Mieux vivre nos professions

No 58 - février / mars 2015

Mieux vivre nos professions

Entrevue avec Régine Laurent, présidente de la FIQ

Régine Laurent, Monique Moisan

La négociation dans le secteur public et le projet de loi 10 du ministre Barrette sont des enjeux majeurs cette année pour la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Lors d’un entretien avec la présidente, Régine Laurent, nous avons abordé les thèmes faisant partie des priorités de l’organisation et de ses membres.

Propos recueillis par Monique Moisan

À bâbord ! : Quelle a été votre approche pour préparer votre projet de convention qui a été soumis au ministre de la Santé ?

Régine Laurent : On a d’abord demandé à nos équipes locales de faire un travail terrain, de tenir des assemblées et de recueillir les grandes préoccupations de nos membres en vue de la négociation à venir. Par la suite, le comité de négociation a fait la compilation de toutes les propositions et on a produit un document les regroupant sous quatre thèmes. Le comité exécutif est alors parti en tournée avec ce document afin que les assemblées locales votent formellement les quatre grandes priorités de la négociation : 1. la diminution de la charge de travail, 2. la diminution de la précarité d’emploi, 3. la bonification des conditions de travail – et ce, dans un objectif d’attraction et de rétention –, et 4. la reconnaissance de la formation et la valorisation de nos professions, qui est un objectif très particulier.

En septembre 2014, les délégué-e-s ont adopté le projet de convention collective que nous avons soumis au gouvernement, en ce qui concerne nos propositions sectorielles. Pour ce qui est de l’intersectoriel – comme les salaires, le régime de retraite, les droits parentaux –, nous avons fait une coalition avec la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Nous sommes deux organisations se ressemblant à bien des égards, et nous avons voulu nous regrouper et demander au gouvernement qu’on ait ensemble une table économique, une table de discussion où débattre de ces sujets. Jusqu’à maintenant, c’est une expérience vraiment très intéressante. Nous organisons aussi des activités ensemble.

ÀB ! : Comment envisagez-vous la diminution de la charge de travail ?

R.L. : Quand on parle de diminution de la charge de travail, la première préoccupation est de stabiliser les équipes en favorisant les postes à temps plein. Actuellement, plus de 50% des infirmières et plus de 60% des auxiliaires sont à temps partiel. Lorsque sur une équipe de cinq personnes il y en a trois qui ne sont pas habituées, cela peut avoir de sérieux impacts sur notre capacité de réaction face à une personne ayant un besoin urgent, et donc sur la qualité des soins.

Nous sommes face à une philosophie de gestion telle que l’employeur refuse par exemple d’afficher les postes à temps plein même si cela est justifié, mais en plus, il n’y a aucune planification de la main-d’œuvre. Pourtant, cela permettrait d’éviter de recourir à des agences ou au temps supplémentaire. On peut évaluer, pour les cinq prochaines années, le nombre de départs à la retraite, ce qui n’est pas fait actuellement. Cela permettrait de prévoir le recrutement en conséquence et d’assurer le transfert d’expertise des plus anciennes avant leur départ. Pour plusieurs, au moment de prendre leur retraite, ce qui leur brise vraiment le cœur, c’est de ne pas avoir pu transmettre leur expertise.

ÀB ! : Pourquoi une campagne de valorisation et de reconnaissance de la formation ?

R.L. : Il y a un haut niveau de détresse, et il n’y a plus de valorisation de la profession de la part de l’employeur. On voit plutôt la concurrence au sein d’une même équipe de travail, ce qui brise la solidarité. En fait, toutes nos demandes visent, en bout de piste, à assurer des soins sécuritaires à la population grâce à des équipes stables et valorisées.

ÀB ! : Quelle est votre impression générale du projet de loi 10 ?

R.L. : Dans le projet de loi 10, il n’y a rien pour le patient, rien pour les professionnelles en soin et rien pour régler le problème de l’accessibilité. C’est carrément idéologique. On tente d’imposer une structure analogue à la structure d’une compagnie. Par ailleurs, la mise en place de très grandes structures englobant plusieurs établissements pourrait ouvrir la porte à des appels d’offres internationaux, car le seuil minimum requis serait alors atteint. Par exemple, un appel d’offres pour des débarbouillettes pourrait devoir aller à l’international, avec un impact réel sur les PME québécoises qui fournissent actuellement les établissements de santé. En Alberta, la responsable du gouvernement a déclaré, en 2014, que les grandes structures n’ont pas de sens, il faut revenir à la proximité. Là-bas, on ne comprend pas ce que le Québec est en train de faire alors que l’Alberta recule. On en a pour au moins 10 ans afin d’harmoniser tout ça… Il y aurait d’autres projets de réorganisation des soins dans les cartons du ministre, mais on ne sait pas encore quoi. À mes yeux, quand on regarde ce à quoi les libéraux se sont attaqués, leur stratégie c’est de frapper tout le monde et frapper vite pour faire plier la société.

ÀB ! : Qu’en est-il de la mobilisation de vos membres ?

R.L. : Nos membres sont fortement mobilisées : nos priorités sectorielles ont été adoptées à plus de 90% des voix. Cela veut dire que le travail terrain a vraiment été bien fait, que les membres ont été rencontrées et écoutées et que le projet correspond à leurs attentes. Les perceptions que nous avons des différents problèmes se correspondent, ainsi que les voies de solutions. Collectivement, nous sommes fortes et nous avons l’espoir de mieux vivre nos professions. Toutes nos demandes visent également à offrir de meilleurs soins, et c’est notre plus grande motivation.

Les gouvernements se succèdent et enclenchent des réformes pour soi-disant régler les problèmes du réseau de la santé… sans tenir compte du point de vue du personnel soignant qui, au quotidien, est à même d’identifier des solutions concrètes et applicables. Il serait grand temps qu’ils écoutent enfin les propositions de ceux et celles qui consacrent leur vie à prendre soin de leurs concitoyen·ne·s.

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