Retour sur le rôle du Canada

No 21 - oct. / nov. 2007

60 ans de colonisation de la Palestine

Retour sur le rôle du Canada

par Houda Asmar

Houda Asmar

Pour comprendre le conflit opposant Israël à ses voisins depuis 60 ans, un retour attentif sur l’histoire de la Palestine et sur l’année 1947 s’impose. Revenir sur la genèse de la solution de partage de la Palestine historique en deux États, puis en un seul, occupant la population autochtone, permet d’appréhender un conflit où, pour faire diversion, il est question de territoires multiples dont les noms changent au gré des batailles, de divers statuts juridiques incompréhensibles, de frontières contestées, de haines fratricides ou de guerres de religions… En réalité, la question palestinienne est d’abord une question coloniale.

D’emblée, l’idéologie sioniste, la nature même de l’État juif exclusif et la réalité de son implantation montrent qu’Israël ne pouvait être qu’une entité coloniale oppressive, non démocratique, impliquant expropriations de terres, déportations de populations et nettoyage ethnique. De plus, le projet sioniste s’inscrit dans une logique qu’on peut qualifier d’impérialiste, dans la lignée des politiques occidentales qui se dessinent après 1945. Dans cette politique, le Canada n’a pas été en reste. Au contraire, en jouant un rôle actif dans la création de l’État d’Israël, le Canada participera, comme il l’a fait en Amérique du Nord avec ses propres populations autochtones, au déni du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

1945-1947 : les sionistes revendiquent un État juif en Palestine, les Arabes autochtones résistent, l’ONU tranche

Courant politique né à la fin du XIXe siècle, le sionisme a pour objectif d’établir un État juif en Palestine. Si le sionisme vise d’abord à protéger des minorités opprimées en Europe, le postulat de départ de cette idéologie porte en lui les germes des drames futurs des Palestiniens, la solution étant de donner « une terre sans peuple à un peuple sans terre ». Tenir la Palestine comme non habitée par une population valant d’être considérée relève soit de l’aveuglement (on ignore alors que cette terre est habitée), soit du racisme (oui il y a là des habitants mais ce n’est pas un peuple, ce sont des sauvages sans conscience nationale), soit du colonialisme (il y a là des habitants qu’il faut faire disparaître, asservir ou civiliser).

Après 1945, alors que les agences sionistes œuvrent depuis le début du siècle pour encourager l’émigration juive en Palestine, acheter des terres et faire pression sur les puissances occidentales afin de faire avancer leurs revendications, la question du devenir de la Palestine se pose à l’ensemble de la communauté internationale. Les avis sont partagés : les Palestiniens, les États arabes, de nombreux pays de ce qu’on appelle alors le Tiers Monde voient dans la création d’un État juif en Palestine une injustice flagrante qui serait faite aux habitants arabes originels. À l’inverse, de nombreuses puissances occidentales (URSS comprise) y voient un moyen de faire avancer leurs intérêts au Moyen-Orient. Les conflits internes, les oppositions et les hésitations au sein même de chaque gouvernement quant au destin de la Palestine en disent long sur les politiques étrangères de chaque État, leurs visées globales et les équilibres qui se mettent en place au sortir de la guerre.

La participation active du Canada dans la solution de partage de la Palestine en 1947

À l’origine, n’ayant pas de liens historiques avec la région, le Canada aurait pu rester en retrait dans la résolution de la question de la Palestine. Or, il a joué un rôle décisif au sein des instances internationales pour faire triompher la solution du plan de partage.

Le Canada ayant une confiance sans faille dans l’ONU y trouve un espace pour exprimer ses positions. Son but est d’empêcher que la Grande-Bretagne (puissance mandataire dépassée et réticente à porter la responsabilité du partage de la Palestine) ne rentre dans un conflit qui obligerait le Canada à se confronter aux États-Unis, favorables à la création d’un État juif en Palestine. En outre, l’influence importante du lobby sioniste sur le ministère canadien des Affaires étrangères constitue un des facteurs expliquant l’implication du Canada en faveur de la création de l’État d’Israël. Historiquement, les associations sionistes ont exercé une influence au niveau politique canadien et ont noué des relations étroites avec la plupart des premiers ministres. En 1911, le premier ministre Wilfrid Laurier avait même proposé de donner une partie du Manitoba comme région semi-autonome aux Juifs d’Europe Centrale [1].

Pourtant, au Canada comme au niveau international, satisfaire les revendications sionistes sur la Palestine ne va pas de soi. Alors que les États-Unis affirment dès 1946 leur soutien à la création d’un État juif en Palestine, le premier ministre du Canada, Mackenzie King, plus fidèle aux positions britanniques, se montre sceptique. Il chargera Lester B. Pearson, acquis à la cause sioniste et alors sous-ministre aux Affaires étrangères, de représenter le Canada aux Nations unies, mais avouera plus tard avoir regretté ce choix, étant réservé sur la sagesse du partage. De même, Élisabeth MacCallum, la spécialiste du Moyen-Orient au ministère canadien des Affaires étrangères, était opposée au partage, qui constituait selon elle une agression et une violation de la Charte de l’ONU.

En 1947, la question palestinienne est remise entre les mains de la communauté internationale. Une commission onusienne, l’UNSCOP, formée de 11 pays « neutres », sera chargée de proposer une solution pour l’avenir de la Palestine. Le Canada, qui en fait partie, enverra un juge membre de la Cour Suprême, Ivan Rand, pour participer aux discussions. Celui-ci semblait connaître assez mal la situation régionale et sera pris en charge lors de son voyage en Palestine par les organisations sionistes qui le convaincront de la justesse de leur cause. Lors des débats à l’UNSCOP, Ivan Rand jouera un rôle très important dans la promotion de la solution de partage de la Palestine en deux États et semble même avoir été l’architecte du tracé des frontières.

