Fusion QS et ON. Une avancée pour la gauche indépendantiste ?

No 73 - février / mars 2018

Politique québécoise

Fusion QS et ON. Une avancée pour la gauche indépendantiste ?

Paul Cliche

En ratifiant massivement à leurs congrès respectifs l’entente de principe de fusion, Québec solidaire et Option nationale ont profité de la conjoncture pour accroître le rapport de force de la gauche indépendantiste sur l’échiquier politique québécois. Cette fusion a le potentiel de redresser la dynamique qui tire inexorablement le mouvement souverainiste vers le bas depuis le virage à droite du Parti québécois, il y a deux décennies.

L’unification de QS et ON constitue aussi une étape importante dans le long processus de rassemblement de la gauche indépendantiste, qui a le potentiel d’offrir une véritable alternative aux partis néo- libéraux. Le parti unifié deviendra en effet le fer de lance du changement social et de l’indépendantisme au Québec. Il insufflera un nouvel élan à la lutte pour l’émancipation sociale et la libération nationale. Plusieurs espèrent que cette fusion permettra d’atteindre la masse critique nécessaire pour faire basculer le rapport de force politique en faveur de la gauche indépendantiste. Mais rien n’est encore assuré. Les prochaines élections devraient nous permettre d’y voir plus clair.

Un parti processus

Depuis plus de deux décennies, l’histoire de la gauche indépendantiste – jadis morcelée en de minuscules groupes fratricides – en est une d’union, de coalition, de vagues successives de rassemblement. Rappelons que QS est ce qu’on appelle un parti processus dont les racines remontent à 1995, alors que le NPD-Québec est devenu le Parti de la démocratie socialiste (PDS) qui a aussitôt embrassé l’indépendance. Cette étape initiale a été suivie par la fondation, en 1998, du Rassemblement pour l’alternative politique (RAP) composé de militant·e·s de gauche auquel s’est joint un fort contingent de militant·e·s péquistes déçu·e·s par la politique du déficit zéro du gouvernement Bouchard et de son virage vers le néolibéralisme. Dans ses statuts, le nouveau mouvement d’action politique – qui se transformera en parti plus tard – affirmait que l’« émancipation sociale et la libération nationale sont indissociables ».

En 2001, lors d’une élection partielle dans Mercier, la gauche s’est ralliée pour la première fois autour d’une candidature unique qui a récolté près de 25% des votes. Donnant naissance à ce qu’on a appelé « l’esprit de Mercier », ce succès s’est traduit l’année suivante par la fondation de l’Union des forces progressistes (UFP), née d’une fusion entre le RAP, le PDS et le Parti communiste du Québec. C’est dans ce nouveau parti qu’on a vu pour la première fois – ce qui aurait été impensable quelques années auparavant – des sociaux-démocrates, des socialistes, des chrétien·ne·s progressistes et des marxistes militer ensemble de façon harmonieuse. En 2006, la fusion entre l’UFP et le mouvement Option citoyenne, composé en grande partie de militantes féministes et de membres du milieu communautaire, a donné naissance à Québec solidaire, une formation que son programme définit comme progressiste, indépendantiste, écologiste, féministe et altermondialiste.

La formation politique est donc l’héritière d’un mouvement qui tente de rassembler et d’intégrer les forces politiques composant les nombreuses tendances et sensibilités idéologiques du spectre progressiste. Il s’agit d’un phénomène politique unique en Amérique du Nord.

