Équateur. La fin de la révolution citoyenne ?

No 74 - avril / mai 2018

International

Équateur. La fin de la révolution citoyenne ?

Thomas Chiasson-Lebel

Un référendum de révision constitutionnelle comportant sept questions a eu lieu le 4 février dernier en Équateur. Le camp du Oui a dominé l’ensemble des réponses obtenues (67% contre 33% en moyenne) et obtient notamment gain de cause quant à l’interdiction de la réélection illimitée du chef de l’État.

Ce résultat conforte ainsi la légitimité du président Lenín Moreno, successeur désigné par Rafael Correa, alors que celle-ci était contestée par Correa lui-même et par près d’une trentaine de députés issus du même parti passé dans l’opposition. Quoiqu’en disent ces mutins, le résultat n’annonce toujours pas une nouvelle orientation pour le gouvernement, sinon la poursuite du lent virage à droite entamé précédemment et qui résulte d’un changement du rapport de force entre le mouvement populaire et les organisations patronales.

« Dé-Correisation » de l’État

L’inimitié accumulée par l’ancien président Correa (2007-2017), leader de la révolution citoyenne du parti Alianza PAíS, est l’une des épines qui ont nui au gouvernement actuel dirigé par Lenín Moreno. Bien que Correa puisse encore compter sur un groupe important de supporteurs invétérés (entre 20 et 30% de l’électorat), ses dix ans au pouvoir ont renforcé l’aversion qu’il suscitait. Ses attaques contre les mouvements sociaux, notamment autochtones, ont émacié son vernis de gauche. Son mouvement politique a cherché à développer des organisations sociales parallèles pour diviser celles qui le critiquaient, suscitant des opposant·e·s de plus en plus convaincu·e·s.

Avec la consolidation des forces de droite, la perte de popularité de Correa, qui pratiquait un fort centralisme tant à la tête de l’État qu’au sein de son parti, a contribué au faible résultat de Lenín Moreno au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Moreno a presque perdu le second tour de l’élection (51%), ce qui justifiait un changement d’attitude politique. Au style offensif de Correa, Moreno oppose un style conciliant, misant sur le dialogue et la concertation. Alors que Correa préférait nommer des gens fidèles afin de « dé-corporatiser » l’État, Moreno a choisi de « dé-corréiser » l’État en distribuant les postes de façon à satisfaire différents secteurs organisés de la société. Or ce changement d’attitude a contrarié certains choix de Correa, déclenchant une guerre fratricide entre les deux dirigeants et la division de leur parti.

La « dé-corréisation » explique la deuxième question du référendum proposant d’annuler une réforme de Correa de 2015 qui permettait la réélection d’une autorité plus d’une fois. Ainsi, la victoire du Oui (64%) à cette question spécifique signifie qu’il ne sera plus possible pour Correa de se représenter à la présidence. La « dé-corréisation » explique aussi la troisième question référendaire portant sur le Conseil de participation citoyenne et de contrôle social qui visait à en remplacer les membres, fortement associés à Correa.

Corruption

La corruption, difficile à quantifier, est souvent liée aux grands projets d’infrastructures. Correa avait multiplié les investissements publics afin de soutenir la croissance de la productivité et de freiner les effets de la crise économique mondiale. Il a multiplié d’autant les opportunités de pots-de-vin, et la corruption est devenue l’une des préoccupations principales de la population. Selon certains observateurs, ce phénomène aurait atteint une ampleur inégalée [1]. Cela explique une partie du problème de crédibilité qui affectait l’entourage de Correa et qui menace l’actuel gouvernement.

Promettant de faire le ménage, Moreno a mis comme première question du référendum celle qui proposait la mort civile (retrait du droit de participer à la vie politique et interdiction d’obtenir des contrats publics) pour les gens reconnus coupables de corruption. Cette question a reçu le plus fort taux d’approbation des sept questions (73%).

