Eau à vendre : j’ai un bon tuyau

No 13 - février / mars 2006

Chronique économie

Eau à vendre : j’ai un bon tuyau

par Gaétan Breton

Gaétan Breton

Dans le silence du bâillon, le gouvernement du Québec vient d’adopter la Loi 124 qui n’a pas fait beaucoup de vagues. Effectivement le changement apparaît ténu. Cette loi modifie la Loi 62 sur les compétences municipales qui avait été adoptée plus tôt en 2005. L’encre n’est pas encore sèche qu’on se mêle déjà de l’effacer, il n’est pas certain que la tache soit moins grande.

Le changement consiste à permettre aux municipalités, lorsqu’elles octroient un contrat à l’entreprise privée pour l’exploitation de son système d’aqueduc ou d’égouts, d’inclure le financement. Il était déjà permis de le faire pour les égouts et la Loi 61 les encourageait à le faire pour tous les contrats. Alors que fait la Loi 124 ?

Le fait d’inclure le financement va permettre aux municipalités de placer leurs infrastructures sous le contrôle de l’entreprise privée. Le but d’une telle opération est de ne pas accumuler de dette dans les livres de l’administration publique mais de la passer dans ceux des entreprises privées. Par ailleurs, l’hébergement de la dette publique dans les livres privés engendre des coûts. Par exemple, les entreprises privées se financent toujours à un taux plus élevé que les administrations publiques. Il en est ainsi parce que le taux de financement est fonction du risque. Or le risque du privé est plus élevé que celui du public, car si les entreprises privées peuvent faire faillite, les administrations publiques ne le peuvent pas. Les dernières finiront donc toujours par rembourser les créances. L’autre raison est que le taux marginal d’emprunt de l’entreprise privée se trouve toujours à la hausse parce que plus une entreprise emprunte, moins elle a d’actifs à proposer en garantie et plus cet emprunt devient risqué. Sur les frais d’intérêts, l’entreprise ajoute des frais d’administration et un taux de rendement destiné à générer de la valeur pour les actionnaires. En conséquence, les citoyennes vont payer bien cher la disparition de certaines dettes dans les livres de leur ville. Il s’agit d’un pas de plus du gouvernement pour augmenter les profits des entreprises à même les services publics.

Au même moment, le gouvernement permettrait au comité de transition des villes de Westmount et de Côte Saint-Luc d’octroyer par contrat la gestion des infrastructures de l’eau à des compagnies privées. Rappelons qu’à la suite de la défusion de ces municipalités, de nouveaux conseils de ville avaient été élus le 6 novembre 2005 pour n’entrer en fonction que le 1er janvier 2006. Pendant l’absence de représentants légitimement élus, le gouvernement en profitait pour faire passer en douce ses projets. Un registre a été ouvert pour que les citoyens « habiles à voter » puissent s’inscrire afin de demander un référendum, le registre a été ouvert pendant 24 heures et l’information sur la question a été distribuée avec parcimonie. Donc, quand on est habile à voter, il faut être plus rapide que ceux qui sont habiles à nous en empêcher.

Cette loi et ce décret nous montrent que le gouvernement Charest s’est vraiment donné pour but de détruire le Québec que nous connaissons. Il s’agit là d’un nouvel instrument dans l’ensemble des moyens de privatisation dont dispose maintenant ce gouvernement. Il y a à peine un an, nous entendions partout que ce gouvernement avait fait moins que le précédent en termes de privatisation et que tous ces coups de gueule n’étaient pas très dangereux. C’est qu’il avait choisi de mettre son appareillage en place avant de se lancer dans la privatisation tous azimuts. Maintenant que les structures sont installées, les résultats commencent à se faire sentir : l’autoroute 25 (encore elle), l’Îlot Voyageur, les infrastructures de l’eau et toute une série de nouveaux projets qui vont sortir les uns à la suite des autres.

Les citoyennes vont devoir se mobiliser empêcher que les services publics tombent dans les mains de l’entreprise privée, et ce, avec l’aide de nos gouvernements.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème