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Collectif À bâbord !
No. 58 • FÉVRIER / MARS 2015
Revue sociale et politique
info@ababord.org • www.ababord.org
COLLECTIF DE RÉDACTION
Normand Baillargeon, Luciano Benvenuto, Isabelle Bouchard, Philippe Boudreau, Jean-Pierre Couture, Isabelle Duchesne, Léa Fontaine (coordonnatrice), Philippe de Grosbois, Philippe Hurteau, Diane Lamoureux, Jean-Pierre Larche, Rémi Leroux, Gérald McKenzie, Monique Moisan, Amélie Nguyen, Jacques Pelletier, Ricardo Peñafiel, Yvan Perrier, Magaly Pirotte, Chantal Santerre, Ghislaine Sathoud, Claude Vaillancourt, Marc-Olivier Vallée.
COMITÉ D’ÉDITION
Luciano Benvenuto, Gérald McKenzie, Monique Moisan, Jacques Pelletier, Marc-Olivier Vallée (secrétaire de rédaction).
PRODUCTION & INFOGRAPHIE
Luciano Benvenuto, Monique Moisan.
ILLUSTRATIONS
Aprilus, Mathieu Chartrand, Pierre Crépô, Rémi Leroux, Gérald McKenzie, Simon Pagé, Luciano Benvenuto (couverture).
VERSION NUMÉRIQUE
Luciano Benvenuto
COLLABORATIONS SPÉCIALES
Paul Beaucage, Émilie Bernier, Marisa Berry-Méndez, Collectif des Louves, Collectif Éducation sans frontières, Claude Côté, Martine Delvaux, Benoit Gaulin, Jill Hanley, André Jacob, Marie France Labrecque, Véronique Laflamme, Lucie Lamarche, Nadine Lambert, Régine Laurent, Martin Poirier, Stéphane Poirier, Ramon Vitesse.
Une revue sociale et politique.
Un espace ouvert pour le débat politique et l’intervention sociale
La revue À bâbord! est imprimée par Héon & Nadeau Ld.
Le site de la revue est hébergé par Koumbit.org
Dépôt légal bibliothèque nationale du Québec. ISSN 1710-2091
Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques.
La revue À bâbord! est une publication indépendante, sans but lucratif, paraissant cinq fois par année depuis sa fondation en 2003. Elle est éditée par des militantes et des militants de toutes origines, proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre hommes et femmes et dans nos liens avec la Nature.
La revue a pour but d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord! veut appuyer les efforts de ceux et celles qui dénoncent les injustices et organisent la rébellion.
Les articles de la revue peuvent être reproduits à condition d’en citer la source.
PK BuKFC` ` OEBPS/Flow_1.htmlÉditorial
Né-e-s pour un petit pain ?
Depuis avril dernier, le spectre de la lutte des classes hante à nouveau le Québec. Cette fois-ci, ce ne sont toutefois pas les classes populaires qui luttent pour plus de dignité, de justice ou de liberté. Non, nous assistons plutôt à la revanche des élites contre les peuples. Rigueur et austérité sont les maîtres mots des officines gouvernementales qui s’acharnent sur les plus pauvres, alors que les riches ne se font pas embêter dans leurs paradis fiscaux ou pour leurs primes mal acquises (qu’il s’agisse de député-docteur ou de banquiers) !
Au pays du « je me souviens », nous avons la mémoire courte. Alors que dans un élan de solidarité, au moment de la Révolution tranquille, nous avons travaillé collectivement à nous sortir de la pauvreté et nous doter d’institutions et de programmes sociaux, nous assistons actuellement à un rétrécissement de nos horizons, au rapetissement de nos espoirs, soumis à la logique comptable de la lutte au déficit budgétaire.
Il n’y a pas d’autres motifs pouvant expliquer une telle politique que la hargne des plus riches qui vivent dans un autre monde que le commun des mortels. Le nouveau mantra de nos élites, c’est celui de la baisse des impôts. Le déficit zéro est leur religion, pas si nouvelle. Leur stratégie : anémier les services publics pour que les plus aisé·e·s puissent se payer des services de première classe, tandis que les autres en seront réduits à choisir entre se loger ou se faire soigner, comme c’est déjà le cas chez nos voisins du sud qui leur servent de modèle à imiter. Prolifération des commerces de luxe, d’un côté, des banques alimentaires de l’autre. Exit le service public et vive le retour des tarifs : de plus en plus cher pour de moins en moins de services !
