Dossier : Santé - État d’urgence

Dossier : Santé ; État d’urgence

Payer pour des soins de santé assurés

La dérive...

Marie-Claude Prémont

Les cas de figure sont variés mais une tendance émerge : de plus en plus souvent, des paiements directs sont exigés des patients et patientes du Québec en contrepartie de soins de santé qui sont pourtant couverts par le régime public de santé.

Par exemple, des individus parmi les mieux nantis du grand Montréal ou de grands centres urbains consentent à payer un forfait d’adhésion à des cliniques médicales pouvant atteindre 1 500 $ par année pour un accès rapide et privilégié à un ou une médecin de famille ou spécialiste payé par la RAMQ [1]. D’un autre côté, des personnes vulnérables de régions mal pourvues en ressources médicales communautaires se sentent souvent plus ou moins obligées de payer des frais d’adhésion et de cotisation annuelle à une coopérative de santé pour maintenir ou obtenir un suivi en médecine familiale [2]. Pendant que les premiers sont souvent trop heureux de pouvoir se payer un tel privilège pour s’en plaindre, les seconds ressentent plus lourdement la pression monétaire qui leur est imposée, même si la somme est plus modeste. Serait-ce que les premiers exploitent un système en déshérence de contrôles publics, pendant que les seconds en subissent les conséquences ?

Encaisser des pièces sonnantes et trébuchantes pour des services payés par la carte d’assurance-maladie heurte le principe d’équité dans l’accès aux soins de santé. Ces pratiques contreviennent à l’interdiction faite aux médecins et à leur clinique de toucher toute autre rémunération que celle versée par la RAMQ pour des services assurés. Ces formules se développent pourtant dans la quasi-indifférence des pouvoirs publics de la province et du fédéral. Ceux-ci ne semblent réagir que lorsque les médias rapportent des situations et pratiques qui ne sont pourtant qu’un secret de polichinelle. On annonce alors qu’une enquête sera faite. Pendant ce temps, les autorités publiques locales et les individus se débattent tant bien que mal dans la tourmente de la surenchère de l’accès limité aux ressources médicales.
Rappelons-nous qu’en 1970, les pouvoirs publics avaient fermement maintenu le principe de l’universalité du système de santé québé­cois face aux médecins qui avaient déclenché une grève pour réclamer le pouvoir discrétionnaire de percevoir directement des frais auprès des patients et patientes, en sus de la rémunération garantie par la RAMQ. Les pouvoirs publics de l’époque s’y étaient catégoriquement opposés.

Mine de rien, ces frais refont maintenant surface sous les formes les plus diverses. Des stratégies créatives permettent ici d’augmenter les revenus des médecins et de leur clinique ; là, de créer des modalités allégeant la pratique médicale ; ou encore d’implanter des politiques locales en réponse aux besoins légitimes des citoyens et citoyennes, comme l’explorent les autorités municipales en appuyant les coopératives de santé. Les soins de santé se font ainsi saucissonner en divers créneaux de clientèles sollicitées par les gestionnaires au service des nouvelles entités corporatives que peuvent former les médecins depuis 2007.

« Club santé » à 1 000 $

Comme l’imagination des gens d’affaires a peu de limites, on a même vu l’aménagement d’un accès privilégié à des services de santé à travers l’adhésion à un club sportif, en tablant sur une exception de prohibition de facturation pour les services fournis aux membres d’une association. Cette pratique de l’adhésion à un « club santé » se retrouve même au sein d’une clinique-réseau dont l’objectif prioritaire est pourtant, à la faveur d’un financement public accru, d’améliorer l’accès aux services médicaux de première ligne d’un CSSS pour l’ensemble de la population du territoire. Des instructions précises données au personnel permettent de gratifier d’un accès privilégié les membres du club santé ayant déboursé 1 000 $ pour les services de médecins rémunérés par ceux-là mêmes qui doivent attendre. Peut-on imaginer plus clair dévoiement d’une politique publique ?

Combien de temps encore pouvons-nous tolérer pareil détournement des politiques publiques, en passe de secouer le système public dans ses fondements mêmes ?


[1M.-C. Prémont, « Les paiements de patients pour des soins payés par les fonds publics », Vie économique, vol. 3, no 1, septembre 2011. Disponible en ligne : www.eve.coop/?r=12.

[2R. Hébert, M.-C. Prémont, « Les coopératives de santé : entre compétition commerciale et solidarité sociale », Revue juridique Thémis, 2010, vol. 44, no 3, p. 273-323.

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