Pour une théorie générale de l’exploitation

No 63 - février / mars 2016

Christine Delphy

Pour une théorie générale de l’exploitation

Mathilde Capone

Christine Delphy, Pour une théorie générale de l’exploitation, Montréal/Paris, M Éditeur/Syllepse, 2015, 120 p.

Delphy, féministe matérialiste, nous offre dans cet ouvrage des voies pour attaquer le travail domestique afin d’ouvrir ensuite quelques bribes de réflexion pour l’élaboration d’une théorie générale de l’exploitation.

Le travail domestique, c’est-à-dire l’extorsion par le chef de famille du travail gratuit des membres de sa famille (travail ménager ou appui au travail professionnel des hommes) pèse uniquement sur les femmes ; la quantité de travail faite par les femmes augmente lorsque deux personnes de sexe différent se mettent en couple tandis que celle faite par les hommes diminue. Ce travail ne bénéficie pas au capitalisme, mais à la classe des hommes. Différentes contraintes, institutions et mécanismes sociaux permettent cette appropriation par les hommes du travail domestique (mariage, hétérosexualité, division du travail, marché du travail, État, politiques sociales ou familiales...). À la question de savoir comment abolir ce travail gratuit, Delphy croit peu aux négociations de couples, considère qu’il faut reconnaître les privilèges des hommes en tant que classe et les en dépouiller. Elle propose alors d’imposer des normes étatiques pour que les hommes payent pécuniairement du fait qu’ils ne font pas leur part du travail ménager : suppression des avantages des hommes ayant une femme au foyer et institution d’un salaire au travail ménager de la part des maris envers leur femme qui ne travaillent pas à l’extérieur de la maison.

Delphy s’attaque ensuite à l’élaboration des bases d’une théorie générale de l’exploitation qui articule classe, genre et ethnie en tant que systèmes d’oppression interreliés. D’une part, elle démontre que la théorie marxiste de la plus-value capitaliste, au lieu d’être libératrice, produit des concepts qui ne rendent pas bien compte de l’exploitation salariale ; entre autres parce qu’elle définit l’exploitation de manière strictement monétaire. D’autre part, cette théorie est un obstacle à l’articulation entre les différents modes d’exploitation en faisant à tort de la plus-value – soit la quantité d’heures travaillées en plus du nombre d’heures nécessaires à la survie ou l’entretien – le test de l’existence de l’exploitation, en réservant le mot exploitation à l’exploitation salariale et en rayant de la carte toutes les exploitations qui ne passent pas par le marché. Delphy propose alors de revenir à la définition première de l’exploitation, c’est-à-dire l’appropriation du travail d’autrui, au lieu de définir l’exploitation comme un solde monétaire.

Christine Delphy remet ici en question, et ce à juste titre, l’hégémonie de l’exploitation salariale sur les autres types d’exploitations (domestique, esclavage...) afin de proposer l’élaboration collective d’un langage commun à toutes les exploitations qui coexistent sans être hiérarchisables, dans le but louable d’en déterminer les points communs et les spécificités. Cependant, tout en contestant l’évaluation des exploitations selon leur seul joug monétaire, elle propose une solution pécuniaire face à l’absence de partage du travail domestique (un salaire au travail ménager), vidant de cette question sa substance éminemment politique et sociale. La valorisation d’une intervention étatique à ce sujet, en plus de la prémisse, à travers les lignes, que le travail en dehors de la maison (exploitation) est nécessaire à l’émancipation et l’indépendance des femmes, balaie l’éventualité d’autres possibilités d’existence.

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