Même politique ? Mêmes résultats
Cette politique nous conduit dans un cycle infernal : l’État, toujours à court de revenus du fait des baisses d’impôt consenties surtout aux entreprises et aux riches, incapable d’investir, devra imposer de nouvelles compressions qui affaibliront encore plus les services publics et les programmes sociaux, tout en appauvrissant un nombre croissant de personnes. L’autre volet d’une telle politique, c’est un État sécuritaire, brandissant le flambeau de « la loi et l’ordre ». C’est la logique qui a été à l’œuvre dans les programmes d’ajustement structurel qui ont affecté les pays du Sud dans les années 1990, de même que dans les programmes d’austérité imposés aux pays du sud de l’Europe ces dernières années.
Ceux qui orchestrent cette politique n’ont rien retenu de la crise économique mondiale de 2008. Comme des apprentis sorciers, ils renouvellent leur foi aveugle dans le capitalisme. Ils n’ignorent pas la misère que l’austérité va créer, mais refusent de la voir, murés qu’ils sont dans leurs intérêts privés, indifférents au sort de leurs compatriotes, puisque leur horizon c’est le jet-set international et leur passeport le sésame de la langue anglaise. L’éducation doit servir à préparer une main-d’œuvre docile et compétente, pouvant de surcroît parler en anglais aux investisseurs, forcément étrangers. La santé, ce sont les exploits technologiques de la médecine de pointe pour ceux qui peuvent se l’offrir ; tandis que les autres devront se contenter au mieux d’une médecine publique dégradée par les réformes incessantes, au pire d’une médecine payante, de médicaments surfacturés, de soins de plus en plus onéreux, entre autres pour les enfants, les personnes handicapées ou les personnes âgées.
Il n’y a rien d’inéluctable dans ce scénario ! L’extraordinaire printemps érable de 2012 a vu se lever une jeunesse forte de ses rêves et de sa générosité. L’indignation s’est répandue un peu partout et le refus de l’austérité fait tache d’huile ; même la Banque mondiale et le FMI se posent des questions sur l’efficacité de cette orientation qui a pourtant longtemps été la leur. Plusieurs gouvernements d’Amérique latine cherchent d’autres voies. Dans le sud de l’Europe, soumis depuis près d’une décennie aux diktats de la « troïka », des alternatives se font jour : certaines alarmantes, comme la montée de la peste brune et du racisme, d’autres plus prometteuses incarnées par les partis Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne.
À défaut de pouvoir le faire dans les urnes, il nous faut mettre en échec la stratégie libérale dans la rue. Les réformes actuelles en éducation, en santé et dans les services sociaux n’ont pas d’autres logiques que de détériorer suffisamment les services pour nous faire souhaiter une privatisation, tandis que le communautaire servira de roue de secours pour les plus pauvres. Les uns après les autres, nous sommes toutes et tous visés. Comme le soulignait il y a longtemps La Boétie, la force du pouvoir tient à notre « servitude volontaire » et à notre méfiance les un·e·s par rapport aux autres. Il n’en tient qu’à nous de leur offrir ce beau démenti qui a pour nom solidarité. Ω
Collectif de rédaction de la revue À bâbord!
PK [uKF;;# ;# OEBPS/Flow_10.htmlComités Printemps 2015
Ode à la grogne populaire
Si les mesures d’austérité du gouvernement libéral actuel semblent nous arriver comme un coup de poing au ventre, elles s’inscrivent pourtant dans un vent idéologique qui est loin d’être nouveau.
