Justin Trudeau derrière le masque

No 68 - février / mars 2017

Politique

Justin Trudeau derrière le masque

Claude Vaillancourt

Il est beau, gentil et souriant. Il se dit ouvert et progressiste. À l’étranger, on nous l’envie, on dit qu’il en faudrait davantage, des chefs d’État comme lui. Plusieurs sondages ont confirmé sa popularité. Mais gardons notre méfiance : et si Justin Trudeau n’était qu’un leurre ?

Sur le site du Parti libéral du Canada, on raconte avec fierté le roman familial de notre premier ministre. Mari attentif et amoureux, bon papa fier de ses enfants, il a senti l’appel du pouvoir un peu malgré lui, devant les dommages faits par le gouvernement précédent. L’envers du conte est que Justin Trudeau a peu d’expérience. Il est un homme sans qualités particulières, sinon celle de plaire au public, et n’a en rien démontré une grande envergure intellectuelle, contrairement à son célèbre père, qui fut lui aussi premier ministre du Canada.

Certes, cela n’est surtout pas un handicap pour un chef d’État aujourd’hui, bien au contraire. Armé de quelques solides convictions dont on reconnaît le mérite – il s’affirme féministe et antiraciste –, il est aussi une belle page blanche sur laquelle peuvent s’inscrire les inévitables politiques du programme néolibéral. L’acharnement de Justin Trudeau et de son parti à dire qu’ils gouvernent pour la classe moyenne est suspect. Un examen attentif de ses politiques nous permet plutôt de constater que notre premier ministre met son charme et son charisme moussés par la presse people au service des plus riches.

Pour le bonheur des banques

Le projet de loi C-29, qui plaçait les banques canadiennes à l’abri de la Loi québécoise sur la protection du consommateur, montre bien l’asservissement du gouvernement canadien à ce puissant oligopole. Dissimulée dans un projet de loi mammouth, cette mesure avait pour objectif de permettre aux banques d’agir en toute liberté, sans en subir les conséquences, aux dépens de la population québécoise notamment. Elle aurait en effet rendu caduques les législations provinciales en matière de protection des consommateurs vis-à-vis des institutions bancaires pour instaurer un régime de protection canadien unique… mais nettement à l’avantage des banques. La vigilance du Bloc québécois a permis à la contestation de cette mesure de s’étendre jusque du côté des alliés des libéraux, comme Philippe Couillard et le sénateur André Pratte, qui s’en sont offusqués, tant cette manœuvre était grossière et inacceptable.

Devant le tollé provoqué, cette partie du projet de loi a été retirée. On pourrait croire qu’il s’agissait là d’un accident de parcours, comme Trudeau l’a d’ailleurs justifié. Mais la proximité entre le Parti libéral et les banques a aussi été révélée, de façon encore plus troublante, par le refus net des libéraux de s’attaquer à l’évitement fiscal par le biais des paradis fiscaux.

En octobre dernier, une motion du Bloc québécois exigeait que les entreprises puissent cesser de bénéficier de l’avantage fiscal accordé par la Barbade, leur permettant d’être exonérées d’impôt. La Barbade est la troisième destination des investissements canadiens et a aspiré quelque 62 milliards $ en 2015, une somme invraisemblable pour une île à peine un peu plus peuplée que la ville de Gatineau. Pendant que l’argent disparaît dans un pareil gouffre, on ne parvient pas à renflouer des services publics dont la classe moyenne, tant aimée par Trudeau, a grandement besoin.

Pourtant les députés libéraux, les un·e·s après les autres, à une exception près, ont voté contre une résolution qui semblait suivre le gros bon sens. Cela ne s’explique que par la servilité de Justin Trudeau et de ses troupes devant les banques, qui ne veulent surtout pas se priver d’offrir d’immenses privilèges à leurs client·e·s, avec les profits élevés qui s’ensuivent pour elles.