Finalement, la solution de partage sera votée par l’UNSCOP, l’ONU étant ensuite chargée d’élaborer une résolution. Dans cette seconde étape, le Canada pèsera également dans les débats de manière décisive. L’efficacité de Pearson à l’ONU permettra de satisfaire les revendications sionistes tout en réconciliant les positions anglo-américano-soviétiques autour de l’idée de partage, si bien que les sionistes surnommeront Pearson le Lord Balfour du Canada ou encore Rabbi Pearson. Selon eux, si Balfour a donné un foyer aux Juifs, Pearson leur a octroyé un État [2]. Or, la solution de partage « recommandée » par l’ONU est problématique d’un point de vue légal, puisqu’en opposition avec le principe d’autodétermination des peuples, et particulièrement inégale puisque refusée par la partie arabe qui n’en négociera pas le tracé, tracé très favorable à la partie juive [3]. Ainsi, loin d’œuvrer pour une position de compromis qui apaiserait la situation et n’impliquerait pas l’injustice conduisant indubitablement à la guerre, Pearson, au nom du Canada, choisit la solution de partage dont même le tracé sert les intérêts sionistes.

Tous les efforts des États arabes pour faire barrage à la résolution 181 seront vains et celle-ci sera votée le 29 novembre 1947. Les États-Unis œuvreront pour obtenir suffisamment de voix favorables, la Grande-Bretagne s’abstiendra, alors que le Canada votera pour. S’ensuit la guerre de 1948 et la Naqba : 800 000 Palestiniens sont alors expulsés de leur terre et Israël, victorieux militairement, étend son territoire bien au-delà du tracé prévu par la résolution 181. Bien que le Canada approuve les résolutions d’armistice après la guerre, l’approche de Pearson demeure sans ambiguïté : une solution ne peut être trouvée que si les Arabes acceptent le fait que l’État d’Israël a été créé pour rester. Finalement, ce que Pearson propose et obtient est que l’État colonial israélien ne soit plus contesté et qu’on le laisse en possession des gains territoriaux acquis après la guerre de 1948. Plus aucune mention n’est alors faite d’un éventuel État arabe tel que prévu dans le plan de partage initial [4].

D’hier à aujourd’hui

Il est indispensable de mettre en lumière la genèse de l’État d’Israël et le jeu des alliances qui se sont alors construites afin de comprendre les enjeux de ce conflit qui agite le Moyen-Orient et le monde depuis 60 ans. C’est bien en novembre 1947 que les contours du conflit ont été dessinés, date que pourtant nul ne commémore (l’OLP a bien décrété que le 29 novembre serait la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, mais qui s’en soucie ?). Le drame historique des Palestiniens se joue au moment où le « monde » se met d’accord pour « recommander » un partage de territoire qui ne pouvait être viable que s’il y avait déportation et expropriation. Peu après, l’État d’Israël est décrété en toute illégalité, combattu par les Arabes, mais finalement imposé par une victoire militaire à la suite de la guerre de 1948. L’État d’Israël, « seule démocratie » de la région, installe alors un régime d’apartheid : séparation, privilèges territoriaux accordés aux Juifs, occupation militaire, traitement inégal des citoyens, etc. En 1975, même l’ONU comparera les régimes en Palestine occupée et en Afrique du Sud et en concluera que le sionisme est une forme de racisme [5].

Ainsi, la création de l’État d’Israël révèle les dysfonctionnements mêmes de l’ONU, censée changer les anciens équilibres au profit d’un monde plus juste et plus égalitaire. Or, la décision du partage de la Palestine démontre que les petits États ne réussissent pas à s’imposer et que les grands continuent à dicter la politique internationale à leur profit, à partir d’une logique impérialiste et au mépris du droit des peuples à l’autodétermination.

Pour comprendre aujourd’hui le jeu des alliances et la complicité internationale à chaque nouvelle agression israélienne, il faut revenir sur le soutien apporté alors par chacun des États. « Le droit inaliénable d’Israël de se défendre » prêché par tous les gouvernements canadiens, et outrageusement à l’été 2006 par les Conservateurs lors de la guerre contre le Liban [6], découle d’une politique américaine impérialiste qui avait, dès 1947, choisi son camp…


[1Pour le détail des positions des dirigeants politiques canadiens concernant le sionisme puis Israël, voir H. Hassan-Yari, Le Canada et le conflit israélo-arabe depuis 1947, Montréal/Paris, L’Harmattan, 1997.

[2S.H. Bessin & D. Kaufman, L’amitié Canada-Israël, Toronto, Comité Canada-Israël, 1979 et H. Hassan-Yari, op. cit.

[3M. Chemillier Gendreau, « Un titre de propriété inaliénable sur la terre », Le Monde diplomatique, avril 1999, et http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/proche-orient/reso181

[4A. Dessouki, Canadian Foreign Policy and the Palestine Problem, Ottawa, A Middle East Research Centre Publication, 1969.

[5Résolution 3379 de l’Assemblée générale, abrogée dans le sillage du début des négociations entre Israël et l’OLP à Madrid en 1991.

[6H. Asmar, « La tournée de MacKay au Moyen-Orient. Un soutien aveugle du Canada à Israël », À bâbord ! , # 20, été 2007, p. 12-13.

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