Depuis la fin des années 1970, le néolibéralisme imprègne les gouvernements successifs dans la plupart des démocraties avancées d’une idéologie du portefeuille qui travaille à désengager l’État de ses responsabilités sociales pour prioriser l’entreprise privée. Un peu partout, l’austérité s’inscrit dans un mouvement de compressions du secteur public et de privatisations des services essentiels. Au Québec, le gouvernement de René Lévesque lançait le bal avec le budget de Jacques Parizeau, déposé le 10 mars 1981, qui comportait de vastes compressions d’un milliard de dollars dans le secteur public. Dans les années 1995-1997, Lucien Bouchard se met à marteler l’objectif du déficit zéro. Sous le gouvernement Charest, nous voyons naître le Plan Nord et les coupes continuent de s’accentuer sévèrement. Avec Couillard, nous assistons à une continuation plutôt prévisible du projet néolibéral au Québec. Parallèlement, il y a présentement une invasion totale de nos territoires par les compagnies pétrolières, que l’État, obsédé par l’ouverture du marché aux firmes multinationales, accueille à bras ouverts. Au bout du compte, le calcul est simple : appauvrir massivement la population, pour ensuite imposer des « solutions miracles » qui passent par le saccage environnemental et avantagent les grandes entreprises.
Nous constatons que derrière ces politiques se cache une volonté antidémocratique de dépolitiser les débats sociaux, en les réduisant à un discours économique. Nous disons que la population générale est lasse de se faire enfoncer dans la gorge des politiques qui vont à l’encontre de son intérêt général. La société n’a d’autre choix que de se lever contre un autre gouvernement autoritaire et paternaliste, et doit entreprendre dès maintenant une marche résolue contre ces politiques d’austérité et d’extractivisme si elle veut espérer un avenir viable. Nous croyons que ce printemps, alors que se renégocieront plusieurs conventions collectives importantes au Québec, représente un momentum important à saisir. En ralliant les milieux travailleurs, étudiants et populaires, nous aurons l’occasion tous et toutes ensemble d’établir un rapport de force puissant contre le gouvernement Couillard. Les Comités Printemps 2015 aspirent à servir de porte-voix et de base unificatrice au mouvement social en marche.
Rameuter pour contourner les structures traditionnelles
La volonté première est de créer un espace combatif large, permettant à tous et toutes de se réunir et de s’organiser pour une solide escalade des moyens de pression. Nous observons que de nombreux travailleurs et travailleuses syndiqué·e·s et plusieurs syndicats locaux, quels que soient leurs secteurs d’activités, sont habité·e·s d’un vif désir de passer à l’action. Toutefois, force est d’admettre que le Code du travail québécois a imposé d’immenses limitations à l’élaboration d’une lutte politique émanant des bases syndicales traditionnelles. Entre l’interdiction de faire grève pendant toute la durée des conventions collectives, les injonctions qui les encadrent, la loi sur les services essentiels et l’efficacité des méthodes de répression gouvernementale avec les lois spéciales, les dés semblent pipés d’avance. Devant cette conjoncture paralysante, nous croyons que les leçons du syndicalisme de combat, de la démocratie directe et des rassemblements populaires pourraient permettre de contourner l’intimidation étatique. C’est en créant nos propres lieux de rassemblement, de partage d’information et d’organisation que nous arriverons à tisser un dialogue social puissant en mesure de s’opposer au discours gouvernemental.
Les Comités Printemps 2015 misent sur une structure parfaitement horizontale et autonome, s’organisant autour des principes de la démocratie directe : au sein du mouvement, quelle que soit son implication individuelle, tous et toutes parlent et agissent en leur nom propre. La formule semble efficace. Depuis le mois de septembre, de nombreux Comités Printemps 2015 sont apparus un peu partout sur le territoire québécois. À Montréal seulement, on compte un comité femmes, un comité environnement, un comité bien-être collectif, un comité histoire, etc. Le comité large, pour sa part, a pour fonction de permettre une coordination entre ces différentes instances autonomes, tout en fournissant un espace de rassemblement et de discussions ouvert à tous et toutes (1).
