncture accentuerait encore davantage ce phénomène puisque l’attention des partis politiques, de la population et des médias seront vraiment ailleurs. Il est ainsi facile de prévoir que la campagne électorale de 2022 servira en bonne partie à juger des actions du gouvernement durant la pandémie et qu’y tenir un référendum au même moment constitue une manœuvre pour que le ‘non’ l’emporte. Pour choisir en toute connaissance de cause, le seul type de référendum envisageable en serait un de confirmation, après quelques élections avec le nouveau mode de scrutin, comme l’a fait la Nouvelle-Zélande.
Nous encourageons donc le gouvernement à prendre la seule décision qui s’impose, et annoncer qu’il renonce à tenir un référendum, à la fois par respect pour la situation socio-économique et sanitaire qui prévaudra d’ici 2022, que pour montrer qu’il sait écouter lorsqu’il tient une consultation.
Le gouvernement ne devant cependant pas repousser indûment la suite des travaux de la Commission des institutions, nous l’encourageons à annoncer du même souffle que l’étude détaillée du projet de loi débutera suffisamment tôt pour qu’il soit adopté avant la fin des travaux de juin 2022. Le premier ministre ayant lui-même reconnu que la collaboration entre les partis, dont il a pu bénéficier ces derniers mois, serait facilitée par un nouveau mode de scrutin, annoncer un calendrier réaliste permettrait au projet de loi de bénéficier de toute l’attention qu’il mérite, sans que cela soit perçu comme une baisse de motivation.
Nous militons tous les deux depuis fort longtemps et nous regrettons qu’un nouveau système électoral n’ait pas encore été adopté. Nous souhaitions évidemment que cela soit une réalité pour les élections de 2022, tel que le prévoyait l’entente transpartisane, signée notamment par la CAQ en 2018. Mais devant cette impossibilité, nous choisissons de donner au projet de loi 39 toutes les chances d’être amélioré. Nous comptons sur le premier ministre pour mener à bien cette tâche durant ce présent mandat, pour une mise en application de la réforme en 2026. Cela nécessite un calendrier de travail permettant d’atteindre cet objectif, et non un rendez-vous artificiel avec un référendum non nécessaire.