10 ans de l’ALÉNA
Des dessous pas très sexy
par Marie-Hélène Côté
De façon générale, les politiciens ne font pas montre de beaucoup d’écoute envers la « populace », on le sait, et ils ont une mémoire très sélective. Un exemple récent : sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, section commerce, on peut lire dans un court texte sur les 10 ans de l’ALÉNA : « Au moment où nous célébrons son dixième anniversaire, l’ALÉNA jouit d’un succès incontesté. ». Succès ? Incontesté ? Le ministre canadien du Commerce international, Jim Peterson, et son équipe ont-ils oublié qu’il y a des gens qui ne sont pas des amiEs du régime et qu’il existe d’autres groupes et organisations ne partageant pas son analyse.
En clôture du colloque Les 10 ans de l’ALÉNA : bilan social et perspectives organisé par le RQIC (Réseau québécois sur l’intégration continentale) et tenu à Montréal du 17 au 19 septembre 2004, les participants (originaires du Québec, du Canada, des États-Unis et du Mexique) ont réclamé du gouvernement canadien qu’il procède à un bilan social exhaustif des effets de l’ALÉNA, dans la perspective de ceux et celles qui les subissent plutôt que d’en bénéficier. Jim Peterson a, peu de temps après, affirmé en entrevue au Devoir (29 septembre 2004) qu’il était ouvert à discuter du projet de bilan social demandé, bien que le bilan qu’il dresse lui-même de l’ALÉNA soit « plutôt bon ».
Effectivement, si l’on se limite à examiner rapidement la performance du Canada en matière d’investissement et de commerce international, on pourra conclure à un bilan positif : le Canada fait davantage de commerce extérieur et ses grandes entreprises font des profits faramineux ; les Canadiens ont plus qu’auparavant investi à l’étranger de même les étrangers au Canada. Toutefois, en demeurant au niveau des indicateurs économiques, on peut nuancer cette proclamation du « succès » : la croissance économique attendue n’a pas été significative ; le Canada n’a pas augmenté sa part du marché étatsunien bien que 87 % de ses exportations y soient destinées ; la dépendance du Canada envers l’économie étatsunienne s’est accrue ; le commerce interprovincial et vers le reste du monde a diminué ; les pertes de contrôle d’entreprises au profit de sociétés étrangères se sont multipliées ; etc. Quant aux indicateurs de développement social et de qualité de vie, ils se sont fortement dégradés, comme nous le verrons dans le reste de ce dossier.
On se souviendra que la principale carotte brandie au peuple pour faire adopter l’ALÉNA était la création d’emplois et que son mythe fondateur était celui toujours invoqué par les dirigeants : « Ça va générer de la richesse ». Évidemment, cette richesse sera magiquement redistribuée à la population par la main généreuse, quoi qu’invisible, du marché. Deux promesses qui se révèlent aujourd’hui être deux mensonges, car on a observé que la création d’emplois à temps plein a diminué durant la période de l’ALÉNA comparativement à la période précédente, que les salaires ont diminué et que le taux de pauvreté a augmenté au Canada. Comme le ministre Peterson et ses collègues ne sont ni pauvres ni à la recherche d’emploi, il semble qu’il faudra parler et manifester plus fort afin de pallier à leur mémoire sélective, pour être entendus et obtenir enfin du gouvernement des bilans sociaux crédibles du libre-échange.