Une démocratie municipale favorisant l’apathie citoyenne

Dossier - Autocratie municipale

Une démocratie municipale favorisant l’apathie citoyenne

Dossier : Autocratie municipale

Rémi Landry

À une époque où les villes voient leur champ de responsabilités s’élargir, où la Commission Charbonneau révèle l’existence d’une culture de corruption dans la gouvernance municipale et où l’UPAC étend ses activités, l’intérêt pour la politique municipale continue de piétiner à moins de 50 % de participation lors des élections de 2013.

L’Actualité du 5 novembre 2013 rapportait : « Certains voient dans ces chiffres le signe d’une démocratie malade, du décrochage des électeurs ou du cynisme ambiant. De tels taux de participation seraient ainsi le symptôme d’un profond mal social. »

Ces résultats peuvent s’expliquer de diverses façons. Personnellement, étant impliqué depuis 2011 en politique municipale comme chef d’un parti politique dans une municipalité de plus de 20 000 habitant·e·s, je constate qu’une partie de l’explication de ce cynisme réside dans la nature des mécanismes qui gouvernent la politique muni­cipale. Ces derniers ne se sont pas ajustés aux nombreuses responsabilités qui se sont ajoutées à la gouvernance municipale et l’institutionnalisation des nombreux mécanismes de contrôle qui les ont accompagnées n’a jamais considéré la participation citoyenne.

Territoire bigarré

Rappelons que le législateur provincial doit composer avec une cartographie municipale fort diversifiée où s’entremêlent municipalités rurales et urbaines, avec des territoires et une densité de population variés, dont certaines sont en croissance alors que d’autres font face à un déclin de leur population. Le développement et la richesse de chacune sont par ailleurs des plus disparates. À cela s’ajoute une conjoncture politique complexe, où l’application des règles de gouvernance varie selon la densité des populations et comprend divers paliers de législation aux champs de responsabilités bien définis (municipalités régionales de comtés et communautés métropolitaines). À cette hiérarchie, ajoutons encore les municipalités avec arrondissements et les agglomérations qui entretiennent des liens de gouvernance particuliers avec les municipalités en ce qui concerne leur processus décisionnel.

Ce manque d’uniformité de nos municipalités s’accompagne d’une gouvernance à géométrie variable. La majorité des municipalités doivent partager plusieurs de leurs services, sous la forme de régies régionales répondant à des besoins particuliers, variant de l’assainissement des eaux en passant par le transport en commun et les services de police. Cette complexité, tout en nécessitant une grande disponibilité et de nombreuses compétences de nos élu·e·s, n’est pas sans décourager le citoyen, la citoyenne de participer activement aux affaires municipales.

Exit le citoyen !

Comme simple citoyen·ne, que peut-on y changer ? Les procédures et les règles de fonctionnement sont compliquées et variées au point de décourager les plus passionnés de participer à la vie publique. D’ailleurs, n’est-il pas de la responsabilité du gouvernement provincial d’assurer une surveillance du monde municipal ? Le seul pouvoir effectif qu’ont les citoyen·ne·s se trouve à être la possibilité de changer les élu·e·s aux prochaines élections. Un pouvoir qui s’exerce aux quatre ans, mais qui ne règle pas les problèmes. Selon cette logique, les citoyen·ne·s sont invités à intervenir seulement lorsque la situation devient grave et encore, il faut qu’ils puissent le faire réellement. C’est sans doute ce qui explique, entre autres, le long règne de l’ancien maire Vaillancourt à Laval.

À l’occasion, on assiste à la mobilisation des citoyen·ne·s pour la signature d’un registre visant à s’opposer à un règlement d’emprunt. Pour cette mobilisation, la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités n’impose qu’un délai de cinq jours aux municipalités pour diffuser un avis public auprès des contribuables sur l’établissement d’un registre. Dans une ville de 20 000 habitant·e·s, il n’y a en moyenne qu’une trentaine de personnes qui assistent aux séances des conseils municipaux, comment alors mobiliser plus de 500 personnes dans un délai de cinq jours pour s’opposer à l’endettement de leur muni­cipalité ?

La mobilisation devient alors un acte de conviction qui se fait, de surcroît, bénévolement. Lorsque les enjeux sont sérieux au point de géné­rer un intérêt suffisant au sein de la population, les citoyen·ne·s doivent se déplacer entre 9 h et 19 h pour affirmer leur opposition à la dépense des fonds publics. Des horaires qui ne prennent pas en considération les conditions de travail des gens et la situation de nos jeunes familles qui souvent ne sont disponibles que tard en soirée pour accomplir leur responsabilité citoyenne.