Un élan solidaire pour le bien commun
Rejetant toute affiliation politique partisane, nous choisissons une structure libre qui permet de favoriser la multiplication des discours et d’encourager la diversité du mouvement. Né d’un désir de solidarité, le mouvement se veut conséquemment en opposition avec toute forme d’oppression. Ce sont les couches les plus vulnérables et sous-représentées de la société qui subiront de plein fouet les coupes dans les services publics et les conséquences de l’exploitation irresponsable de notre environnement, à commencer par les femmes, les populations autochtones, les communautés racisées, les sans-emploi et les sans-abri. Il est donc nécessaire, pour lutter d’un front commun contre les politiques qui nous nuisent collectivement, de mener un combat parallèle contre le racisme, le colonialisme, le sexisme, l’exclusion sociale et toute autre forme de discrimination et d’oppression. Nous nous donnons ainsi les moyens de dépasser nos divergences politiques et nos appartenances multiples, en abattant les obstacles à l’unité sociale. C’est dans l’espoir d’une société plus égalitaire où l’autonomie et la différence seront reconnues et célébrées que nous voulons regagner nos lieux communs. C’est dans un arrangement disparate, coloré et vibrant de grogne solidaire que nous arriverons ensemble à reprendre nos rues, réclamer nos droits, faire entendre nos voix. Transperçons nos frontières et ensemble, fabriquons demain. Ω
PK [uKFE}' }' OEBPS/Flow_11.htmlTravail
Projet de loi C-525
Attaque fédérale contre la syndicalisation
Ce n’est pas la première fois que l’accès à la syndicalisation par les travailleuses et travailleurs des entreprises de nature fédérale est menacé. Mais il n’est plus question de paroles en l’air, le gouvernement fédéral est passé des menaces aux actes. Fini le décompte des cartes d’adhésion, passons au vote secret; et l’abolition syndicale avec ça !
Pierre Crépô
Parrainé par le député conservateur albertain Blaine Calkins, le projet de loi C-525 contourne allègrement le processus éprouvé depuis des dizaines d’années, qui réside en l’organisation de consultations tripartites entre les employeurs, les syndicats et le gouvernement pour modifier le Code canadien du travail. Et ce, malgré le fait que des employeurs et des spécialistes des relations industrielles ont prévenu le Parlement canadien qu’une adoption trop rapide du projet de loi serait très néfaste. Le projet a finalement été adopté par la Chambre des communes en avril 2014, après seulement trois heures d’étude par un comité parlementaire. L’automne dernier, le législateur s’est empressé d’agir : après l’adoption en Chambre, lorsque des erreurs sont relevées dans un texte – comme c’est le cas en l’espèce – et que le Sénat procède à des modifications, habituellement, le projet de loi doit retourner en Chambre des communes afin d’obtenir l’assentiment des député·e·s. Or, dans le cas du C-525, les sénateurs conservateurs ne voulaient pas retarder le processus. Concrètement, ils ne voulaient pas risquer que le projet de loi ne soit pas adopté. Ce dernier a donc été adopté tel quel, le 16 décembre dernier.
La dénomination du projet lui-même est assez vicieuse, car elle laisse entendre que les travailleurs·euses ont à y gagner : il est en effet question de la « Loi sur le droit de vote des employés ». Ce projet de loi C-525 vise, purement et simplement, à casser la syndicalisation dans les entreprises de nature fédérale, et concerne pas moins de 800 000 travailleuses et travailleurs.
Jusqu’alors, la législation fédérale permettait l’accréditation syndicale automatiquement, par simple décompte des cartes d’adhésion des travailleurs et des travailleuses. En vertu du Code canadien du travail, le Conseil canadien des relations industrielles doit accréditer le syndicat sans organiser de scrutin secret s’il est convaincu que la majorité des travailleurs·euses de l’unité de négociation proposée appuie la syndicalisation.
Mais le projet de loi C-525 force maintenant la tenue d’un vote secret des travailleurs·euses. En outre, pour qu’une demande d’accréditation soit acceptée, il faudra l’appui de la majorité des personnes salariées et non seulement la majorité des participant·e·s au vote.
Le résultat, c’est qu’il est aujourd’hui plus facile de dissoudre un syndicat. Toute travailleuse ou tout travailleur qui voudrait révoquer son syndicat n’aurait qu’à démontrer à la Commission du travail qu’au moins 45 % de ses collègues sont d’accord avec lui ou elle. La Commission demandera alors la tenue d’un scrutin secret. Le syndicat doit impérativement obtenir plus de 50 % des votes de ses membres pour ne pas être dissous.