Le zélateur du libre-échange

« Un accord progressiste pour la classe moyenne », dit la propagande du gouvernement Trudeau pour vendre l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne – l’AECG. Cet accord, entièrement négocié par le gouvernement Harper, et dont celui de Trudeau n’a pas changé une ligne, deviendrait « progressiste » par la simple magie des sourires du premier ministre ? Rien pourtant ne sonne plus faux : l’AECG est tout le contraire de progressiste puisqu’il réduit le pouvoir réglementaire des États, affaiblit les services publics, ne se préoccupe pas d’environnement. Les avantages considérables qu’il donne aux entreprises transnationales prouvent qu’il est plutôt fait sur mesure pour convenir aux plus puissants.

Trop de réalisations de Justin Trudeau vont dans le sens contraire de ce qu’il avance.

Comme les consultations qu’il avait organisées sur le Partenariat transpacifique avaient révélé que cette entente avec onze pays de la zone du Pacifique déclenchait une vive opposition au sein de la population, le gouvernement Trudeau a décidé de ratifier l’AECG en brûlant les étapes. Le débat parlementaire est réduit à sa plus simple expression, et les député·e·s n’ont même pas eu en leur possession des notes de lecture, que l’on distribue habituellement pour se familiariser avec un texte particulièrement volumineux et abscons que personne n’a lu.

Justin Trudeau a pourtant reçu une belle leçon de démocratie – et de progressisme – de la part du ministre-président de la Wallonie, Paul Magnette, qui a démontré de long en large à quel point cet accord était nuisible pour sa population. Le Canada s’est au contraire fait un adversaire buté de la Wallonie dont il aurait plutôt dû reconnaître le courage.

Champion des amalgames, Trudeau associe le libre-échange à son esprit d’ouverture et de tolérance, qu’il oppose aux visions étroites et racistes de Donald Trump et des partisans du Brexit. Pour lui, le libre-échange est un dogme auquel il faut croire aveuglément et qui nous épargne l’effort pourtant nécessaire de comprendre ce qui a vraiment été négocié dans les accords commerciaux – ce dont il semble d’ailleurs n’avoir aucune idée.

Un piètre défenseur de l’environnement

Lors de la conférence sur le climat à Paris – la COP21 – en décembre 2015, Justin Trudeau a déclaré en se bombant le torse que « le Canada peut faire davantage pour s’attaquer au problème mondial que représentent les changements climatiques ». Sa défense inconditionnelle du libre-échange contredit cette déclaration puisque les accords signés par le Canada permettent aux entreprises de défier les réglementations environnementales. Ces accords favorisent l’agro-industrie et les déplacements sans fin de marchandises, tout cela nécessitant d’énormes quantités de carburant fossile.

Plutôt que de se lancer dans la transition énergétique autrement que par de belles paroles et viser les économies d’énergie, le gouvernement Trudeau autorise deux projets d’oléoduc permettant de transporter un million de barils de pétrole par jour de plus, une hausse d’environ 30% de la capacité totale de transport par pipeline. Il défend son choix en prétendant qu’il vaut mieux déplacer le pétrole ainsi que par train. Il s’agit là d’un argument fallacieux puisque la quantité de pétrole qui coule dans un oléoduc n’a rien à voir avec celle, beaucoup plus limitée, qu’on peut mettre dans des wagons-citernes.

Après avoir lancé son cri de ralliement « We are back ! », à propos du Canada qui avait honteusement renié son adhésion à l’accord de Kyoto, Trudeau se contente de reprendre les mêmes cibles de réduction des gaz à effet de serre que les conservateurs. Ces cibles, rappelons-le, demeurent bien en-dessous de ce qu’il faudrait pour respecter l’accord de Paris, dont notre premier ministre s’est fait un fier défenseur.

Investir, mais dans l’intérêt de qui ?

L’une des promesses les plus appréciées de Justin Trudeau pendant la dernière campagne électorale a été de mettre fin à l’austérité et de relancer l’économie par une série d’investissements de la part du gouvernement fédéral. Cette idée audacieuse à une époque où les gouvernements semblent être incapables de prendre d’autres mesures que d’aligner les compressions budgétaires semblait particulièrement bienvenue.

