Politique
Élues à l’Assemblée nationale : quelle égalité politique ?
Les femmes représentent actuellement 46 % de la députation à l’Assemblée nationale du Québec. On pourrait s’en réjouir et penser que l’égalité dans la représentation est atteinte. Cependant, dans ce domaine comme dans d’autres, les chiffres sont trompeurs et font état d’une égalité de façade construite sur des sables mouvants.
En effet, d’une élection à l’autre, le nombre de femmes connaît des mouvements contradictoires : il baisse de 2003 à 2007 et encore une fois en 2014 ; nous ne sommes donc pas à l’abri des reculs. De plus, le nombre de femmes ne dit rien sur leur influence politique : qui détient les postes de pouvoir dans le cabinet ? Quelle part du budget de l’État revient à des ministères dirigés par des femmes ?
La volonté des partis politiques
En l’absence de législation contraignante ou même incitative, les partis politiques doivent eux-mêmes se doter de règles internes, car c’est principalement par le biais d’un parti politique que les femmes (et les hommes) parviennent à se faire élire. En ce domaine, on peut dire que pour les partis politiques, on assiste plus à des vœux pieux qu’à des règles contraignantes. Avec des résultats parfois surprenants. Le seul parti qui prône l’égalité dans les candidatures, Québec solidaire, n’a que le tiers de femmes dans sa députation, le PQ n’en compte aucune, alors que la CAQ en compte 64 % et le PLQ 58 %.
Si l’on prend en considération les dernières élections générales au Québec, le nombre de femmes candidates a été très élevé. La CAQ, dont les investitures dans les circonscriptions dépendent du chef, a choisi de présenter un grand nombre de femmes et plusieurs ont été élues, le parti ayant raflé un nombre considérable de sièges. Dans les autres partis, ce sont plutôt les militant·es dans les circonscriptions (au PLQ, il peut y avoir parachutage) qui choisissent les candidatures. Au PQ, on a préféré miser sur les députés sortants et sur le nouveau chef, ce qui donne le résultat que l’on sait. Dans les partielles qui ont suivi l’élection générale, QS a choisi de présenter deux hommes, malgré le déséquilibre sexué dans sa députation.
En fait, les partis politiques disposent d’outils pour déterminer les circonscriptions gagnables. Ils ne sont pas infaillibles, mais donnent une bonne indication. Longtemps, la tendance dominante a été de confiner les candidates aux circonscriptions perdues d’avance ou à celles où uniquement des femmes se présentaient. Ce n’est manifestement plus le cas. Mais viser l’égalité numérique dans la députation implique à la fois de déterminer les circonscriptions gagnables et de s’assurer que les femmes y sont présentées à égalité, ce qui ne dépend pas de la direction des partis (sauf à la CAQ), mais des associations de circonscriptions. D’où l’extrême volatilité des résultats.
Force est de constater que si, sur le plan des principes, les partis politiques semblent beaucoup moins frileux à présenter des candidates susceptibles de remporter leur circonscription, il n’en va pas de même en ce qui concerne les directions de parti : les deux seules femmes ayant été cheffes d’un parti politique représenté à l’Assemblée nationale ont été victimes d’une forte contestation de leur leadership, qu’il s’agisse de Dominique Anglade au PLQ ou de Pauline Marois au PQ. À Québec solidaire, lors de la dernière campagne électorale, le porte-parole masculin a été nettement plus mis en évidence que la porte-parole féminine. Quant à la CAQ, son chef fait preuve d’une condescendance paternaliste digne d’une époque préféministe.
Le mode de scrutin
Le mode de scrutin joue également un rôle dans le pourcentage de femmes élues. Avec le mode de scrutin uninominal à un tour, ce n’est pas vraiment une élection générale qui se joue, mais 125 élections partielles. Si ce mode de scrutin est relativement fonctionnel dans une situation de bipartisme, ce n’est pas du tout le cas lorsqu’il y a plusieurs partis en lice. On l’a vu lors des dernières élections où un parti a obtenu plus de 70 % des sièges tout en ne récoltant que 40 % du vote.
Les scrutins proportionnels permettent aux appareils des partis d’intervenir directement sur la composition genrée des candidatures puisqu’ils font appel à des listes nationales ou régionales. Cependant, ce n’est que sur les listes qu’ils peuvent établir un principe d’égalité de genre dans les candidatures et non sur l’ensemble des candidatures. Dans un tel contexte, il serait possible d’envisager les listes de candidatures comme un correctif et permettre de suppléer aux inégalités dans la députation par comté en présentant par exemple plus de candidatures féminines en position éligible sur les listes soumises à la proportionnelle.
Mais il est évident que la réforme du mode de scrutin dans un sens plus proportionnel n’est pas pour demain, tous les partis ayant été au gouvernement au cours des 30 dernières années nous ayant habitué·es à des volte-face sur cette question une fois qu’ils sont parvenus au pouvoir en profitant des distorsions inhérentes au mode de scrutin actuel, surtout en contexte multipartiste.
L’égalité numérique est-elle suffisante ?
La question de l’égalité entre les hommes et les femmes semble être passée dans les mœurs lors de la présentation des équipes ministérielles tant à Québec qu’à Ottawa, du moins lors de la formation du premier cabinet d’une législature. C’est beaucoup moins évident lorsqu’il y a des remaniements ministériels.
Si à Ottawa on peut noter que certaines femmes jouissent d’une grande influence avec Chrystia Freeland aux Finances, Mélanie Joly aux Affaires étrangères ou Anita Anand à la Défense, la situation semble être sensiblement différente à Québec. L’économie, les finances, la santé, l’éducation, ces ministères sont tous dirigés par des hommes et accaparent une grande part du budget du Québec. Mais là encore, la situation est fragile et dépend en grande partie de la volonté politique des premiers ministres, ce qui ne garantit aucune pérennité dans le temps ou en cas de changement de parti ou même de chef de parti au pouvoir.
Cela montre que la parité est loin d’être atteinte ou même souhaitée dans les cercles gouvernementaux. Cela montre aussi que les chiffres peuvent s’avérer trompeurs et que l’on doit se préoccuper autant de la quantité que de la qualité.
Des solutions ?
Au cours des multiples débats concernant la réforme du mode de scrutin, de nombreuses pistes de solution ont été esquissées par les féministes. Celles-ci tournent autour de l’obligation de résultat faite aux partis : il s’agit moins de déterminer uniquement l’égalité dans la présentation de candidatures que de récompenser ou de sanctionner les partis qui se trouvent ou non dans la zone paritaire en ce qui concerne le nombre de personnes élues. Une telle obligation pourrait tout à fait être inscrite dans la loi électorale et assortie soit de récompenses, soit de sanctions en ce qui concerne le financement public des partis politiques. Elle aurait pour effet d’encourager les partis politiques à pérenniser des habitus égalitaires.
Mais il faudrait aller plus loin si l’on veut atteindre l’égalité de genre en politique. Le harcèlement sexiste ou hétérosexiste envers les élu·es devrait être passible de sanctions, qu’il émane de collègues ou d’électeurs ou électrices. C’est un motif évoqué par plusieurs femmes pour expliquer qu’elles quittent la politique. Il serait également possible d’intervenir législativement pour garantir une zone paritaire dans la gestion du budget de l’État.
Surtout, il faudrait que « l’égalité entre les femmes et les hommes » ne soit pas un principe creux que l’on brandit lorsqu’on veut se faire du capital politique et devienne une préoccupation réelle de tous les instants tant en ce qui concerne les postes de responsabilités que les rémunérations. Pour l’instant, nous sommes loin du compte.


























































































































































