Le soleil brille à Sarkoland

No 21 - oct. / nov. 2007

France

Le soleil brille à Sarkoland

par Claude Vaillancourt

Claude Vaillancourt

Pour les Français et les observateurs étrangers de gauche, l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de la France reste particulièrement affligeante. Les médias l’ont souligné à plusieurs reprises : Sarkozy a mené sa campagne en prônant les valeurs d’une droite « décomplexée ». Dans son discours, pas de dissimulations ni de détours comme dans ceux de Stephen Harper. Sans ambiguïté, il ratisse les terres du Front national de Jean-Marie Le Pen, dénie l’apport de Mai 68, vante les mérites des politiques néolibérales. L’appui net d’une part importante de l’électorat français à Sarkozy en inquiète plus d’un.

Pourtant, certains cherchent à se consoler en poursuivant le raisonnement : voter pour Sarkozy ne veut pas nécessairement dire adhérer aux idées de droite. L’omniprésence du candidat de l’UMP dans les médias, les « faiblesses » proclamées de son adversaire, de nombreuses inquiétudes maintenues artificiellement sur l’« insécurité » en France ont fait que plusieurs citoyens ont voté pour Sarkozy sans nécessairement approuver ses politiques.

Sarkozy lui-même, dès son arrivée au pouvoir, s’est amusé à brouiller les cartes. Après avoir dérobé l’électorat du Front national par ses propos musclés sur les immigrants, le voilà qui séduit des personnalités auxquelles on ne l’aurait pas associé, dont plusieurs sont des figures de la gauche. Il nomme Rachida Dati, une Marocaine d’origine, comme ministre de la Justice ; il débauche les socialistes Bernard Kouchner, comme ministre des Affaires étrangères et européenne, Dominique Strauss-Kahn, en le choisissant comme candidat au poste de président du Fonds monétaire international, et Jack Lang en lui offrant de siéger à une commission pour la réforme des institutions. Le coup le plus étonnant du président est d’être allé chercher la militante Fadela Amara, présidente de l’association Ni putes ni soumises, qui avait critiqué sévèrement sa gestion de la crise des banlieues en 2005. À son tableau de chasse encore : Martin Hirsch, ex-président d’Emmaüs France et Éric Besson, autre socialiste repentant.

Un Sarkozy de gauche ?

Avec un tel entourage, Sarkozy risque-t-il donc de gouverner à gauche ? À regarder de près, ces nominations semblent davantage relever de la pure stratégie, de l’opportunisme des uns, du cynisme des autres, de l’envie irrésistible de gouverner et autres appétits innommables qui ne font pas la gloire de la politique. Après avoir grugé le vote du Front national, Sarkozy affaiblit un Parti socialiste déjà en crise. Ou l’aide-t-il en le libérant d’éléphants qui dénaturaient depuis longtemps ce parti qui n’avait plus de socialiste que le nom ?

Chose certaine, l’agenda politique du nouveau président n’a rien pour déconcerter les grands de ce monde. Les réformes néolibérales seront poursuivies, en parfaite continuité avec le gouvernement précédent et avec quelques audaces en prime. Parmi ces dernières : des baisses d’impôts pour les riches et pour les grandes corporations. La longue marche vers la privatisation des services publics reste bien entamée. L’arrivée au pouvoir de Sarkozy coïncide avec la libéralisation de l’électricité qui, par le merveilleux jeu de la concurrence, a fait monter les prix de façon marquée partout où on l’a mise en place en Europe. À l’automne, deux réformes majeures sont au programme : celles de l’assurance-maladie et de l’éducation. La première ressemble étrangement à ce qui se prépare au Québec. Il est en effet prévu d’instaurer un système de « franchises », ce qui correspond à notre ticket modérateur dont Claude Castonguay fait l’éloge. Cette mesure aurait comme principales conséquences de limiter l’accès aux soins pour les citoyennes les plus pauvres et de rendre plus difficiles la médecine préventive et la détection de certaines maladies graves, certains patients ne voulant pas dépenser pour des maux considérés à tort comme mineurs.

Sarkozy reste fidèle à son principe d’«  immigration choisie ». Il est donc prévisible que les contrôles, l’exclusion et les expulsions des sans-papiers se poursuivent, comme pendant ses beaux jours au ministère de l’Intérieur. L’immigration choisie est d’autant plus déplorable qu’elle vide les pays les plus pauvres d’une main-d’œuvre qualifiée, alors que ces pays en ont un besoin criant. Par ces politiques, les électeurs du Front national détournés vers l’UMP ne seront pas déçus.

Une difficile résistance

La nette victoire de Sarkozy à l’élection présidentielle, son attitude impériale, sa mainmise sur des médias plus dociles et complaisants que jamais, donnent une idée du travail gigantesque qui attend l’opposition. Certains choisissent la dérision ou la résignation, surnomment le nouveau président Tsarkozy, le rendent déjà invincible, s’attendent à subir sa présidence comme une fatalité, pendant un nombre interminable de mandats. Le narcissisme du Président, son agitation, sa dépendance envers sa propre omniprésence médiatique correspond à un assujettissement réciproque de médias dopés à l’audimat, ayant trouvé en ce président la figure parfaite du politicien spectacle, qui se donne à la caméra avec un sens remarquable de la mise en scène. Sa personnalité écran, toutefois, fait place à de douteuses spéculations : Sarkozy, le parvenu, l’ami des patrons, ne laisserait-il pas place au fils d’immigrant plein de rancœurs secrètes, qui oserait mordre la main qui l’a nourri ?

Certains opposants souhaitent que la machine Sarkozy se détruise d’elle-même. À force de tout promettre, de chercher des alliés à gauche, au centre, de gouverner à droite, de défendre des mesures qui ne manqueront pas d’être impopulaires, d’occuper quasiment la place du premier ministre, habituelle tête de Turc pour les électeurs, le président ne pourra que se retrouver dans des positions fâcheuses, soulever la colère à droite et à gauche, et auprès d’une population moins prompte à le suivre.

Les plus réalistes voient surtout la difficulté des luttes qui s’annoncent. Et ces luttes dépassent largement la confrontation avec un président qui ne fait que suivre les préceptes néolibéraux appliqués par ses prédécesseurs, mis en place dans tous les pays occidentaux, à quelques nuances près, et imposés auparavant dans les pays du Sud. Pour bien des militants, la combativité des Français, leur promptitude à descendre dans la rue, à se battre pour protéger certains services, servaient d’inspiration. L’élection d’un gouvernement ayant fait franchement campagne à droite provoque de sérieuses réflexions sur l’orientation de la lutte et sur les stratégies à adopter.

Un combat difficile est souvent d’autant plus nécessaire. Ainsi, de notre côté de l’Atlantique, faut-il rester attentif à l’orientation des résistances en cette France éprouvée à sa gauche, mais aussi à celles qui s’organisent ailleurs, en Amérique et en Europe surtout, puisque le plan d’action contre lequel il faut se battre est partout le même. Ce qui arrive en France, somme toute, ressemble à une histoire dont on reconnaît trop aisément les épisodes.

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