Médias
Couverture médiatique à l’international au Québec : le parent pauvre de l’information
Année après année, sauf exception, les palmarès de l’actualité placent rarement plus d’un événement international parmi les dix ou quinze plus marquants, ce qui pose d’emblée la question de savoir si les médias et le public s’intéressent à ce qui se passe au-delà de nos frontières.
Outre les quelques correspondant·es de Radio-Canada dans quelques grandes capitales, le Québec compte à peine une poignée de correspondant·es ou collaborateur·rices à l’étranger. Cette situation gêne lorsqu’on se compare à la France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, dont les réseaux d’information ratissent le monde. De Jérusalem à Dakar, de Delhi à Bangkok, de Johannesburg à Rio, les médias des grandes puissances occidentales balisent le monde de correspondant·es, de pigistes, d’envoyé·es spéciaux·ales qui font remonter chaque jour des informations, des reportages, des entrevues, des analyses dans leurs pays respectifs. Hors de l’Occident, la Chine a développé son agence étatique Xinhua et son réseau radio et télé CGTN, tous déclinés en dizaines de langues. Le Japon entretient un réseau de correspondant·es par l’entremise de ses agences de presse et de sa chaîne NHK, tandis qu’Al Jazeera n’a cessé d’ouvrir des bureaux à l’étranger, sa couverture dépassant désormais largement les frontières initiales du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
Même les médias de pays de taille comparable à celle du Québec, comme la Suisse ou les pays scandinaves, ont une empreinte internationale notoire. Plusieurs déploient un réseau de correspondant·es et d’envoyé·es spéciaux·ales qu’on ne manque pas de remarquer sur le terrain partout dans le monde. Tout ça au point où un lecteur d’ici passionné par l’international aura tendance à s’abreuver à ces différentes sources d’information étrangères plutôt que d’attendre qu’un média d’ici l’alimente.
Une concurrence déloyale
À ce titre, il existe une sorte de concurrence déloyale, ou plus exactement des fondamentaux démographiques, historiques et géographiques qui peuvent expliquer les raisons d’une faible empreinte internationale dans nos médias. D’abord, le Québec a une faible population – 8,6 millions d’habitant·es – et donc un marché médiatique plus restreint, ce qui rend plus difficile pour les médias d’ici de rentabiliser ou d’amortir les coûts d’un reporter à l’étranger. Malgré tout, les médias d’ici dépêchent des envoyé·es spéciaux·ales à l’occasion. Ensuite, le Québec n’est ni une grande puissance ni un ancien empire ayant eu des colonies en dehors de son territoire national, ce qui induit forcément un autre rapport au monde. Ce rapport peut être très positif pour les reporters d’ici, dégagé·es d’un certain poids ou malaise historique, mais il fait aussi en sorte que l’on s’intéresse moins à certaines régions du monde. Enfin, le Québec ressemble parfois à une grande île postée en première couronne d’un empire américain qui la protège. Nous sommes loin du reste du monde, mais au pas de la première puissance mondiale qui est aussi notre premier partenaire économique et militaire. Cette situation géographique, ou plus exactement géostratégique n’est pas sans conséquence pour le monde de l’information : les États-Unis prennent une très grande place dans notre consommation de l’information internationale. Certain·es diraient même trop grande lorsque le récit américain vient à monopoliser notre intérêt sur le monde hors de nos frontières.
L’ailleurs pour notre propre épanouissement
Si le Québec n’est pas une grande puissance, il demeure traversé de part en part par la mondialisation. Par ses échanges économiques, ses touristes à l’étranger, ses travailleur·euses humanitaires, ses diplomates, mais surtout par sa politique migratoire, le Québec s’inscrit de plain-pied dans la mondialisation. Et cela comporte au moins deux conséquences : ce n’est pas de moins d’information internationale dont nous avons besoin, mais de plus, et nous avons besoin d’une information internationale assumant nos regards sur le monde. Plus d’information internationale et plus d’information racontée par nous et pour nous, en s’inscrivant dans nos débats de société.
Cela ne veut pas dire de chercher coûte que coûte les Québécois·es à l’étranger qui nous raconteront leur monde, mais plutôt d’assumer que se posent chez nous des questions qui méritent un éclairage extérieur. Et cet éclairage permettra peut-être de faciliter le vivre ensemble, de prendre de meilleures décisions politiques, de mieux gérer nos ressources. Par exemple, des milliers de travailleurs saisonniers moissonnent les champs du Québec. Mais quelle est la vie de ces travailleurs et travailleuses essentiel·les une fois rentré·es dans leurs pays ? Quelle situation fuient les Nigérian·es qui traversent le chemin Roxham ? Alors que le gouvernement réenvisage un troisième lien entre Québec et Lévis, il faut voir comment d’autres villes du monde de taille similaire ont géré les questions de mobilité. Les pêcheurs de crabe de Gaspésie craignent une migration des crustacés en raison du réchauffement des eaux, mais qu’en est-il pour les pêcheurs de l’Alaska ? Y a-t-il des leçons à tirer, des façons d’anticiper ce qui s’en vient ? Les exemples de la sorte sont légion et témoignent de l’importance du reportage international pour notre épanouissement collectif.
Quelles solutions ?
Les solutions sont nombreuses pour revaloriser le reportage international québécois. Fondé il y a cinq ans, le FQJI bénéficie du soutien des entreprises, des organismes publics et des syndicats qui, par leurs dons, financent ensemble les dépenses de reportage à l’étranger de journalistes œuvrant pour des médias d’ici. En cinq ans, le Fonds a octroyé plus de 300 000 $ en bourses diverses ayant permis à plus de 60 journalistes de se rendre dans une cinquantaine de pays pour livrer au public québécois au moins 150 reportages originaux. Ces articles et ces reportages radio, télé ou Web ont été diffusés dans près d’une vingtaine de médias, ce qui permet de toucher un vaste public malgré la fragmentation des auditoires.
Le FQJI est une structure unique au monde. À notre connaissance, aucune autre organisation n’a réussi à rallier les secteurs privé et public ainsi que des syndicats pour le front commun et concret de l’information internationale. Cinq ans après sa naissance, ce fonds aussi unique qu’utile doit être consolidé, renforcé, étendu, et ce, pour notre bien collectif.
Hélas, chaque année, des dizaines de projets de reportage pertinents, bien ficelés, ne peuvent être financés, faute de fonds. Les médias d’ici ne peuvent assumer à eux seuls la facture qui vient avec la couverture de l’actualité internationale. Au cours des dernières années, les médias ont vu les géants du Web, les GAFAMs, s’emparer d’une part majeure de leurs revenus publicitaires, au point de menacer leur survie et celle de tout l’écosystème médiatique. Lorsque les médias peinent à payer le salaire de leurs journalistes, comment leur demander d’assumer le coût de reportages à l’étranger ?


























































































































