Il fallait cependant compter sur la proximité entre les libéraux et le milieu des affaires pour transformer ce projet nécessaire en une nouvelle menace. Alors que les taux d’intérêt sont particulièrement bas et que le gouvernement canadien pourrait se lancer dans d’importants investissements rapidement profitables, Justin Trudeau préfère se tourner vers le privé.

Son lieutenant Marc Garneau a dit devant le Conseil canadien pour les partenariats public-privé, le 14 novembre 2016, que les partenariats avec le secteur privé peuvent être faits correctement et que son gouvernement avait hâte de travailler avec des investisseurs mondiaux importants. C’est donc vers les étrangers qu’on se tourne, et plus spécifiquement vers les Chinois, comme le révélait le Globe and Mail du 2 décembre, ainsi que vers de grandes firmes internationales d’investissement comme BlackRock.

La profession de foi envers les partenariats public-privé est particulièrement inquiétante : des investissements en provenance du secteur privé profiteront principalement à l’entreprise privée. Selon Guy Caron du Nouveau Parti démocratique, « les investisseurs privés en viendraient à contrôler environ 80% des routes, ponts, hôpitaux et autres infrastructures construites dans le cadre de la proposition de banque d’infrastructure ».

Cette banque de l’infrastructure, que le gouvernement libéral veut lancer, trouvera en effet quatre à cinq dollars dans le privé pour chaque dollar investi par le public. Les entreprises gagnantes à la suite de la distribution des contrats pourront alors aisément refiler la facture, beaucoup plus élevée que dans le cas d’investissements publics, à la classe moyenne tant chérie.

Dire une chose, faire le contraire

Justin Trudeau tient sa popularité d’une réputation acquise auprès des médias avant même qu’il ne se lance en politique, celle d’une personnalité recueillant la gloire de son père et renforçant sa notoriété par une attitude de rock star. Une indéniable complaisance à son égard se maintient depuis qu’il est premier ministre, alors que le grand public a tellement besoin de politicien·ne·s à l’image positive. Trudeau a l’habileté d’en profiter et de répondre à cette demande par un discours politiquement correct que tous et toutes se réjouissent d’entendre.

Certes, Justin Trudeau a su rassurer la population en s’attaquant à certaines mesures impopulaires mises en place par les conservateurs. Il a abaissé le plafond des comptes d’épargne libre d’impôt (CELI), rétabli le questionnaire long pour le recensement, imposé la parité hommes-femmes dans la nomination de ses ministres, ramené l’âge de la retraite à 65 ans, il s’est montré ouvert aux réfugiés syriens, entre autres. Mais après avoir subi pendant neuf années un gouvernement aussi radicalement à droite que celui des conservateurs, il n’en fallait pas tellement pour se donner l’allure d’un libérateur.

L’orientation générale que prend le gouvernement Trudeau reste dans l’ensemble inquiétante. Il ne faut pas oublier d’autres comportements douteux, par exemple la vente d’armes à une dictature aussi impitoyable que l’Arabie saoudite, l’accès privilégié de certains donateurs à des ministres ou le manque évident de volonté de mettre en place un système électoral proportionnel.

La popularité de Justin Trudeau se maintient jusqu’à maintenant par une double complicité : celle de bon nombre de citoyens et citoyennes heureux de se faire croire qu’ils sont dirigés par un bon gouvernement, progressiste et à l’écoute de sa population ; et celle du premier ministre qui répète bien gentiment ce que les gens veulent entendre. Mais trop de réalisations de Justin Trudeau vont dans le sens contraire de ce qu’il avance.

Alors de deux choses l’une. Ou les citoyen·ne·s de notre vaste pays voudront continuer à croire en un pareil mirage, parce qu’il est toujours plus facile de se sentir rassuré. Ou les effets des politiques adoptées forceront Justin Trudeau à rendre des comptes, à mettre au grand jour ses contradictions, ce qui le placera pour de bon dans une position délicate.

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