Pour des « négociations permanentes »

No 098 - Décembre 2023

Observatoire des luttes

Pour des « négociations permanentes »

Sébastien Adam

Les négociations dans le secteur public suscitent chez moi à la fois cynisme désabusé et enthousiasme militant. Bref billet d’humeur.

Cynisme désabusé, d’une part, parce que les négociations du secteur public sont strictement encadrées, largement au profit du gouvernement. Nous parlons ainsi du droit de grève et du calendrier des discussions pour désigner cette curieuse chorégraphie. Succession des rondes, répétition des mêmes étapes : les uns et les autres entrent en scène et jouent leur rôle. Les échanges stagnent. On s’en indigne. On invoque d’un côté la capacité de payer du contribuable et de l’autre, on dénonce les nombreux et réels problèmes des réseaux. Les syndicats fourbissent leurs armes, obtiennent des mandats de grève, pendant que le gouvernement adopte la posture paternaliste de celui qui prétend défendre la population contre ses propres travailleuses et travailleurs. Puis, soudainement, obéissant à des règles obscures, le rythme s’emballe avant que des ententes de principe ne soient annoncées, lesquelles reçoivent ensuite un assentiment variable, selon les humeurs des membres des syndicats et le contexte politique. Dans tous les cas, les victoires spectaculaires ne sont pas légion.

Enthousiasme militant, d’autre part, parce que l’échéance des conventions collectives entraîne une mobilisation d’une ampleur inhabituelle. La préparation des dépôts syndicaux, prélude à l’élaboration des revendications, s’accompagne d’un exercice exhaustif de recension des problèmes vécus dans les différents réseaux. Le contexte se prête aussi au renforcement ou à la création d’alliances plus ou moins vastes. Tout cela est propice, en théorie, à la formation d’une conscience politique plus aiguë. Les travailleuses et les travailleurs sont ainsi amené·es à réaliser l’ampleur des problèmes auxquels ils et elles sont confronté·es, ce qu’iels partagent et, inversement, ce qui les oppose au gouvernement et à divers autres acteurs sociaux. Cela contribue à créer un sentiment de pouvoir collectif considérable.

Cynisme ou enthousiasme, on reste avec l’impression que le caractère périodique des négociations nous condamne à une certaine insatisfaction. Or, il y a un élément de discours particulièrement inspirant qui revient à chaque ronde. C’est celui qui consiste à mettre de l’avant, non pas uniquement les préoccupations directes des travailleuses et des travailleurs – le salaire, les conditions de travail –, mais la défense et la valorisation des services publics. Cela permet d’ancrer les revendications syndicales dans un discours fondé sur des valeurs fortes – justice sociale, solidarité, intérêt public –, tout en faisant valoir que la satisfaction individuelle des travailleuses et des travailleurs entraîne des bénéfices pour l’ensemble de la population.

Cependant, marteler ce discours pendant quelques mois, à des intervalles de trois à cinq ans, est clairement insuffisant. Il y a une profonde asymétrie entre les parties en présence. Le gouvernement dispose de moyens sans commune mesure avec ceux des organisations syndicales et des groupes de la société civile. Pendant plusieurs années, dans un système politique favorisant malheureusement les comportements autoritaires d’un gouvernement majoritaire, il impose ses choix et son discours. De surcroît, l’alternance politique n’est garante de rien, dans la mesure où la plupart des partis peinent à se distinguer sur le plan idéologique.

On le sait, une négociation qui se conclut n’est pas la fin de l’histoire. Elle pose plutôt les assises de la suivante. Le cynisme de ce texte ne doit pas faire perdre de vue que c’est dans la durée que progresse le sort des travailleuses et des travailleurs. Mais j’en conclus surtout qu’il ne faut pas rendre les armes à la signature des conventions collectives. Le travail le plus important se déroule entre chaque ronde. Il exige de former des alliances avec toutes les personnes et tous les groupes qui partagent les valeurs évoquées dans ce texte, de résister aux tentatives du gouvernement de nous diviser, de repolitiser la vie quotidienne, de militer sans relâche. Je reconnais moi-même l’ampleur de la tâche. Ces exigences, nous devons nous imposer le défi d’y répondre. 

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