Le réseau capitaliste qui mène le monde

No 43 - février / mars 2012

Culture

Le réseau capitaliste qui mène le monde

Gérald McKenzie

Occupy Wall Street s’est répandu comme une traînée de poudre dans les villes d’Amérique du Nord et au-delà. Deux symboles magnétiques : New York, ville phare du monde capitaliste au XXe siècle, et Wall Street, le cœur même des magouilles financières. Les Indignées des villes d’Occident ont même eu la sympathie, ou la « compréhension », de politiciens au pouvoir, notamment d’Obama et d’un ministre du gouvernement Harper.

Voici donc que la revue New Scientist, spécialisée dans la diffusion des découvertes scientifiques les plus récentes, publie une recherche sur le monopole des multinationales [1]. Résumons en quelques paragraphes un « type de démarche très empirique normée par l’imaginaire de la cybernétique et des sciences naturelles  », dixit notre collègue Philippe Hurteau, de l’IRIS.

Ainsi, des scientifiques, selon New Scientist, viennent confirmer qu’un petit nombre de grandes compagnies, majoritairement des banques, ont un pouvoir démesuré sur l’économie globale. Des théoriciens des systèmes complexes zurichois ont déduit d’une base de données comprenant 37 millions de compagnies et d’investisseurs dans le monde qu’un noyau de 1 318 compagnies possédait la majorité des manufactures et titres boursiers constituant l’économie « réelle ». Utilisant un modèle mathématique des systèmes naturels (une cellule, un organisme vivant ou un écosystème sont des exemples de systèmes naturels) pour cartographier les corporations transnationales, les chercheurs ont identifié une « super entité » de 147 compagnies qui contrôle 40 % des richesses du réseau. La plupart étant des institutions financières, dont Barclays Bank, JP Morgan Chase et Goldman Sachs Group.

Les réactions

Les grands experts en macroéconomie ou des systèmes naturels complexes ont réagi aux résultats de cette étude : propriété et contrôle politique, stabilité économique, interconnexions susceptibles de propager la détresse des entreprises dans chaque réseau et par la suite dans l’ensemble du système, toutes ces questions mériteraient des études plus approfondies. Ils en déduisent que mieux comprendre l’architecture du pouvoir économique pourrait contribuer à plus de stabilité et à éviter l’effondrement chronique du système financier international. Certains suggèrent même d’établir des règles antitrust mondiales, « de manière à limiter les sur-connexions entre les transnationales ».

George Sugihara de la Scripps Institution of Oceanography de Californie, expert en système complexe pour la Deutsche Bank, suggère que «  pour diminuer les risques, les firmes devraient être taxées pour excès d’interconnectivité.  » Ce même Sugihara ne pense pas, comme le prétendent certains, que ces « super-entités soient le résultat d’une conspiration pour contrôler le monde. Ces structures sont fréquentes dans la nature.  » C’est le commerce qui pousse les multinationales à agir, et non la volonté de dominer le monde. La richesse tend naturellement à se concentrer. Les connexions dans les systèmes naturels tendent à devenir des super connexions, de même pour la richesse. Le flux de l’argent va « naturellement » vers les noyaux les plus interconnectés.

Dan Braha du New England Complex Systems Institute en remet : «  Le mouvement Occupy Wall Street, qui prétend que 1 % des gens possède plus de richesses, reflète une phase logique de la “self-organizing economy”. » Ne crions pas trop vite à la conspiration. Le mouvement serait « naturel »…

« Ces réseaux se concertent-ils pour exercer le pouvoir politique ?  », voilà la question essentielle selon les chercheurs zurichois. Les savants experts en macroéconomie comme Driffill, de la London University, pensent que 147 corporations ne peuvent soutenir une telle collusion. Braha, le spécialiste des grands systèmes, pense que celles-ci sont toujours en compétition et que le seul intérêt qu’elles ont en commun est « la résistance au changement de la structure de leur réseau ».

Voici à nouveau Philippe Hurteau, qui met son grain de sable dans les rouages de ces recherches et commentaires qui le laissent très perplexe : «  Il me semble que les différentes crises que le capitalisme a traversées dans son histoire avaient déjà bien amplement démontré cette idée de “propagation” des défaillances d’un élément du système à l’ensemble et la fragilité de la structure économique. Bref, messieurs les scientifiques ­sont en retard de quelques décennies. Le capitalisme n’est pas une sorte d’écosystème qui reproduit des structures propres au monde “naturel”. C’est un système social, construit par le travail humain. Dans ce système, la concentration du pouvoir économique n’est en rien une variable de stabilité ou d’instabilité, c’est un vecteur de domination et d’oppression. »

Reste que la liste des 50 transnationales identifiées par ces chercheurs permet de mieux cerner où se concentrent le pouvoir de la richesse. Les réactions des grands conseillers du capital sont éloquentes. Vite, on en appelle aux forces naturelles qui animent le marché.


[1Andy Coghlan et Debora Mackenzie, New Scientist, 24 octobre 2011.

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