Dossier : Les affres de l’ALÉNA

Quel avenir pour l’ALÉNA ?

par Marie-Hélène Côté

Marie-Hélène Côté

ALÉNA plus

Si l’ALÉNA n’apparaît pas comme un succès retentissant aux yeux de tous et toutes, il se trouve des gens qui en redemandent et réclament une intégration plus en profondeur afin d’éliminer les dernières entraves au libre échange en Amérique du Nord. Ce sont les mêmes élites corporatistes et groupes de pression du milieu des affaires qui étaient à l’origine de l’ALÉ et de l’ALÉNA. Le Conseil canadien des chefs d’entreprise a développé L’initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité, tandis que l’Institut C.D. Howe propose « la grande idée pour une intégration en profondeur ». Ces projets avancent une série d’idées et de mesures visant à relier la prospérité économique à la sécurité pour passer à un autre degré d’intégration continentale avec les États-Unis en guerre « contre le terrorisme ». Parmi les idées qui sont déjà colportées par les lobbyistes, on retrouve : un périmètre commun de sécurité et une participation au programme de défense antimissiles ; la coordination des activités de renseignements et une carte d’identité nord-américaine ; une union douanière et une monnaie commune avec les États-Unis ; l’harmonisation des politiques d’immigration et des règlementations en général ; la perte de contrôle sur nos ressources naturelles et énergétiques à la faveur de « stratégies continentales » (c’est Ronald Reagan qui serait content !).

Quelles sont les chances de se voir imposer ces merveilleuses idées ? Selon Jean-Yves Lefort, chargé de campagne du commerce et de l’investissement au Conseil des Canadiens, « L’intégration en profondeur se réalise déjà à travers des projets administratifs et des projets de lois. Aucun gouvernement ne veut plus parler de grands projets ouvertement, alors ça se fait par des voies administratives, souvent sans même qu’on s’en rende compte. ». Dans ce contexte, il estime que les citoyens peuvent avoir une emprise sur ces politiques lorsqu’elles s’appliquent au niveau local, lorsque citoyens et autorités constatent leur perte de pouvoir de décision et d’autonomie. Il donne l’exemple de mobilisations citoyennes et d’actions directes menées au Québec dans le but de faire annuler certains contrats et partenariats public-privé (PPP).

ALÉNA à visage humain

« Nous ne sommes pas contre le commerce. Nous sommes contre le fait que tout entre maintenant dans le commerce, qu’il n’y ait pas de limites et que le commerce subjugue tout » affirme Jean-Yves Lefort. Par conséquent, le Conseil des Canadiens travaille en collaboration avec le Bloc québécois et le NPD sur un moratoire au chapitre 11 et demande au gouvernement fédéral une étude d’impacts sur l’environnement immédiat. Il invite les gens à faire savoir au ministre Peterson par divers moyens qu’il faut retirer les droits de poursuite des entreprises envers les gouvernements, qu’il faut éliminer l’article 11 de l’ALÉNA. Dans la même veine, le Conseil des Canadiens et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ont entrepris une démarche de contestation constitutionnelle devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Cette requête visant à ce que les procédures de l’ALÉNA relatives aux différends impliquant un investisseur et un État soient déclarées inconstitutionnelles devrait être entendue au début de l’année 2005 (voir le site www.canadians.org pour plus de détails).

Pour sa part, le RQIC (Réseau québécois sur l’intégration continentale), en organisant le colloque « Les 10 ans de l’ALÉNA : bilan social et perspectives », a permis à quelque 400 militants, intellectuels et représentants d’organismes d’échanger sur les impacts de l’ALÉNA au Québec, au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Ils et elles ont dressé un bilan social détaillé de cet accord, en se penchant sur 7 secteurs d’activités : le travail, l’environnement, l’agriculture, les droits humains, les services publics, les communications et l’information et les femmes. Sous tous ces angles, l’ALÉNA présente un bilan social négatif. Ainsi, les participants ont exigé de leurs gouvernements qu’ils amorcent un processus de réévaluation de l’ALÉNA et de leurs politiques commerciales internationales au cours duquel ils dresseront un bilan exhaustif des effets de l’ALÉNA, en incluant une analyse de genre et en invitant la société civile à y participer. Il a également été exigé que les accords commerciaux respectent la primauté des droits individuels et collectifs sur le commerce, l’égalité entre les hommes et les femmes, la préservation du pouvoir de l’État de légiférer pour promouvoir le bien commun, l’intérêt public, la démocratie et le respect de l’environnement ainsi qu’un processus de négociation et d’adoption transparent et démocratique. Plusieurs recommandations et propositions, générales et thématiques, ont émergé de ce colloque, dont la création d’un espace commun aux groupes d’Amérique du Nord où ils pourraient coordonner des stratégies communes et mettre de l’avant des alternatives visant à réformer l’ALÉNA actuel et ainsi limiter, voire éliminer, les effets néfastes de cet accord commercial (voir www.rqic.alternatives.ca).

Sortir de l’ALÉNA

Dix ans après son entrée en vigueur, les grandes mobilisations autour de l’ALÉNA visent surtout à réformer l’accord plutôt qu’à l’abolir (ce qui est déjà une tâche immense), et ce, malgré l’accumulation de petites victoires des luttes altermondialistes, comme dans le cas de l’AMI et de la ZLÉA. Le Canada pourrait se retirer de l’ALÉNA, bien que la « démocratie » de l’ALÉNA coûte cher (le processus prévu est très long et truffé d’embûches), mais les gens qui pourraient prendre cette décision n’en ont pas l’intérêt.

Il faut malheureusement en convenir, pour le moment, les luttes les plus « radicales » visent plutôt à exclure certaines marchandises (comme les produits agricoles et l’eau) de cet accord. Celles et ceux qui s’opposent à l’ALÉNA, ou au commerce international tel que pratiqué dans un système capitaliste néolibéral pourront se référer au dossier « Sortir du capitalisme », dans le numéro 6 d’À bâbord !, pour trouver réconfort et inspiration.

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