Dossier : L’institut économique de

L’Institut économique de Montréal

Un organisme charitable ?

par Marie Pelchat

Marie Pelchat

Depuis sa création en 1999, l’Institut économique de Montréal (IEDM) bénéficie d’un numéro d’organisme de charité émis par Revenu Canada (876185877RR0001). Cet enregistrement lui permet de recevoir des dons qui permettront par la suite aux donateurs d’obtenir d’importants dégrèvements d’impôts.

Au cours de l’année 2006, ce numéro a permis à l’IEDM d’aller chercher 1 271 979 $ en dons d’individus, d’entreprises et de fondations — soit six fois plus qu’en 1999. Même si la liste complète des donateurs est impossible à consulter tant sur le site de l’IEDM que sur celui de Revenu Canada, nous pouvons tout de même savoir qui sont les principaux donateurs puisque ceux-ci occupent les postes d’administrateurs de l’Institut. Parmi les plus connus, signalons la présence de Mme Hélène Desmarais (de la famille de Power Corporation), Léon Courville, de la Banque Nationale du Canada, Marcel Dutil, de Canam, Donald D. Johnston, ancien président du Conseil du Trésor, Bernard Lord, ex-premier ministre du Nouveau-Brunswick, ainsi que Jeremy Reitman de Reitmans Canada.

L’obligation de ne pas tenter d’influencer l’opinion publique

Les organismes qui détiennent de tels numéros s’engagent à ne pas « tenter d’influencer l’opinion publique ou d’obtenir la modification d’une loi ou d’une politique en recourant à l’un des moyens suivants : annonces dans les médias, congrès, allocutions, conférences, publications ou déclarations dans la presse, rencontres avec des représentants élus ou exposés et mémoires à des représentants élus ou nommés ».

Une fausse déclaration

Paradoxalement, dans son dernier rapport annuel (2006), l’IEDM déclare avoir publié plus de 130 textes d’opinion. « Notre économiste, Nathalie Elgrably, continue de tenir sa chronique dans le Journal de Montréal et le Journal de Québec », déclare sans gêne l’Institut. L’IEDM, explique-t-on, « a aussi une présence régulière dans des quotidiens tels le National Post ». Le think tank de droite admet de même, très ouvertement, avoir présenté des mémoires aux élus. Le 17 mai 2006, à la Commission des affaires sociales, l’Institut déposait un mémoire intitulé : « Pour une réelle ouverture de l’assurance-maladie privée au Québec » et le 15 juin, devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce à Ottawa, un mémoire portant sur « Les obstacles au commerce interprovincial ». De son côté, l’ancien directeur de l’Institut a déjà affirmé au journal The Gazette que des rencontres entre l’IEDM, l’ADQ ou le PLQ avaient lieu sur une base régulière. D’ailleurs, le programme de l’ADQ est presque en tous points conforme aux propositions mises de l’avant par l’IEDM depuis sa fondation.

Les thèmes de prédilection de l’IEDM

Les thèmes ayant retenu l’attention de l’IEDM en 2006 sont très variés : les « monopoles d’État et syndicaux », le système de santé et celui de l’éducation, la flexibilité du marché du travail, la dette, la gestion de l’assurance automobile, la fiscalité, le « fardeau fiscal », les effets pervers du contrôle des prix, le réseau des garderies, la déréglementation de l’industrie aérienne, la gestion de l’offre laitière, les accords interprovinciaux, etc. Comme on peut le constater, toutes ces thématiques concernent directement les grandes politiques publiques du Québec et du Canada.

En fait, malgré ce qu’a dit l’IEDM à l’Agence des douanes et du Revenu, ces interventions publiques et ces dossiers avaient tous comme objectif de tenter d’influencer l’opinion publique ou d’obtenir des modifications à des lois ou à des politiques. L’Institut économique de Montréal présente pourtant son travail comme « une contribution à l’éducation économique des Québécois ».

La complaisance de Revenu Canada

Deux questions se posent immanquablement. La première : comment se fait-il que Revenu Canada n’ait jamais pris la peine de consulter le site Internet de l’Institut ou plus simplement encore de lire les journaux afin de contre-vérifier les affirmations contenues dans sa « Déclaration de renseignements annuelle ». La deuxième : si des actions politiques sont permises pour les organismes dits charitables, comment se fait-il que Greenpeace, par exemple, se soit vu retirer son numéro à cause de ses actions, que le gouvernement fédéral jugeait trop politiques.

D’ailleurs, faut-il le rappeler, bon nombre de groupes communautaires du Québec n’ont jamais eu accès à un tel numéro ou l’ont perdu pour les mêmes raisons que Greenpeace a perdu le sien.

Tout cela peut nous laisser d’autant plus perplexes qu’en octobre 2003, la Coalition Solidarité Santé publiait un dossier complet sur cette question [1]. Ce dossier avait été posté à Ottawa, mais il est demeuré lettre morte et aucun parti politique fédéral n’a jugé bon de le porter.

Les seuls gagnants

Une chose est en tout cas certaine : ceux qui financent les caisses de l’Institut économique de Montréal ne sont pas désintéressés. Ils seront les véritables gagnants de la déconstruction de nos outils collectifs. Il n’y a donc aucun désintérêt – de ce désintérêt qui est à la base même de la notion de charité – dans leurs actions. Pire encore : ce supposé paradis économique qu’ils nous proposent de construire sera érigé sur un cimetière social. Est-ce là la nouvelle définition de la charité ?

Thèmes de recherche Patrons et think tanks
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