Automne chaud, douche froide

No 63 - février / mars 2016

Secteur public

Automne chaud, douche froide

Philippe de Grosbois, Alain Savard

Les ententes du mois de décembre marquent la conclusion d’une manche importante dans les mobilisations syndicales des dernières années. Que doit-on retenir des moyens de pression de l’automne et quelles sont les prochaines étapes ?

Plusieurs l’ont souligné, la mobilisation des travailleurs·euses du secteur public a connu des niveaux historiques. Des assemblées nombreuses, des votes de grève forts, des manifestations de quartiers, des occupations de banques et d’institutions financières... On doit compter en décennies pour retrouver un tel degré de mobilisation. L’élaboration de plans d’action d’urgence en cas de loi spéciale et l’adoption de positions de principe en appui à une éventuelle grève illégale témoignent aussi de cette combativité rarement vue chez les membres.

À travers tout cela a émergé quelque chose d’encore plus intéressant : l’embryon d’un front commun plus « organique », émanant véritablement des batailles menées sur le terrain. Fin septembre, l’ASSÉ a tenu un Rassemblement syndical en éducation, réunissant associations étudiantes et syndicats locaux. Dans certains cégeps, on a vu des comités de mobilisation intersyndicaux se former (profs, employé·e·s de soutien et professionnel·le·s). Dans d’autres cas, c’est à l’échelle d’un quartier (Ahuntsic/ Montréal-Nord, Laval), que des collectifs citoyens anti-austérité se sont formés. De même, la création du réseau Lutte commune a aussi permis de faciliter la communication entre les diverses composantes des syndicats en négociation, tout en prenant soin d’inscrire cette bataille à la lutte contre l’austérité.

Le gouvernement Couillard croyait probablement qu’en attaquant l’État social aussi férocement à sa première année au pouvoir, il installerait un climat de résignation et isolerait les syndiqué·e·s du secteur public. Or, c’est le contraire qui s’est produit : tant les travailleuses et travailleurs que le public ont tout de suite saisi que l’amélioration des conditions de travail des employé·e·s était un moyen central pour valoriser les services publics et affaiblir l’offensive austéritaire des libéraux. Les mobilisations de l’année précédente, la campagne « Je protège mon école publique » et le travail de la Coalition main rouge ont formé les bases d’un véritable front social contre l’austérité.

Avec toutes ces forces, une question fait inévitablement surface : comment se fait-il qu’un tel niveau de mobilisation ait abouti à une entente entre le gouvernement et le Front commun qui repousse l’âge de la retraite, risque d’appauvrir davantage bien des syndiqué·e·s et remet très peu en question les coupes dans les services à la population ?

Une faiblesse importante, qu’on a déjà pu constater lors des négociations de 2010 et de la grève étudiante de 2012, apparaît de plus en plus clairement : une large part des directions syndicales actuelles semble peu habituée, voire peu encli­ne, à adopter une véritable posture politique de combat, en dépit du fait qu’une proportion de plus en plus importante de membres envoie des signaux forts allant en ce sens. À notre connaissance, le Front commun n’a initié aucune recher­che d’appuis à l’international, aucune réflexion publique sur l’éventualité d’une loi spéciale et très peu de liens concrets, au-delà des discours, entre la négociation et le reste de la lutte à l’austérité. De plus, la rigidité des mandats de grève (à exercer « en Front commun » ou pas du tout) a donné l’équivalent d’un droit de veto aux syndicats les moins mobilisés.

Alors qu’une belle radicalisation semblait prendre forme aussi bien dans plusieurs milieux de travail que nationalement, les impératifs traditionnels de l’échéance des Fêtes et de la « négociation de bonne foi » semblent avoir repris le dessus au sein de directions pour qui des luttes défensives semblent le seul horizon possible. Et maintenant qu’une entente de principe est conclue, les directions syndicales semblent plus préoccupées à « vendre » l’offre gouvernementale à coup de demi-vérités que d’épauler les syndicats qui désirent poursuivre la mobilisation.

La suite des choses

La lutte n’est certes pas terminée. Il est probable que les membres de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) rejettent l’enten­te de principe, et la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) est toujours en négociation. Ensemble, ces fédérations représentent 145 000 membres. Même si le reste du secteur public en venait à ratifier l’entente de principe, les moyens de pression vont se poursuivre et les syndiqué·e·s auront besoin d’un maximum d’appui pour ne pas être isolés. Il est essentiel de travailler à ce que même les syndicats qui accepteront l’enten­te puissent se mobiliser activement aux côtés de ceux qui continueront.

À plus long terme, que restera-t-il de cet autom­ne de mobilisations syndicales impressionnantes par leur ampleur mais à l’aboutissement frustrant ? Au-delà des reculs évités, de véritables gains résident dans l’expérience de luttes qu’ont acquise des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs. Le secteur public n’avait pas fait grève depuis 2005 ; pour plusieurs, qui ont succédé aux baby-boomers partis à la retrai­te, il s’agissait d’une première. Toute une nouvelle cohorte d’employé·e·s a été initiée à la mobilisation syndicale, à la grève, à la solidarité dans l’action. Pour la première fois depuis longtemps, le mouvement syndical québécois a semblé sur le point de basculer à l’offensive. Peu importe comment se conclura cette ronde, il faudra travailler à ce que cette politisation se poursuive pour remettre à l’ordre du jour un syndi­calisme combatif, solidaire et démo­cratique.

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