Conclusion
Après le projet de loi fédéral sur la transparence financière des syndicats, qui est toujours à l’étude au Sénat, cette double attaque – scrutin secret et dissolution syndicale – n’est pas surprenante. Les gouvernements conservateur et libéral font peu de cas de la syndicalisation; leur idéologie les pousse à l’agiter comme un épouvantail destiné à effrayer les travailleuses et les travailleurs. Ce qui a primé dans cette réforme législative, ce n’est ni son impact sur les salarié·e·s ni son effet sur le fragile équilibre des relations de travail entre ces derniers et l’employeur, soit la paix industrielle. Bien au contraire, seule l’idéologie conservatrice antisyndicale importait. En effet, les mesures introduites par ce projet de loi n’ont d’autre intention que de nuire à la syndicalisation des travailleuses et travailleurs du secteur fédéral. Il est possible ici de faire le parallèle entre le comportement parlementaire qui a prévalu dans cette histoire et celui d’un employeur : concrètement il s’agit d’intimidation, d’entrave et de domination sur les syndicats et leurs membres. Un employeur se comportant de la sorte serait condamné aux termes du Code du travail du Québec.
Cette législation n’est qu’une attaque parmi d’autres destinées à affaiblir le rapport de force opposant employeur et travailleurs·euses, le droit d’association et la représentation collective visant la négociation collective des conditions de travail. Le processus actuel, soit celui de la signature des cartes d’adhésion des membres, est le meilleur moyen de protéger les travailleuses et les travailleurs contre la pression patronale. Les syndicats fédéraux s’unissent actuellement pour surveiller de près l’application de cette loi dès 2015. Ω
Entreprises de nature fédérale
Aux termes de la Constitution canadienne (art. 91), par défaut, le législateur provincial est compétent en matière de lois du travail. Toutefois, il est possible que le législateur fédéral (art. 92) intervienne dans ce domaine, lorsque les activités normales et habituelles de l’entreprise ont un caractère fédéral : tel est le cas pour le transport interprovincial ou international, la poste, les banques, etc.
Les syndicats nuisent-ils au Québec ?
Selon notamment l’Institut économique de Montréal (1) (IEDM), le haut taux de syndicalisation du Québec (39,9 % de la main-d’œuvre) serait la cause du faible investissement économique, du faible taux d’initiatives privées et de la lenteur de la croissance économique. Ces inconvénients s’expliqueraient principalement par « l’absence d’un équilibre, comparable à celui présent chez nos principaux concurrents économiques, dans les relations de travail entre syndicats et employeurs […] ». Depuis des années, l’IEDM fait campagne pour modifier le Code du travail dans le but d’imposer un scrutin secret.
Les syndicats résistent avec force à ces menaces. Car selon eux, et comme l’affirme l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), « un taux de syndicalisation élevé est synonyme d’un marché du travail offrant des emplois plus stables et mieux rémunérés, une répartition des richesses plus égalitaire et une meilleure capacité collective à influer sur les choix et orientations politiques des gouvernements (2) ».
PK \uKF# # OEBPS/Flow_12.htmlAlma ville de combat !
Telle devrait devenir la devise de cette ville créative de 30 000 âmes jeannoises. Au cours des années, elle a été le théâtre de nombreux conflits et de luttes qui ont forgé son histoire. La ville d’Alma est constituée de deux pôles industriels : Rio Tinto Alcan (RTA) depuis 1943 et Produits forestiers Résolu (initialement Price) depuis 1925.
À elles seules, ces usines ont mis en scène de nombreux conflits de travail qui ont marqué ses citoyen·ne·s. En conséquence, il serait ambitieux de présenter l’ensemble de ceux-ci. Nous limiterons notre courte analyse à quatre événements qui ont en commun leur contemporanéité et leur caractère avant-gardiste. En effet, ces situations se sont produites dans les trois dernières années et elles revêtent un caractère annonciateur d’une tendance qui pourrait se généraliser ailleurs.
Un lock-out chez RTA à saveur internationale
Le 30 décembre 2011, les syndiqué·e·s de l’usine RTA ont été forcé·e·s de quitter celle-ci à la suite du déclenchement d’un lock-out. Les demandes syndicales étaient novatrices : lutte à la sous-traitance et maintien d’un plancher d’emploi. Personne ne pourra les accuser de corporatisme. Le conflit a pris des allures internationales, le président du syndicat local ayant fait le tour du monde pour dénoncer des pratiques dégradantes de la multinationale à visage inhumain.
La stratégie syndicale a été originale, car elle s’est concentrée sur les relations publiques et les stratégies de communication au lieu des habituels moyens de pression. Ainsi, la réaction au lock-out devait être propre. Des modérateurs se sont chargés d’aplanir les commentaires sur leur page Facebook fort populaire. La ville est devenue le théâtre d’une grande marche de solidarité où pas moins de 7 000 personnes de partout peupleront les rues.
