Dossier - Autocratie municipale

Participation publique

Le diable est dans les détails

Dossier : Autocratie municipale

Louis Simard

Personne n’est contre la vertu. La participation publique (PP) aux décisions collectives concernant les grands projets est aujourd’hui devenue une évidence. Ce nouvel « impératif délibératif [1] » est intégré à la nouvelle gouvernance et l’acceptabilité sociale est son mantra. Mais qu’en est-il ? Doit-on se méfier de la démocratie participative ? Connaît-on les effets contre-intuitifs de plusieurs expériences québécoises ? Rapide survol du côté sombre de la PP et de quelques pièges tendus à la démocratie participative.

Chez les adversaires de la participation publique, on retrouve les mêmes objec­tions qu’à l’endroit de l’élargissement des droits civils, politiques et sociaux : la possible tyrannie populaire à l’encontre de la liber­té politique des décideurs, l’inanité ou l’écran de fumée qui dissimule le déséquilibre entre les acteurs et la remise en question de la démocratie représentative opposée ici à une version participative [2]. Au-delà de ces griefs formu­lés par cette « rhétorique réactionnaire », il reste que la mise en œuvre d’une PP comporte certains pièges objectifs [3] :

1) la proximité ou l’aveuglement local égoïste qui gomme les dimensions nationales et inter­nationales des impacts et des décisions ;

2) la reproduction et le renforcement des désé­quilibres existants entre acteurs (notamment en faveur de certains promoteurs forts de leurs expériences et de leurs moyens) ou enco­re la PP tenue pour les élites et caractérisée par l’inaccessibilité en raison des exigences procédurales et substantives qu’elle implique ;

3) l’habillage des décisions déjà prises et la participation sans effet ;

4) l’instrumentalisation de la PP par des micro-choix qui la font dériver volontairement : sélec­tion des participant·e·s, règles inconnues ou orientées, saisine arbitraire, débat partiel et calendrier tendancieux, absence de transparence de l’information, technique d’interaction asymétrique, non-traçabilité du débat, animation biaisée et le fait de faire précéder l’arène au forum, autrement dit la négociation (compensation) avant la délibération (idées).

Car bien que liées, ces deux étapes sont de nature différente. Selon le chercheur Bruno Jobert, la délibération est assimilée au forum et sa fonction consiste à définir le problème, échanger des connaissances, élaborer l’éventail des possibilités entre une multiplicité d’acteurs et d’intérêts. La négociation est associée à l’arène et a pour but d’arbitrer les intérêts, prévoir les compensations, proposer des ajustements, formuler la décision [4]. Or selon le philosophe Bruno Latour, en amont, il y a un « pouvoir de prise en compte » qui fait référence à la « pluralité des mondes » et, ensuite, un « pouvoir d’ordonnancement » qui renvoie aux modalités pragmatiques de décision et de mise en œuvre. Il ne doit y avoir, estiment ces auteurs, d’empiètement de l’une sur l’autre (la dernière ayant, en outre, une exigence de clôture), afin de permettre une exploration et un cheminement efficace vers un monde commun souhaitable pour la décision [5].