Et oubliez la confidentialité ! Il est des plus discutables que les citoyen·ne·s doivent signer ces registres d’opposition au vu et au su de tous. Aucun anonymat n’est possible. Ces registres sont accessibles à quiconque en fait la demande. Toute administration pourra savoir qu’une personne s’est opposée à son règlement d’emprunt. Elle pourra lui en tenir rigueur, par exemple, en limitant sa participation comme citoyen dans les divers comités mis en place par la Ville et dont les membres sont sélectionnés par les élu·e·s (méca­nisme lui aussi contestable).

Ainsi, à la complexité du monde municipal s’ajoute une série de règles et de procédures définies par le gouvernement et devant être suivies par les citoyen·ne·s. À titre d’exemple, les procédures relatives à la constitution des dossiers à dépo­ser à la Commission des plaintes du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) sont lourdes et leur traitement avantage nettement les adminis­trations municipales aux dépens des citoyen·ne·s. Il existe aussi des mécanismes pour freiner et décou­rager la participation citoyenne à la politique municipale.

Avec les années, pour des raisons de contrôle, de juridiction et peut-être de modernité, on a oublié que les vrais propriétaires des villes sont les citoyen·ne·s-contribuables, qui ne sont pas que des client·e·s de leur municipalité mais les propriétaires et, à ce titre, les « employeurs·euses » de leurs élu·e·s. Québec, par son ministère des Affaires municipales, s’est ainsi approprié cet espace et se présente comme la seule entité responsable de la démocratie municipale. Ce faisant, il infantilise les citoyen·ne·s et oublie que ce sont eux et elles qui sont les plus concerné·e·s par les décisions prises par leur conseil municipal.

Mécanismes moyenâgeux

Au début de mon implication en politique muni­cipale, j’effectuais régulièrement la vérification des procédures et règles en vigueur devant être respectées par les administrations municipales auprès du bureau régional du MAMOT. Quelle n’était pas ma surprise de constater que les lois régissant le secteur municipal n’incitaient aucunement la participation citoyenne dans la vie démocratique.

Quelques exemples :

Arbitraire. Les citoyen·ne·s n’ont aucun pouvoir lorsque leur administration municipale n’applique pas ses propres règlements (votés par leurs élu·e·s avec leurs taxes) et cette pratique semble être un mode de fonctionnement généralisé.

Hermétisme. Les villes n’ont pas l’obligation de rendre publics les ordres du jour et l’infor­mation qui se rattache aux décisions qui seront adoptées durant les conseils municipaux avant la tenue des séances ordinaires mensuelles ou séances extraordinaires. Des séances pour lesquel­les il est légalement exigé (par les lois en vigueur) d’être publiques. Il s’agit d’un flagrant manque de transparence. Comment demander alors aux citoyen·ne·s de participer à ces rencontres s’ils n’ont pas les renseignements requis pour comprendre les propositions qui seront votées ? Le système actuel rend ces renseignements uniquement accessibles aux citoyen·ne·s qui font une demande d’accès à l’information. Ils sont reçus des semaines après la séance du conseil municipal en question et ne sont donc plus pertinents puisque les décisions auront déjà été adoptées.

Camouflage. Durant les conseils muni­cipaux, les élu·e·s n’ont pas à présenter les débats de leurs décisions qui se tiennent sous forme de plénières confidentielles habituellement les jours qui précèdent la séance du conseil municipal. Il ne reste plus aux élu·e·s qu’à voter. Une situation qui transforme les séances des conseils en de longues litanies avant que la parole ne soit accordée à la population à la toute fin de la séance.

Opacité. Les villes sont légalement tenues de publier dans les journaux locaux les avis légaux concernant les règlements d’emprunts et les modi­fications aux règlements de zonage et d’urba­nisme. Tout le reste peut passer sous silence. Elles n’ont par ailleurs aucune obligation de vulgariser les contenus de ces avis et peuvent faire appel à souhait à un jargon opaque et incompréhensible.

Démesure. Lors des référendums municipaux, il n’y a aucun contrôle des dépenses des municipalités et des dons qu’elles reçoivent durant les 120 jours obligatoires avant la consultation popu­laire. Elles peuvent dépenser à souhait l’argent des contribuables pour influencer les résultats favorables à leur projet. En contrepartie, les opposant·e·s dépendent des dons privés, non déduc­tibles d’impôts pour informer le public des enjeux.

Ces quelques mécanismes en place illustrent bien l’esprit du législateur. Plutôt que de stimuler la participation citoyenne, ils créent une entrave à celle-ci, favorisant une gouvernance opaque. Avec l’augmentation des transferts des pouvoirs aux municipalités, ces modes de fonctionnement relèvent presque du Moyen Âge. Les exigences des lois régissant les municipalités et les mécanismes de contrôle citoyen doivent être revus en profondeur. Il devient plus que pertinent de mettre sur pied une commission parlementaire ou une commission indépendante pour modifier tous les aspects légaux actuellement en place favorisant l’apathie des citoyens. Afin de leur redonner un réel pouvoir dans la gestion de leurs villes.

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