À travers ce conflit, il y a eu une politisation d’un enjeu qui, au départ, ne semblait être qu’un conflit de travail ordinaire. Cette situation forcera une prise de conscience des travailleurs·euses de Rio Tinto Alcan à propos des enjeux nationaux du travail qui prendra forme à travers une solidarité internationale créée par les métallos des quatre coins du monde.
Un printemps étudiant en plein hiver
Si le conflit étudiant s’est davantage polarisé au printemps 2012, c’est au collège d’Alma qu’il s’est judiciarisé en premier. En riposte à l’injonction du 30 mars, les militant·e·s du cégep ont décidé de l’invalider par la force, confrontant ici le judiciaire et le politique. Le 2 avril, ils ont déplacé le mobilier du collège afin d’en bloquer les accès. Étant donné le nombre de personnes mobilisées, il a été impossible pour les employé·e·s du cégep d’intervenir, forçant ainsi la direction générale à annuler les cours pour la journée. Le lendemain, les entrées furent surveillées par des agents de sécurité qui vérifiaient les cartes d’identité. Une fausse alerte à la bombe força tout le monde à évacuer l’établissement pendant 45 minutes. Au cours de l’après-midi, une manifestation fut organisée devant le Palais de justice afin de dénoncer l’injonction.
Ces différents événements permettent de mettre en lumière l’action autonome et déterminée des étudiant·e·s visant à faire respecter l’aspect politique du conflit. Nous nous demandons si cette judiciarisation n’a pas été orchestrée comme une pratique à petite échelle avant de l’étendre au reste de la province. Nous croyons en effet que le collège d’Alma a été le banc d’essai du conflit étudiant, mais qu’il n’a malheureusement pas bénéficié de l’attention et de l’appui qu’il méritait à l’époque.
IGA, une très courte mais efficace grève
Plus récemment, les 27 et 28 novembre derniers, les employé·e·s de la coopérative IGA d’Alma, membres d’un syndicat affilié à la CSN, ont eu le temps de faire grève et d’accepter à 98 % l’entente de principe. Ils ont notamment obtenu la mise sur pied d’un REER collectif où l’employeur cotisera. La décision de déclencher une grève dans ce secteur quelques semaines avant la période des Fêtes s’est révélée drôlement plus efficace. Nous estimons que ce premier règlement pourra en inspirer d’autres dans la région et que les tentatives de négociations regroupées porteront leurs fruits.
Un lock-out éternel chez les concessionnaires automobiles
Les conflits précédents ont tous été réglés de manière relativement satisfaisante. Or, les quelque 450 employé·e·s de garage de 25 concessionnaires automobiles en lock-out de la région du Saguenay-Lac-St-Jean sont sur le trottoir depuis 24 mois. Les demandes de leur syndicat affilié CSD sont de conserver les acquis des travailleurs et des travailleuses.
Un médiateur spécial a été nommé par le ministère du Travail. Depuis le début du conflit, les syndiqué·e·s demandent à la population de les appuyer notamment en retardant les achats locaux de véhicules ou en les achetant dans une autre région. La page Facebook des syndiqué·e·s fait régulièrement état de la situation : espionnage, dénonciations, fausses accusations, empoignades, etc. Les radios locales se font très critiques des tactiques syndicales.
À nos yeux, ce conflit est une attaque à la représentation syndicale. Le regroupement en une instance régionale patronale pour tenir tête aux syndiqué·e·s est une tactique à surveiller. Par ailleurs, la partie patronale utilise des injonctions dont la portée est juridiquement inspirée de celles de la grève étudiante. Les concessionnaires tentent à chaque occasion de porter plainte auprès des lock-outé·e·s pour outrage au tribunal, revendiquant même des peines de prison pour leurs employé·e·s. Des dizaines de requêtes de la sorte ont été répertoriées.
Quelles leçons ?