L’effet consultant

En lien avec cet impératif délibératif, s’est déve­loppé depuis une quinzaine d’années un véri­table marché de la participation publique. Indicateur d’une tendance lourde, ce phénomène se con­jugue avec une professionnalisation de la PP suite à l’institutionnalisation de celle-ci et n’est pas sans amener son lot d’interrogations. Pour qui travaillent ces consultant·e·s ? Sont-ils neutres et indépendants ou veulent-ils à tout prix faire avaler la pilule aux citoyen·ne·s ? Est-ce que la logique commerciale est soluble dans l’idéal participatif ? Quels dispositifs privilégier et à quelle fin ? Ces questions apparaissent légitimes à l’heure où les grandes firmes de relations publiques investissent le champ de l’acceptabilité sociale. Ces mêmes firmes qui sont expertes en communication de crise et en lobbying. À défaut de pouvoir compter sur un orga­nisme public, indépendant et crédible pour conduire la participation du public, les citoyen·ne·s doivent composer avec des firmes privées sous contrat avec le promoteur qui peuvent percevoir d’autres enjeux que la libre expres­sion des citoyen·ne·s et la recherche de l’intérêt commun. Dès lors, une panoplie de stratégies peut être retenue pour infléchir le processus de participation comme sélectionner les participant·e·s, identifier des partisan·e·s, cibler les médias, opter pour des dispositifs qui visent à contenir l’opposition, contrer les détracteurs, convenir des arrangements avec les acteurs clés ou les plus récalcitrants ; bref, s’assurer avant tout que le message de l’entreprise passe bien et rédui­re l’incertitude. Le cas de la firme Edelman dans le cadre du projet d’oléoduc Energie Est de TransCanada illustre bien ce phénomène ; son plan de communication, qui avait été coulé dans les médias en novembre 2014, faisait état d’une véritable stratégie pour influencer l’opinion publi­que : recours à des personnalités publi­ques influentes, attaques contre les groupes environnementaux, financement de chaires de recher­ches scientifiques, etc.

Une PP dans la ville

Mis à part Québec et Montréal, qui bénéficient de dispositifs de consultation formalisés (Conseils de quartier et audiences publiques de l’Office de consultation publique de Montréal), la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), adoptée il y a plus de 35 ans, prévoit certaines dispositions pour les autres villes. Celles-ci défi­nissent les paramètres de la PP concernant l’élaboration et l’adoption des plans métropolitains d’aménagement et de développement, des schémas d’aménagement et de développement ainsi que des plans et règlements d’urbanisme. Il peut s’agir entre autres d’assemblées publiques, de réfé­rendums et de comités consultatifs. Bien que certaines municipalités puissent innover à ce sujet, de manière générale, ces dispositifs sont peu utilisés et grandement sous contrôle des élus muni­cipaux [6], d’où l’importance de revoir la LAU à cet effet afin de renforcer les dispositifs de participation publique. Ainsi, à l’échelle des muni­cipalités, la PP peut parfois s’avérer minimaliste et improvisée dans la mesure où les ressour­ces sont plus limitées, l’expertise peu déve­loppée, l’expé­rience rarissime et la visibilité moins grande. Le terreau est donc particulièrement fertile aux initiatives qui visent à contourner une PP véritable.

Si la PP est habituellement espérée ou exigée, à raison, pour ses aspects vertueux, elle peut ainsi révéler une face obscure. Le contexte actuel, qui tend à multiplier les exercices de PP jusqu’à l’épuisement des citoyen·ne·s parfois, comporte donc des risques réels et peut bien sûr fragiliser le droit, le pouvoir et la légitimité à s’opposer à tout projet ou décision de nos décideurs·euses. Il en va donc de la vigilance des citoyen·ne·s à demeurer critiques à l’endroit des dispositifs participatifs et de leur mise en œuvre car ici comme bien souvent, le diable est dans les détails.


[1Voir Loïc Blondiaux, et Yves Sintomer, « L’impératif délibératif », Politix, 15 : 57, 2002, p. 17-35.

[2Voir Albert O. Hirschmann, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.

[3Voir Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, coll. « La république des idées », 2008.

[4Voir Bruno Jobert, « Rhétorique politique, controverses scientifiques et construction des normes institutionnelles : esquis­se d’un parcours de recherche », dans Alain Faure, Gilles Pollet et Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 13-24.

[5Voir Bruno Latour, Politiques de la nature, Paris, La Découverte, 1999.

[6Voir Laurence Bherer, Mario Gauthier et Louis Simard, «  Quelle participation publique ? Les dispositifs québécois en environnement et en urbanisme », papier de conférence, COSPOF, Lausanne, 2015.

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