Dossier : Démasquer la réaction
Les nouvelles tribunes du masculinisme
Différents mouvements réactionnaires que nous pensions possiblement éteints, ou du moins affaiblis, reviennent au goût du jour. Il faut se méfier des activités en ligne qui donnent un nouveau souffle à des courants idéologiques réactionnaires comme le masculinisme.
Selon Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQAM, il n’existe pas de consensus quant à la définition de masculinisme. Deux interprétations sont couramment utilisées : celle reliée au mouvement de défense des droits des hommes et celle employée pour parler d’un courant antiféministe qui serait le résultat d’une guerre ouverte contre les hommes. Dans ce second cas, les idées masculinistes condamnent la domination que les femmes auraient réussi à créer sur la société grâce au féminisme.
Aujourd’hui, c’est en ligne que se manifeste toute la diversité de cette idéologie. Le Web et les réseaux sociaux pullulent d’influenceurs masculinistes pour qui les femmes sont des objets purement sexuels et utilitaires.
Par exemple, l’une des revendications classiques que l’on retrouve dans ce mouvement masculiniste est le retour aux valeurs traditionnelles quant aux rôles homme/femme. Citons brièvement la sous-culture des « tradwives » (traditional wives), réaction opposée au féminisme qui prône le retour de la femme au foyer avec une soumission totale au mari. Cette mouvance se développe depuis quelques années sur les réseaux sociaux, où on retrouve des influenceuses exposant comment l’obéissance au mari est la clé d’un mariage heureux.
Pour les antiféministes numériques, les femmes sont des manipulatrices qui ont profité du mouvement féministe pour se détourner des valeurs traditionnelles et dominer les hommes – alors que chacun·e sait que la nature veut l’inverse. L’influenceur Andrew Tate, misogyne auto-proclamé, multiplie les publications pour propager sa croyance selon laquelle les femmes sont la propriété des hommes. Sa constante autopromotion en ligne concernant ses succès financiers et sexuels en a fait une sorte de modèle pour hommes en recherche d’identité. Il a été arrêté le 29 décembre 2023 pour traite d’êtres humains, viol et participation à un groupe criminel organisé voué à l’exploitation sexuelle.
Le phénomène des incels est un autre exemple marquant de phénomène masculiniste. Les « célibataires involontaires » (involuntary celibates) sont le plus souvent des jeunes hommes hétérosexuels incapables de se trouver une partenaire sexuelle. Cette culture misogyne est nourrie sur des forums en ligne où les hommes se plaignent que le jeu de la séduction a été détruit par le féminisme et la technologie. Selon eux, les applications de rencontre ont facilité l’accès des femmes à un plus grand nombre de partenaires sexuels, favorisant ainsi les hommes physiquement attirants au détriment des hommes considérés plutôt moyens sur ce plan. Les incels nourrissent ainsi un grand sentiment de rancœur envers les femmes, qui entraîne des réactions misogynes, tant en ligne que dans la vie réelle. Ils se sont malheureusement fait connaître du grand public lors d’attaques armées perpétrées par quelques-uns d’entre eux. Citons le cas tristement connu de l’attaque au camion-bélier à Toronto en 2018, qui a fait 11 mort·es (dont au moins huit femmes) et 15 blessé·es. Celle-ci a été planifiée par un célibataire involontaire avec pour objectif de poursuivre la rébellion des incels ; il s’était exprimé plusieurs fois en ligne sur le sujet. À la suite de son geste, il a été acclamé en héros par la communauté des incels.
Le Web et les réseaux sociaux agissent donc comme stratégie de visibilité pour un sentiment de frustration et une volonté de puissance. Les femmes qui rejettent leurs rôles traditionnels sont-elles vraiment la source de tous les maux, ou est-ce plutôt la recherche du buzz, la possibilité d’être célèbre en ligne et de se montrer à tout·es – que ce soit pour partager un mal-être masculin ou pour s’afficher en winner ? Les femmes seraient alors objets d’exploitation pour le sentiment de solitude et le besoin de reconnaissance des hommes. En exploitant la haine des femmes, certains d’entre eux ont atteint le statut de vedette et ont offert à d’autres un véhicule pour canaliser leur souffrance.






















































































































































