Vidanger les radios-poubelles au Saguenay

No 051 - oct. / nov. 2013

Culture

Vidanger les radios-poubelles au Saguenay

Collectif anarchiste Emma Goldman

« Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. » La maxime picturale des trois singes de la sagesse prend beaucoup de sens en l’associant aux façons dont les rapports de domination sont reproduits au quotidien dans notre société. Voilà que nous entendons constamment au sujet de la radio-poubelle qu’il faudrait feindre l’ignorance, banaliser les propos qui y sont tenus et la portée de ceux-ci, ou encore les accepter sous le couvert d’un humour grossier. Pour décrire la lutte contre les radios-poubelles au Saguenay, nous aborderons dans ce texte trois principes élémentaires pour nous dans cette bataille.

Collectiviser l’autodéfense

L’une des caractéristiques de la radio-poubelle est de mener des campagnes de salissage contre des personnes en vue, des contestataires et des groupes opprimés. Avec un acharnement qui sévit parfois durant des semaines et même des mois et la divulgation d’informations personnelles, les animateurs arrivent à susciter des dérives violentes et haineuses chez une part de leurs auditeurs, et éventuellement à affecter profondément le sentiment de sécurité de leurs boucs émissaires. La lutte a ainsi commencé à partir d’un rassemblement en une cellule de crise de personnes ciblées et d’allié·e·s. D’abord, pour partager son « senti » et s’épauler émotionnellement dans le but de rétablir un sentiment de sécurité. Ensuite, pour entreprendre un processus réflexif en vue de la reprise d’un pouvoir collectif (empowerment) et amorcer une riposte aux agresseurs de la grande antenne.

Connaître et faire connaître l’oppression et la haine de l’autre

Avant de passer à l’action, il est important de partager une compréhension du phénomène contesté. Il faut documenter la problématique et faire de l’éducation populaire pour combattre l’ignorance. L’anarchiste états-unienne Emma Goldman avait tout à fait raison en affirmant que l’ignorance était l’élément le plus violent de la société ! Des gestes d’intimidation et des menaces de mort de la part d’auditeurs notamment ont d’ailleurs commencé à ternir le quotidien des militant·e·s qui se mobilisaient. Par ailleurs, toute une réflexion stratégique devait être menée afin d’éviter que les radios-poubelles de Saguenay tombent dans la victimisation comme l’avait fait la station CHOI de Québec en 2004 en évoquant une très opportuniste liberté d’expression. Agit-on réellement contre celle-ci lorsque l’on souhaite mettre fin à un style d’animation radio tirant profit des préjugés populaires et de la haine de l’autre ? Les militant·e·s ont préféré penser que la liberté d’expression doit comprendre certaines limites ; ce ne doit pas être celle du renard libre dans le poulailler libre, qui constitue une liberté négative.

L’action directe

Nous tenons à le dire, s’organiser ne signifie pas décolérer ! Les canaux officiels étant soit inefficaces, soit inaccessibles, l’action directe s’affranchit de la légalité et de l’attente d’un règlement par l’État dans un but d’empowerment et de justice sociale. Des boucs émissaires de la radio-poubelle et des allié-es ont ainsi formé la coalition Sortons les radios-poubelles de Saguenay. Dans les premiers jours de janvier 2012, la coalition a lancé un site Web [1] enjoignant le public à passer à l’action en interpellant les annonceurs publicitaires de la station KYK Radio X. En répertoriant les coordonnées de ces commerces, services et politiciens qui soutenaient financièrement la radio, l’action visait à porter un coup qui ne pouvait être ignoré par les dirigeants de la station en s’attaquant directement à leurs poches ! Elle cherchait aussi à politiser le choix d’antenne des annonceurs ; le député péquiste Sylvain Gaudreault trouvait-il par exemple cohérent de participer financièrement à la radio-poubelle par ses publicités ? À la suite de cette action, certains ont fait le choix de retirer leurs publicités des radios-poubelles. Et malgré la faible attention portée par les médias de masse à la campagne, plus d’une trentaine d’organismes sociaux et de regroupements ont publiquement offert leur appui à la coalition saguenéenne. Des appuis venus tant de centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et de centres de femmes que d’associations étudiantes, de syndicats, de groupes écologistes, communautaires, de défense au droit au logement et plus encore…

Bien que la campagne ait provoqué de nouvelles attaques envers les militant·e·s, elle a eu pour résultat le congédiement ou le transfert dans une autre antenne de plusieurs animateurs et une diminution flagrante des propos condamnés – pour un certain temps du moins… Un apaisement temporaire et relatif qui n’a pas tellement changé la station. Mais peu importe les gains, ces actions auront tout de même permis à l’ensemble de ses participant·e·s d’acquérir une conscience plus critique de leur condition sociale.

Le combat est d’ailleurs loin d’être terminé et d’autres groupes poursuivant les mêmes buts se sont formés, notamment à Québec et Montréal. Serez-vous de la suite ?

Thèmes de recherche Arts et culture, Analyse du discours, Livres
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