En dernière analyse, on peut se demander quels sont les facteurs explicatifs de cette avant-garde régionale ? Quelles leçons tirer de ces conflits ? Quelles conséquences auront-ils sur la résolution de futurs conflits ? Comment éviter la judiciarisation des luttes ? Comment les internationaliser davantage ? Quelle sera la place de Facebook et des autres réseaux sociaux dans la résolution de conflits de travail ? Le recours à la grève dans une coopérative est-il une solution porteuse ? Comment éviter que des conflits perdurent dans le temps ? Il est encore trop tôt pour conclure. Ω
PK `uKFKAx1 1 OEBPS/Flow_13.htmlFéminisme
Ce que haïr veut dire
J’écris cette chronique entre les dénonciations d’agressions sexuelles concernant Jian Gomeshi et Bill Cosby, celles qui ont envahi le web et tant de lieux d’activités, des salles des médias à la colline parlementaire en passant par l’université. Je l’écris à la veille du 6 décembre, 25 ans après l’attentat de l’École polytechnique et la mort de 14 femmes, des étudiantes, au bout d’une arme de destruction massive : la misogynie et l’antiféminisme.
ArtactQc
J’haïs les féministes », a dit Marc Lépine avant d’ouvrir le feu, des mots prononcés en plein « backlash » contre le féminisme, un ressac qui, entre ses mains, est devenu mortel. Un backlash est une réaction adverse soudaine et violente, un recul, le fait d’être tiré brusquement vers l’arrière. Dans le cas du féminisme, le message de Lépine ne pouvait pas être plus clair : les féministes devaient se taire. Non seulement elles ne devaient plus parler, leur mort étant une mise sous silence pour toute l’éternité, mais après les faits, devant les crimes, elles ne devaient pas dire que le massacre du 6 décembre 1989 était un attentat contre les femmes et contre les féministes. Mettre à mort les femmes, les féministes pour qu’elles ne puissent pas témoigner du mal qui leur est fait. Quotidiennement.
La journaliste Sue Montgomery, pendant la cérémonie de commémoration du 6 décembre dernier, rappelait le backlash des années 1990 de la façon suivante : « The «F» word – feminism – became a bad word… they didn’t want to hear that men hated us (1).» Au cours des dernières semaines, cette haine a été nommée 8 millions de fois sur Twitter via le mot-clic #BeenRapedNeverReported et ses nombreuses traductions, dont #AgressionNonDénoncée. La haine, c’est la balle qui transperce le corps d’une femme, ce sont les coups qui lui sont portés avec les poings ou le sexe, et c’est aussi cette « zone grise », comme l’a nommée ce jour-là Francine Pelletier, des violences domestiques et sexuelles qui ont pour objectif et pour effet de nous rendre « juste un peu moins libres », dixit la journaliste Josée Boileau le même jour. La haine, c’est ce jeu du chat et de la souris, comme l’exprime Günther Anders (La haine, Paris, Rivages, 2007), dont jouissent ceux qui haïssent, avides non seulement de déguster la souris, mais de « courir à ses trousses ». Une avidité qui relève ainsi à demi de l’amour et à demi de la haine, le plaisir d’attraper l’autre résidant dans le fait de différer le moment où on va l’attraper. Haïr serait un amour qui veut annihiler l’autre, le faire disparaître en l’absorbant en soi – le consommer, assimiler son corps, le faire sien et soi. Le prendre en soi après l’avoir chassé, un reflet de cette rengaine bien connue, souligne Anders, que celle des chasseurs qui se donnent comme de grands amis des bêtes qu’ils tuent. Figurer l’autre comme un animal ou un insecte n’a donc pas seulement à voir avec sa déshumanisation, son humiliation au statut de sous-espèce; ça a à voir avec l’expression de cette haine qui est amour de la haine, la haine comme amour.
En mai 2014, le tueur d’Isla Vista, dans une littéralisation du lien entre chasser et cette autre forme de chasse qui consiste à faire la cour, a ouvert le feu sur des femmes sous prétexte qu’elles ne voulaient pas sortir avec lui, qu’il les chassait sans jamais les attraper. Cette fois, il les a attrapées pour de bon, il les a tuées.
