Faire l’économie du savoir

No 58 - février / mars 2015

Austérité et éducation

Faire l’économie du savoir

Isabelle Bouchard

Il y a quelque chose de contradictoire à associer l’éducation à une forme « d’économie du savoir ». C’est comme s’il fallait admettre que, pour qu’on la prenne au sérieux, l’éducation doive générer des profits et être partie prenante de l’économie. Comme si l’éducation relevait d’une véritable industrie. S’il est vrai qu’elle participe déjà à cette logique, il faut toutefois rappeler que sa visée première doit être émancipatrice, qu’elle doit permettre de générer et de partager des connaissances. Les paradoxes de cette logique économiste sont nombreux et ressortent de manière encore plus évidente dans un contexte d’austérité.

Au Québec comme ailleurs dans le monde, les cours à l’université sont de plus en plus donnés par du personnel dont les conditions de travail sont précaires. Alors que l’éducation doit se plier aux règles d’une logique comptable, la prestation des cours est désormais assumée à 50 % au 1er cycle au Québec par des contractuel·le·s qui, pour la plupart, travaillent dans des conditions difficiles. Si l’éducation rapporte, c’est donc sur le dos de ses travailleurs et travailleuses. La même tendance se dessine dans le réseau collégial. La formation régulière est dispensée par 40 % d’enseignant·e·s au statut précaire (cela, en excluant l’éducation des adultes). Si l’éducation, dit-on, est source d’enrichissement, ce n’est visiblement pas le cas pour une grande proportion d’enseignant·e·s…

Une politique contradictoire

La situation ne risque pas de s’améliorer. Devant les coupes imposées dans le financement des universités, des administrations ont annoncé qu’elles réduiraient le nombre de cours. Ce choix entraînera la mise à pied de personnes chargées de cours et réduira la diversité de l’offre de cours. La qualité de l’éducation, profondément liée à cette diversité, sera ainsi sacrifiée en faveur des impératifs de l’austérité, ce qui aura des effets à long terme sur le réseau de nos universités, si la situation n’est pas corrigée.

Le projet que réserve le gouvernement libéral au système d’éducation du Québec est très contradictoire. D’une part, selon la logique néolibérale qui nourrit ce gouvernement, l’édu­cation est un facteur qui favorise le développement économique. Mais d’autre part, il faut réduire son financement et donc l’affaiblir considérablement.

L’attaque de ce gouvernement contre l’éducation est frontale et touche tous les niveaux d’enseignement (sauf dans le secteur privé, semble-t-il), et cela, même si la Commission permanente de révision des programmes, dirigée par la mère de la réforme collégiale de 1993, Lucienne Robillard, a annoncé en grande pompe que l’éducation et la santé seront épargnées… pour le moment. Le prochain rapport de la Commission est attendu pour juin.

L’imposition de mesures d’austérité dans les réseaux primaire et secondaire n’est absolument pas nouvelle. Malgré quelques investissements sporadiques, force est de constater qu’il n’y a pas eu de réinvestissement majeur depuis fort longtemps ; les coupes ont toujours été pré­dominantes. Ainsi, il n’est pas rare que des professeur·e·s paient eux-mêmes les frais associés à l’achat de matériel dans leur classe. L’État a aussi cessé de financer le perfectionnement nécessaire à leur mise à niveau. Plus récemment, les enseignant·e·s ont vu diminuer leur nombre de journées de congé de maladie.

Des coupes chirurgicales un peu partout

Certains écoliers passent des journées dans des immeubles délabrés. Plusieurs n’auront plus le droit au petit-déjeuner et à l’aide aux devoirs. En jurant qu’il n’y aura pas de diminution de service direct aux élèves et sans s’appuyer sur quelque étude que ce soit, un projet de réduction du nombre de commissions scolaires est en cours, et ce, après avoir diminué drastiquement leur financement. Ce qui a inévitablement affecté les services. Ainsi, bon nombre de parents se sont vu refuser des programmes d’aide aux devoirs. Les plus privilégiés peuvent aller chercher ce service dans le privé, tandis que les autres, surtout dans les milieux pauvres, ne pourront pas en profiter. Par contre, en dépit de ces manques, un choix douteux a fait que les classes sont pourvues de tableaux interactifs coûteux…

Le réseau collégial est aussi victime des attaques libérales. En novembre dernier, on lui demandait de réduire son budget de 19 millions $, et ce, sans respecter les exercices budgétaires en cours. Ces compressions suivent celles de 20 millions $ annoncées six mois plus tôt et s’ajoutent à cinq autres vagues de compressions imposées aux cégeps ces quatre dernières années, pour arriver à un total de 109 millions $. Ces mesures affectent particulièrement certains établissements en région qui, déjà, se trouvent dans une situation où leur survie est en jeu. Doit-on craindre davantage pour leur existence ? À moins que l’intention des libéraux soit ultimement, à force de créer une situation financière toujours plus étouffante, d’imposer des frais de scolarité de manière à élargir les sources de financement ?

Toutes ces mesures destructrices qui affectent le milieu de l’éducation exigent une réponse ferme de la part de celles et ceux qui soutiennent un système public de qualité. Il faudra continuer à nous opposer avec force aux politiques de démantèlement de l’État québécois et affirmer haut et fort que nous n’avons surtout pas les moyens de faire des économies aux dépens de notre système d’éducation.

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