Eric Zemmour, nouvelle roue de secours du macronisme

No 91 - Printemps 2022

France

Eric Zemmour, nouvelle roue de secours du macronisme

Francis Lagacé

Le candidat Zemmour offre à l’hégémonie néolibérale un repoussoir plus menaçant que Le Pen, devenue trop mainstream. Les grands groupes médiatiques se font fort de mousser sa candidature, permettant ainsi au macronisme de se présenter une nouvelle fois comme le « sauveur » de la démocratie.

Zemmour flatte l’égoïsme des individus ainsi que cette France rancie qui regrette encore Pétain.

Comme Sarkozy, il est fils d’immigrant. Comme lui, il se méfie de l’immigration. Tous deux ne semblent pas se rendre compte que si, du temps de leurs parents, on avait appliqué les règles sévères qu’ils appellent, ils ne seraient pas sur le territoire français.

Zemmour estime qu’un prénom comme Hapsatou est une insulte à la France, parce que non français. Il propose qu’on suive le calendrier pour les noms de saints. Pourtant, saint Éric, dont le prénom est d’origine scandinave, ne doit sa présence dans le calendrier qu’à sa conversion. Il existe par ailleurs un saint Habib, qui n’est pas d’origine française, mais syrienne, et son nom est arabe.

Dans son livre Le suicide français, le présidentiable regrette le temps où « quand le jeune chauffeur de bus glisse une main concupiscente sur un charmant fessier féminin, la jeune femme ne porte pas plainte pour harcèlement sexuel ».

Ainsi, comment un homme qui est ouvertement raciste, xénophobe, misogyne et homophobe peut-il se hisser à ce point sur toutes les tribunes ?

L’appui de l’hégémonie culturelle

Pour expliquer ce phénomène, il faut préciser qu’Éric Zemmour est adoubé par l’hégémonie culturelle, et qu’il est lié au groupe Vincent Bolloré (grand propriétaire de journaux et de chaînes télé). Ce groupe favorise un ordo-libéralisme [1] autoritaire et se fait fort de présenter un héraut dérangeant pour le discours dit « démocratique » et rassurant pour les partisans de la vieille France.

C’est d’autant plus facile que les chaînes de sa propriété, comme CNews (où sévit désormais Mathieu Bock-Côté), utilisent un stratagème permettant de détourner les règles du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ces règles exigent que « le reste du temps total d’intervention [celui qui n’est pas réservé au gouvernement] [soit] réparti selon le principe d’équité entre les partis et mouvements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale ». Or, les chaînes du groupe Bolloré diffusent toutes les apparitions de la gauche (Nouveau Parti anticapitaliste et France insoumise) pendant la nuit, comme certaines stations de radio québécoise se débarrassent de leur quota de chansons francophones pendant la nuit afin de réserver le jour aux hits états-uniens.

Une confusion politique qui favorise l’extrême droite

Même si les chances qu’Éric Zemmour soit élu comme président de la République française sont relativement faibles, rien n’est impossible, comme l’a montré l’élection de Donald Trump aux États-Unis. D’ailleurs, le système de l’élection à deux tours ainsi que la grande confusion qui règne dans l’électorat français au sujet de ce que sont la gauche et la droite favorisent nettement la droite et l’extrême droite. Le Parti socialiste, qui est un parti de droite néolibérale depuis au moins Hollande, et le mouvement La République en Marche, qui se prétend de centre, mais pratique la politique la plus droitière de toute la Cinquième République, se réclament souvent de la gauche. On imagine donc qu’une personne vaguement au courant des réalités politiques et qui s’affirme de droite finira par considérer l’extrême droite comme présentable.

Macron a été élu en 2017 sous la fausse menace de l’élection de Marine Le Pen. Or, à force de dédiaboliser Marine Le Pen, les médias ont rendu acceptable son programme. On ne la trouve plus assez dangereuse pour constituer le repoussoir dont la droite néolibérale avait besoin. Elle est quasiment devenue une libérale. D’ailleurs à part son rejet de l’Europe, qu’est-ce qui la distingue de Macron ? Le Pen est en effet contre l’impôt sur les fortunes, pour la surveillance des chômeur·euses et contre l’immigration, exactement comme le président qui tient de beaux discours, mais éventre les tentes des migrants à Calais.

Inversement, à part ce rejet de l’Europe, Le Pen ne ressemble en rien à Jean-Luc Mélenchon, à qui on n’a pourtant de cesse, dans les médias bon teint, de l’associer. D’ailleurs, ce ne sont pas du tout pour les mêmes raisons que les adversaires s’opposent tou·tes deux à l’Europe. Chez Le Pen, c’est à cause de sa préférence nationale (ainsi que par crainte du « grand remplacement », thème si cher à Éric Zemmour) ; chez Mélenchon, c’est parce que l’Europe économique restreint les mesures sociales.

L’épouvantail du macronisme

Le calcul de l’oligarchie – et encore là il ne faut voir aucun complot, mais plutôt un réflexe conditionné – est le suivant : il faut créer un danger plus grand, une figure plus effrayante. La nouvelle roue de secours du macronisme est ainsi un personnage rocambolesque aux déclarations incendiaires, déjà poursuivi et condamné pour propos racistes, qui se pose en champion de la liberté d’expression, se plaignant comme tous les extrême droitistes de ne « plus pouvoir rien dire » tout en répétant haut et fort toutes ces choses qu’ils prétendent « ne pas pouvoir dire », devant toutes les foules, sur tous les plateaux de télé, dans toutes les radios et dans tous les journaux – exactement comme notre Mathieu Bock-Côté national, qui braille dans tous les haut-parleurs de l’empire Québecor qu’il est censuré, tout en étant désormais un chroniqueur chouchou de l’extrême droite française.

Si la réélection du champion du néolibéralisme est assurée, les grands groupes médiatiques laisseront tomber Zemmour comme une vieille chaussette sale. Cependant, si un véritable candidat de gauche est susceptible de se rendre au second tour, la machine pompera au maximum pour l’extrême droitard – quitte à faire élire un énergumène qui représentera un véritable pactole pour l’industrie de la sécurité.

En prétextant de la menace du désordre fasciste – qui est en fait un ordre absolu permettant le ronron de la machine productrice –, on s’assure que les électrices et électeurs rentrent dans le rang. On espère ainsi faire le second tour dans le premier, exactement comme en 2017.


[1NDLR : Apparu après la Première Guerre mondiale, l’ordo-libéralisme est l’une des formes du néolibéralisme. Il promeut la « liberté économique » et il encourage les initiatives individuelles et les mécanismes du marché. L’ordo-libéralisme insiste aussi sur le rôle central de l’État, qui doit garantir le cadre normatif et juridique nécessaire à l’existence de la « libre concurrence ».

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