Boucs émissaires mortifères
Plus on chasse, plus on hait, dit Anders. Plus on est proche de la victime, plus on fait l’expérience de la haine. D’où le regard qu’il faut poser sur les nouveaux moyens de faire la guerre, penser à ce que ça signifie de tuer quand, entre soi et l’autre, la distance se fait de plus en plus grande, que les victimes deviennent une masse de plus en plus indistincte et leur visage effacé le pâle souvenir d’une lointaine humanité. Si, pour haïr, il faut être proche, si c’est la proximité du vrai combat qui fait haïr, que devient la haine quand le combat est mené dans la distance ? Pour pallier cette proximité, pour nourrir la haine, suggère Anders, reste à donner l’illusion d’un combat mené de près, et ainsi diaboliser un type, un groupe, « de préférence une minorité sans défense, qui la plupart du temps n’a rien à voir avec ceux qu’il s’agit de combattre ou d’éradiquer » pour, par ricochet, entretenir une haine qui permettra d’agir contre les ennemis. « Si vous souhaitez que vos gens combattent ou éradiquent un élément A inconnu d’eux, écrit-il, non perçu par eux, également impossible à percevoir et à haïr, vous engendrez en eux, par le moyen du langage ou de la caricature, la haine d’un B qu’ils croient connaître. » Et à la suite de cet exposé dans le dialogue philosophique entre le narrateur d’Anders et le président Traufe, on lit :
- Qu’est-ce que cela vous rappelle donc ?
- Les GI qui, le soir après leur journée, s’excitaient à l’aide de mighty sexy pin-up girls pour ensuite pouvoir, sur les girls insipides se tenant à leur disposition…
- Tirer leur coup à balles réelles ?
- You said it, buddy.
Ce n’est pas tant la question de l’image ou de la pin-up versus les femmes réelles qui m’intéresse ici, mais le fait que ce soit le rapport aux femmes qui serve d’exemple, et que s’y trouvent soudainement amalgamés combat et sexualité. Tirer leur coup à balles réelles, n’est-ce pas ce qu’ont fait les tueurs d’Isla Vista et Polytechnique ? Prendre de force des femmes et des féministes, qui se refusaient à eux et à la domination masculine, en tant que proies ? Dans cette perspective, comment ne pas relire les agressions non dénoncées comme une sorte d’envers de la violence extrême manifestée par ces meurtriers ?
Les femmes qui dénoncent ne sont pas des chasseresses, même si c’est ce qu’on tente de faire d’elles dans cette perversion de la réalité où les victimes se font dire qu’en fait, elles sont les bourreaux. Pourtant, elles ne tirent pas leur coup à balles réelles. Ce qu’elles font, c’est simplement sortir du silence, refuser d’obéir à l’injonction de se taire, refuser le fait qu’on leur interdit de parler, en tant que femmes et en tant que féministes, quand on leur demande de ne pas dire ce que ça signifie de vivre en faisant partie de ce groupe qu’on identifie comme « les femmes ». Ne pas dire « que les hommes nous haïssent ».
Et quand elles sortent du silence, c’est au prix du mépris, de l’arrogance, de la vengeance; au prix, encore et toujours, de la haine. Comme si à la haine, il fallait toujours plus de haine. Que quand devant la haine manifeste, on dénonce en disant : « Vous nous haïssez », la réponse est une deuxième salve de haine.
Contre la chasse, la lutte
Pour que la haine cesse, il faudrait d’abord pouvoir la localiser en soi, suggère Philippe Ivernel dans sa préface au texte d’Anders. Et de ça, sommes-nous capables ? Sommes-nous capables, au lieu de sortir notre arme à la vitesse de l’éclair, de débusquer la haine à l’intérieur de nous ? Dans cette perspective, sommes-nous vraiment capables, aujourd’hui, de laisser monter ce « F word » forcé de se tapir dans l’obscurité pendant de longues années, pour lui accorder enfin le droit de circuler dans cette forêt qu’est l’espace public ? Est-ce que ça ne commence pas par là : reconnaître la nécessité d’une lutte qui, contrairement à ce que laissent entendre ceux qui se font une joie de la détourner, n’est pas motivée par le goût du sang, mais par le besoin de se libérer des cages et des pièges qui continuent à rendre les femmes « juste un peu moins libres » ?
Parce que ce que disent ces voix qui montent comme un seul bruit, immense, l’expression collective d’une colère sourde qui n’est pas tributaire de la haine, mais d’un besoin de justice et d’égalité, c’est que le harcèlement de rue, la misogynie ordinaire, le sexisme, la violence conjugale et les variations innombrables sur le motif de l’agression sexuelle, sont autant d’expressions de ce dont les femmes sont encore l’objet : une chasse à courre.Ω
Simon Pagé
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