Le gouvernement doit payer

No 17 - déc. 2006 / jan. 2007

Accès à l’avortement

Le gouvernement doit payer

par Marie-Claude Prémont

Marie-Claude Prémont

Le recours collectif de l’Association pour l’accès à l’avortement a connu un dénouement positif le 16 août dernier, lorsque la juge Bénard de la Cour supérieure a ordonné au gouvernement du Québec de payer la somme de 10,8 millions $ au bénéfice des femmes ayant dû débourser une somme variant entre 200 $ et 300 $ pour un avortement en clinique privée. Le gouvernement du Québec a décidé de ne pas porter cette décision en appel et devra donc s’y soumettre. Que nous dit cette décision de l’appareil judiciaire ?

Cet arrêt confirme que les pouvoirs publics ont l’obligation de fournir dans un délai raisonnable tout service médical couvert par le régime public, et ce, sans frais directs pour les patients. Une personne qui ne peut avoir accès aux soins que requiert son état en temps opportun dans les établissements publics et qui doit s’adresser aux cabinets privés, parce que le gouvernement compte sur ces derniers pour s’acquitter de la tâche, ne peut être contrainte de débourser des frais accessoires. Les services d’avortement offerts dans les CLSC et les hôpitaux de certaines régions (dont Montréal) ne permettaient pas à toutes les femmes d’avoir accès au service en temps opportun. Ces femmes devaient alors se tourner vers les cliniques privées qui exigent des frais accessoires. Les cliniques privées ont démontré qu’elles n’avaient d’autre option que d’exiger ces frais pour maintenir leurs opérations, afin de couvrir deux dimensions inhérentes à la pratique des interruptions volontaires de grossesse en clinique privée : 1) les services d’échographie, qui ont été retirés par règlement de la liste des services assurés lorsque pratiqués en dehors des établissements publics, et 2) la dimension technique, c’est-à-dire le supplément prévu à la négociation de l’entente avec les Fédérations médicales pour la pratique d’actes en clinique privée. Le tribunal reconnaît que le supplément de 40 $ versé au médecin pour un avortement en clinique privée est nettement insuffisant pour couvrir les frais d’opération de la clinique privée, qui se doit d’offrir des services conformes à la sécurité des patientes.

Cette décision nous donne en capsule un aperçu des protections offertes par le régime public de santé que devra respecter le gouvernement du Québec dans sa réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Chaoulli. Le recours aux cliniques privées de médecins participants pour la prestation de services de santé, qu’elles soient affiliées ou non, ne saurait devenir un expédient pour la réduction factice des coûts publics de santé. La privatisation passive des soins de santé n’est pas une option acceptable.

Le gouvernement savait très bien que l’offre de services d’avortement en établissement public était insuffisante pour répondre à la demande des femmes. Il a malgré tout laissé perdurer une situation qui se traduisait pour des milliers de femmes par un recours forcé aux cliniques privées exigeant des frais importants. La responsabilité du gouvernement face à ces frais directs, sanctionnée par la Cour supérieure, tient à ces deux éléments qui expliquent pourquoi les cliniques privées exigent des frais aux patientes, c’est-à-dire l’adoption d’un règlement qui rendait non assurée l’ultrasonographie pratiquée en dehors des établissements, comme l’échographie que doit pratiquer un médecin avant de procéder à un avortement, et des tarifs négociés insuffisants pour couvrir la dimension technique de la pratique privée des avortements. Dans ce contexte, la Cour supérieure estime que le règlement qui considère comme non assurés les services d’échographie rendus en dehors d’un hôpital ou d’un CLSC est inopposable aux femmes soumises à l’obligation de recourir aux cliniques privées.

Bref, même si le projet de loi 33 présentement en discussion prévoit que les cliniques privées ou les centres médicaux spécialisés devront afficher à la vue du public le tarif des services, fournitures et frais accessoires, ceux-ci devront être conformes à la loi et aux ententes qui doivent, quant à elles, respecter le principe général voulant que tout service médical assuré soit gratuit pour le patient. Le projet de loi 33 ne propose pas d’amendement à l’article 22 de la Loi sur l’assurance maladie (L.R.Q., c. A-29). L’alinéa 9 de cet article 22 interdit à toute personne (donc tout professionnel de la santé et toute clinique ou centre médical spécialisé) « d’exiger ou de recevoir tout paiement d’une personne assurée pour un service, une fourniture ou des frais accessoires à un service assuré rendu par un professionnel soumis à l’application d’une entente (un médecin participant au régime public), […] sauf dans les cas prescrits ou prévus dans une entente et aux conditions qui y sont mentionnées ». Le projet de loi 33 ne fait que proposer d’ajouter à cette règle générale d’interdiction des frais accessoires un article prévoyant la publicité des exceptions autorisées, par affichage à la vue du public dans les salles d’attente. L’autorisation des frais accessoires n’est nullement élargie par le projet de loi 33. Les seuls frais exigibles demeurent ceux qui seraient autorisés par la loi – ou un règlement – ou par les ententes négociées avec les Fédérations médicales afin de déterminer la rémunération des médecins participants.

La Cour supérieure confirme dans cette décision que les ententes avec les Fédérations médicales ne doivent pas, quant à elles, ériger en système le contournement du principe central de l’interdiction des frais directs aux patients. Il en est de même des règlements qui désassurent certains services dans certaines circonstances, comme le prévoient présentement certaines dispositions du Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie concernant certains tests diagnostiques pratiqués en dehors des établissements publics.

En résumé, si le gouvernement limite l’offre de soins dans les établissements publics et choisit de faire appel aux cliniques privées afin de répondre à la demande de soins de santé, ou oblige indirectement les patients à y recourir, il est de sa responsabilité de les financer adéquatement et de couvrir l’ensemble des soins nécessaires aux traitements qui y sont pratiqués. Une pratique, même répandue, ne lui confère pas un caractère légal, comme le confirme la décision de la Cour supérieure quant aux pratiques de perception de frais accessoires importants dans les cliniques d’avortement depuis de nombreuses années. La question de base apparaît alors avec clarté. Quel serait donc l’avantage pour les fonds publics de limiter l’offre publique de soins, si ce n’est que pour assumer les mêmes coûts ou des coûts supérieurs en clinique privée ?

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