Voir ou revoir Télé-Québec

No 07 - déc. 2004 / jan. 2005

La télévision publique sera-t-elle sacrifiée sur l’autel de la mondialisation ?

Voir ou revoir Télé-Québec

par Nicole de Sève

Nicole de Sève

Le dernier budget du ministre des Finances a, encore une fois, frappé de plein fouet Télé-Québec. La chaîne publique devra absorber une nouvelle diminution du financement public de 8 %, soit près de cinq millions de dollars, pour l’année 2004-2005. Cette nouvelle compression a eu comme effet de mettre fin à l’engagement de dizaines de contractuels en juin dernier. Par contre, le même budget a accordé dix millions de dollars en crédits aux producteurs privés. C’est sur cette trame de fond que le gouvernement du Québec a mis sur pied un Groupe de travail chargé de l’examen de Télé-Québec. Depuis la création de la Société en 1968, son existence a été remise en cause lors de divers examens périodiques et, chaque fois, la nécessité de maintenir une télévision publique québécoise s’est imposée.

Lors de l’annonce de la création du groupe de travail, le 17 juin 2004, la ministre de la Culture et des Communications définissait ainsi le mandat général du groupe : « … s’assurer de l’adéquation des activités de Télé-Québec avec sa mission éducative et culturelle, en passant en revue l’ensemble de ses processus d’affaires et de ses modes d’organisation. Dans le nouveau contexte créé par l’évolution technique, réglementaire et économique de l’environnement télévisuel, cette réflexion prendra notamment en compte le rôle de Télé-Québec comme promoteur de l’identité québécoise, reflet des réalités régionales à l’écran et des communautés culturelles, ainsi que sa capacité d’établir des partenariats public-privé (1). »

Si l’avenir de Télé-Québec n’est pas remis en cause, l’allusion aux partenariats public-privé (PPP) ne fournit aucune garantie, loin s’en faut, quant au maintien du caractère public de la société d’État.

L’avenir de Télé-Québec

Parmi les axes d’étude du groupe de travail, la question du financement occupe une place importante. Les éléments soumis à l’évaluation ont de quoi inquiéter, d’autant plus que les propositions doivent se situer dans l’actuel cadre budgétaire. Il y a lieu de se demander si ce groupe de travail n’a pas pour mandat de mettre en œuvre la « modernisation de l’État » (ou réingénierie) commandée par la présidente du Conseil du trésor.

La télévision publique est effectivement dans la mire du Conseil du trésor pour la deuxième vague de « réingénierie », comme le signale le Plan de modernisation 2004-2007, où se dessinent les véritables intentions gouvernementales : « Le gouvernement souhaite proposer de nouvelles façons de faire, permettant à la télévision publique québécoise de jouer son rôle éducatif et culturel. Télé-Québec doit mieux circonscrire son rôle dans la promotion de l’identité du Québec et dans le développement des régions, tout en augmentant sa capacité à développer des partenariats public-privé (2). »

Protéger le bien public Télé-Québec

Au fil des années, les gouvernements ont abdiqué sur le caractère public de Télé-Québec et ont utilisé le prétexte de la crise des finances publiques pour imposer des compressions budgétaires successives. Ces dernières ont poussé Télé-Québec à privatiser sa production d’émissions tout en restant un diffuseur public.

Avant 1996, Télé-Québec ne confiait pas plus de 20 % de ses activités de production au secteur privé. Elle confie maintenant près de 80 % de sa production d’émissions à des producteurs québécois indépendants, ce qui est sans comparaison avec les autres télédiffuseurs (3). Entre 1999 et 2004, les montants versés à ces différentes catégories de créateurs et de techniciens à l’initiative de Télé-Québec représentent des dizaines de millions de dollars. Or, la concurrence accrue existant sur le marché depuis quelques années à la suite, notamment, de l’arrivée de nombreuses chaînes spécialisées, exerce des pressions à la hausse sur les coûts de production des émissions produites par sous-traitance. « Cette hausse des coûts de production, dans un contexte de plafonnement de la subvention de base récurrente de Télé-Québec ne [fait] que rendre plus difficile la gestion de la société (4) ».

Le scénario est classique : le gouvernement crée une rareté des ressources en sabrant dans les budgets, puis constate les dégâts… et enfin propose de refiler le tout au privé pour régler les problèmes qu’il a lui-même créés ! Pour sortir de cette impasse, il faut mettre un frein à la privatisation de la production des émissions de Télé-Québec.

Au lieu de lorgner vers les partenariats public-privé (PPP) – dans le droit fil des accords commerciaux internationaux, notamment l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) –, le gouvernement du Québec aurait tout intérêt à s’engager dans la promotion de la diversité culturelle, notamment à l’heure où se mènent d’importants débats en vue d’arriver à la signature d’une Convention sur la diversité culturelle à l’UNESCO [voir l’entrevue avec Louise Beaudoin, pp. 28-29].

L’autre télévision : la vitrine du Québec

L’équipe de Télé-Québec veut réaliser et produire à l’interne des émissions dont les formules sont originales et audacieuses. Télé-Québec a toujours été reconnue pour son originalité dans la forme comme dans les contenus. Des innovations de ce genre peuvent difficilement être confiées à des entreprises dont l’objectif est le profit. Ses formules ont souvent été copiées, imitées et ont ainsi contribué de manière notable au développement de la télévision québécoise. Cette « Autre télévision » doit être développée, encouragée et stimulée. Ses artisans et artisanes doivent sentir que le gouvernement du Québec adhère à ce projet.

Un gouvernement qui, au lieu de provoquer des remises en questions oiseuses, s’attellerait à la tâche de consolider une télévision publique pourrait, par exemple, accentuer le mandat culturel de Télé-Québec par l’introduction de règles plaçant la télévision publique à l’abri des compressions financières et étudier la possibilité d’accentuer les partenariats avec les chaînes de télévision publiques francophones, les ministères québécois et les communautés autochtones. Il pourrait également accentuer le mandat éducatif de Télé-Québec, maintenir et accentuer la production d’émissions jeunesse et de séries d’émissions ayant pour objectifs l’éducation populaire et la formation continue et développer des partenariats institutionnels avec les établissements d’enseignement et des instituts de recherche en vue de présenter des programmes d’éducation.

Comparer Télé-Québec à la télévision privée est injuste, car cette dernière possède des ressources publicitaires démesurées. Il faut modifier l’approche et chercher quels moyens peuvent être mis en œuvre afin de préserver ce bien collectif qu’est notre télévision publique. Il faut du courage pour résister au discours ambiant du « changement » qui nous ramène des années en arrière. Il faut du courage pour défendre d’une manière sans équivoque la télévision publique. Espérons que le Groupe de travail aura ce courage.

Thèmes de recherche Arts et culture, Politique québécoise
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