Elle faisait suite à la condamnation du vice-président Jorge Glas pour délit d’association dans un cas impliquant la compagnie Odebrecht. Depuis, de nombreux hauts fonctionnaires ont été mis en accusation. Cependant, c’est l’accusation contre Glas qui a scellé la désunion entre Moreno et le camp resté fidèle à Correa pour qui Glas a été emprisonné sans preuve.

S’est ainsi enclenchée une lutte au sein de l’État entre les autorités restées fidèles à Correa et celles alliées au nouveau président. Récemment, elle coûtait son poste au président de l’Assemblée nationale, José Serrano, dans une escarmouche avec le procureur général soupçonné d’être fidèle à Correa.

Pendant ce temps, les matous dansent

Ces luttes fratricides forcent le gouvernement à négocier avec des députés de droite à l’Assemblée nationale où il a perdu la majorité. De plus, l’attitude d’ouverture politique du président semble avantager les forces sociales qui sont plus à même d’en profiter. Alors que les mouvements sociaux sont sortis affaiblis des 10 années de Correa au pouvoir, tant par la répression que la division orchestrée par les « corréistes », les organisations patronales se sont réarticulées et elles ont développé leur capacité d’interventions publiques unitaires.

Les chambres de commerce et de l’industrie étaient historiquement divisées régionalement, reflétant les différences culturelles entre l’économie de la côte et celle de la sierra. Elles se sont rassemblées, notamment au sein du Comité entrepreneurial équatorien (CEE), pour avancer le programme libre-échangiste. Or, à force de marteler un message unitaire, le CEE a obtenu la signature d’un accord avec l’Union européenne, même si Correa avait précédemment rejeté ce projet.

La baisse des prix du pétrole des dernières années a affecté tant les budgets de l’État que l’économie nationale et provoqué l’augmentation de la dette publique externe. Celle-ci est passée de 13% à 33% du PIB entre 2013 et 2018. Elle s’est convertie en spectre brandi par les élites économiques pour réclamer l’austérité budgétaire et la libéralisation économique.

Rien de tel n’a encore été adopté, mais le gouvernement a soumis une question plébiscitaire contre la loi « de la plus-value » qui taxe les gains spéculatifs sur les transactions immobilières. Elle a reçu le deuxième plus bas taux d’approbation (63%). De plus, le président Moreno cherche l’ouverture de négociations de libre-échange avec les États-Unis et promet de renégocier les traités bilatéraux d’investissements annulés par Correa. Ces traités sont des garanties offertes aux investisseurs internationaux afin de les attirer.

À gauche

Pendant ce temps, la transition vers la gauche reste timide. Deux questions référendaires reprenaient des revendications chères aux mouvements sociaux : l’une promettait de contenir le territoire d’exploitation pétrolière dans le parc Yasuni et l’autre d’interdire l’exploitation minière dans les zones urbaines. Bien que les mouvements autochtones et environnementalistes aient appelé à voter Oui, ils ont souligné la faiblesse des dispositions proposées qui ne régleront pas les conflits existants dans ces domaines.

Le gouvernement ne s’est pas encore saisi de sa victoire référendaire pour proposer une orientation originale à ses actions. Cependant, si le référendum visait à écouter le peuple, il expose le déficit populaire dans la balance du pouvoir. En effet, entre juillet et octobre, le gouvernement a orchestré une consultation des entrepreneurs, les conviant à des rencontres payées par l’État pour dégager un consensus de la classe entrepreneuriale qu’elle a résumé en 139 propositions. L’exercice parallèle du côté populaire s’est résumé à recevoir 3000 suggestions de questions pour le référendum provenant de tous les secteurs, patronaux inclus, et à en faire le tri pour n’en poser que sept gagnantes à la population.

Ce déséquilibre inquiète la gauche. Dans la valse entre contraintes économiques et pressions sociales que danse le président, le secteur patronal semble le plus apte à dicter la cadence. De plus, la gauche au gouvernement est forcée à négocier avec la droite alors que l’aile de députés « corréistes » maintient la guerre de faction.


[1Pablo Ospina, « De la consulta popular a la edad de las presiones », Informe de conyuntura CEP, février 2018, disponible en ligne.

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