L’idée du socialisme

No 74 - avril / mai 2018

Axel Honneth

L’idée du socialisme

Frédéric Legault

Axel Honneth, L’idée du socialisme, Paris, Gallimard, 2017, 184 pages.

Renouveler le projet socialiste à la lumière des défis du 21e siècle pour lui redonner sa virulence perdue : voilà la tâche à laquelle s’est attelé Axel Honneth, directeur de l’Institut de Recherche sociale à Francfort, dans le cadre de son dernier ouvrage. Réputé pour ses travaux sur la reconnaissance (La lutte pour la reconnaissance, Folio, 2013) et directeur des travaux maintenant bien connus d’Hartmut Rosa sur l’accélération sociale (Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2013), Honneth part du constat suivant : jamais les conséquences du capitalisme n’ont été dénoncées avec autant de vigueur, alors que jamais la capacité d’imaginer un monde au-delà du capitalisme n’a été si déficitaire. Une explication simple en serait la cause, selon Honneth : les processus socioéconomiques apparaissent désormais bien trop complexes au commun des mortels pour être compris, encore moins pour être infléchis.

En effet, à une division nette entre les opulents patrons capitalistes et les pauvres employés charbonneux du 19e siècle s’est substituée une complexification des rapports sociaux d’exploitation. Parmi d’autres facteurs, la restructuration néolibérale de l’État, la flexibilisation de la force de travail, le développement d’une subjectivité néolibérale, la recomposition de la classe capitaliste et la financiarisation de l’économie témoignent d’une profonde restructuration du capitalisme. L’intégration de ces transformations fait actuellement défaut au projet socialiste, dont le discours et les revendications peinent à mordre sur la réalité du 21e siècle et à faire écho aux préoccupations des salarié·e·s actuel·le·s. Exit les proverbiales formules du socialisme des deux derniers siècles, exit les symboles folkloriques et l’imaginaire industriel : le socialisme doit faire peau neuve s’il veut retrouver sa verve et sa faveur d’antan. Pour ce faire, Honneth relève trois « fautes originelles » du « vieux socialisme » : (1) son « fondamentalisme économique » ; (2) sa lecture téléologique de l’histoire selon laquelle le socialisme va naturellement émerger à la suite de l’autodestruction inévitable du capitalisme ; et (3) la présence du prolétaire comme sujet révolutionnaire unique et déjà-là. En réponse à ce « fardeau théorique et historique », Honneth propose deux « voies de réactualisation » : accepter l’expérimentation d’alternatives économiques et intégrer les sphères de l’action politique et des relations interpersonnelles (principalement la sphère privée et les rapports de genre et de race) comme parties intégrantes du projet socialiste. Pour y arriver, Honneth propose de réhabiliter la « liberté sociale » comme pierre angulaire de cette réactualisation.

Écrit dans un style académique et relativement hermétique, le livre constitue davantage un ouvrage d’approfondissement qu’une introduction. Plutôt concise, la plaquette de 168 pages n’en contient pas moins quelques répétitions. Néanmoins, la réactualisation proposée par Honneth fait écho avec précision aux transformations sociales actuelles et constitue en ce sens un titre incontournable pour le renouvellement de la pensée socialiste au 21e siècle. L’exégèse critique qu’il fait de la pensée socialiste constitue une synthèse utile et pédagogique. Seule ombre au tableau : l’omission de la critique du productivisme, aspect incontournable dans la reconstruction du projet socialiste aujourd’hui.

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