Dossier - Autocratie municipale

Montréal

Coderre le magnifique

Dossier : Autocratie municipale

Marcel Sévigny

À la lumière des sondages de popularité, les Montréalais·e·s portent le maire Denis Coderre presque aux nues deux ans après son élection. Quant aux médias, ils n’ont pas encore décroché de la lune de miel avec le maire.

Bernard Descôteaux, directeur du Devoir (média indépendant supposément critique), entretient une satisfaction béate vis-à-vis du « style démocratique » de Denis Coderre : « L’omnimaire, comme il fut déjà appelé, est de tous les dossiers, au point de laisser croire qu’il n’y a à l’Hôtel de Ville que lui. […] Minoritaire au conseil municipal, il a attiré dans ses filets plusieurs conseillers des partis d’opposition, dont le chef de Projet Montréal [Richard Bergeron] et a pu se constituer une majorité. » Bref, ce que Denis Coderre a fait le mieux, selon Le Devoir, « c’est prendre la défense des Montréalais. »

Populisme, sens du spectacle et maintien d’un taux de taxation « raisonnable » semblent être les composantes de notre démocratie municipale. Seul le parti Projet Montréal (première opposition à l’hôtel de ville) s’avance à critiquer le style particulièrement racoleur du maire, soulevant ainsi, par la bande, l’enjeu démocratique. Comités de quartier et autres associations citoyennes sont confondus par le style populiste de l’hôtel de ville. Seules certaines organisations pour le droit au logement parviennent à interpeller la Ville sur ses responsabilités politiques, mais sans trop de succès.

L’échec citoyen de la stratégie de concertation

Au détour des années 2000, cinq Sommets citoyens, dont le dernier en 2009 rassemblant près de 1 000 militant·e·s, visent une démocratisation accrue de la vie politique municipale. Parallèlement, le Sommet de Montréal en 2002 est initié par le maire Gérald Tremblay, d’où éclot le grand chantier de Montréal sur la démocratie (2002-2014). Résultat : toute une série d’insertions participatives, dont un « droit d’initiative citoyen » et une « charte des droits et responsabilités », le tout couronné par le Prix du maire de Montréal en démocratie. En outre, durant un certain temps, une forme restreinte de « budget participatif » a eu lieu dans l’arrondissement Plateau Mont-Royal, remplacé aujourd’hui par une consultation en ligne.

Tous ces évènements ont conféré à Montréal une notoriété internationale. Gérald Tremblay l’affirmait en son temps et Denis Coderre le reprend aujourd’hui : Montréal est une grande démocratie participative.

Pendant que l’on discute dans les instances participatives d’enjeux certes pertinents, l’essentiel du développement de la Ville et des quartiers reste l’apanage de puissants promoteurs, de politiciens·ne·s et de technocrates. Des exemples ? Malgré les 3,5 milliards $ de l’échangeur Turcot, celui-ci maintiendra intacte la capacité de 300 000 véhicules par jour contrairement à la demande populaire ; un nouveau quartier montréalais (Griffintown) permettant d’accueillir près de 15 000 personnes (avec l’appui de la Ville) sans avoir prévu d’école, de CLSC ou autres services publics de proximité ; ou encore lorsqu’on déverse 8 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve, malgré une pétition de 100 000 signatures. On sent bien que l’influence citoyenne ne fait pas le poids.

L’absence d’une opposition extra-parlementaire

Après plus de dix ans d’efforts, le mouvement citoyen de démocratisation municipale à Montréal a été avalé par le système politique en place. Représentation politique parlementaire, hiérarchie, hermétisme et opacité où seuls les élu·e·s décident. Voilà ce qui sévit à Montréal et à travers le Québec. La désillusion et le cynisme sont généralisés dans la population. C’est le cas à Montréal [1]. La parole et l’influence citoyenneS sont neutralisées. D’ailleurs, les théoricien·ne·s militant·e·s les plus optimistes de la démocratie participative, telle Laurence Bhérer [2], n’arrivent plus à cacher leur désillusion.

Dans ce contexte morose où règne le capitalisme immobilier, quelques groupes de résident·e·s montent de temps à autre à l’assaut des conseils d’arrondissement pour y défendre d’autres intérêts, ceux des citoyen·ne·s. Les institutions dites participatives deviennent alors des lieux où la participation sert à créer ou à accentuer un rapport de force entre élu·e·s et groupes citoyens. Et il arrive à l’occasion que des batailles citoyennes parviennent à faire modifier une décision municipale ou à obtenir un gain substantiel face à un promoteur immobilier.

Ainsi, à titre d’exemple, les mécanismes de participation citoyenne des institutions municipales n’ont été d’aucune utilité dans la victoire populaire contre le déménagement du casino (2005-2006). Une présence assidue au conseil d’arrondissement a servi à amplifier la stratégie générale de pression politique, menant à l’entente sur l’aménagement des anciens Ateliers du CN (2012) [3]. Mais il ne faut pas se le cacher, de tels exemples constituent malheureusement l’exception qui confirme la règle générale. Il n’existe pas de contre-pouvoir citoyen à Montréal. Dans ce contexte, l’opposition parlementaire n’a à peu près pas d’impact.

Privilégier le local

La gauche populaire et communautaire à Montréal devrait tirer des enseignements de l’échec de cette stratégie de concertation. C’est une de ses responsabilités politiques. Elle devrait renouer dans ses analyses et ses pratiques avec une approche de confrontation face au pouvoir municipal, de surcroît néolibéral. Le concept de démocratie citoyenne sans rapport de force élude les antagonismes de classes et les intérêts divergents bien réels à Montréal.

Sans contre-pouvoirs populaires, les intérêts capi­talistes gagnent à tout coup. Et Coderre le populiste est mort de rire. Bâtir une ville, des arron­dissements et des quartiers démocratiques, sans justice sociale et sans confrontation est un leurre. Ce n’est qu’à partir des quartiers et en lien avec les conditions de vie de la majorité que l’on peut bâtir des contre-pouvoirs autonomes face au pouvoir politique dominant et au déni démo­cratique.


[1Denis Coderre a obtenu 31 % des votes sur un taux de participation de 43,3 % en 2013. Ainsi, il a été élu par 12,5 % des Montréalais-e-s. Le taux moyen d’abstention des quatre dernières élections est de 60 %.

[2« J’oscille entre pessimisme et optimisme », déclare Mme Bherer en posant un regard nuancé sur cette démo­cratie participative, dans Le Devoir du 7 novembre 2015.

[3Voir Bâtiment 7. Victoire populaire à Pointe-Saint-Charles, Montréal, Écosociété, 2013.

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