Un effet synergique

La démarche de fusion entre QS et ON s’est amorcée lors du congrès que les solidaires ont tenu en mai 2017. Après avoir rejeté massivement la proposition du Parti québécois de conclure des pactes électoraux en vue des prochaines élections, les congressistes ont mandaté de façon claire la direction du parti pour entreprendre des pourparlers avec Option nationale en vue d’une fusion. Ceux-ci se sont déroulés durant l’été 2017 et ont abouti, début octobre, à une entente de principe devant être ratifiée par les congrès des deux formations. Selon ses termes, l’entente visait « à permettre à tous les indépendantistes progressistes de militer au sein d’un parti unifié qui constituera le fer de lance de la promotion de l’indépendance du Québec ». L’union s’est effectuée sur la base du programme, des valeurs fondatrices (démocratie, indépendantisme, écologisme, féminisme, altermondialisme) et des statuts de QS. Le parti unifié gardera aussi le nom de Québec solidaire. Option nationale n’a pas disparu pour autant. Il est devenu un collectif politique qui est appelé à jouer un rôle important au sein de ce parti unifié. Comme l’a déclaré Gabriel Nadeau-Dubois, cette fusion n’est pas qu’une addition de votes, elle est aussi une addition de forces. Cette synergie fera certes sentir ses effets lors des prochaines élections.
L’opération a toutefois laissé des cicatrices. Elles sont en bonne partie dues au fait que cette fusion s’est effectuée au pas de course. Un processus semblable nécessite normalement beaucoup plus de temps afin d’assurer l’adhésion pleine et entière des membres des deux partis, comme cela avait été le cas lors de la fusion UFP-Option citoyenne. Mais l’échéancier électoral a précipité les choses : le projet a été ficelé d’en haut, sans que la base ait pu suivre les avancées des négociations afin d’en comprendre les tenants et aboutissants ; ce qui n’a pas permis aux assemblées locales d’être pleinement éclairées. Le fait que l’entente était globale, à prendre ou à laisser, sans possibilité d’amendement, en a aussi fait tiquer plusieurs. Mais l’importance de l’enjeu de la fusion et sa signification politique ont eu raison de ces réticences.

L’entente ratifiée prévoit notamment qu’un gouvernement solidaire adoptera une démarche claire de rupture avec l’État canadien en appliquant les mesures prévues à son programme « qu’elles soient compatibles ou non avec le cadre constitutionnel canadien ». Elle ajoute que, dans ses communications publiques, le parti unifié « placera le régime colonial canadien au même niveau d’importance que le néolibéralisme ». Certains craignent qu’en mettant aussi résolument le cap sur l’indépendance, cette dernière prévale désormais sur les valeurs sociales de QS et devienne une fin en soi plutôt qu’un moyen pour réaliser notre projet de société. Mais j’ai bon espoir qu’un équilibre s’établira entre ces deux pôles, car QS possède de l’expérience en matière d’intégration de courants idéologiques diversifiés.

Une constituante à mandat indépendantiste

Avant leur fusion, QS et ON partageaient grosso modo la même démarche d’accession à l’indépendance, soit la mise sur pied d’une assemblée constituante (AC) dont les travaux se concluront par la tenue d’un référendum. Toutefois, en acceptant l’entente, Québec solidaire s’est aligné sur la version d’ON modifiant du tout au tout le mandat de l’AC. Dorénavant, elle devra élaborer « le projet de constitution d’un Québec indépendant », ce qu’on appelle communément un « mandat fermé ».

Du côté de QS, il s’est agi du seul point d’achoppement programmatique des négociations. Jusqu’ici, le programme du parti prévoyait que l’AC se verrait confier un « mandat ouvert » qui n’excluait pas le maintien du Québec dans le Canada. C’est à son congrès de 2009 que QS a défini sa stratégie d’accession à l’indépendance. Reprenant la formule innovatrice de l’UFP, il la fait reposer sur le processus d’une AC qui tiendrait une vaste consultation populaire préalable à la tenue d’un référendum. La modalité du mandat ouvert a été contestée par la suite et la question a fait l’objet de nouveaux débats intenses à l’occasion du congrès de 2016. La position initiale a alors été maintenue par une majorité de 55%, principalement pour ne pas rebuter les 20% d’indécis et de fédéralistes « mous » susceptibles de voter pour le Oui lors du référendum.

L’art de faire les bons compromis

On estime que, lors des assises de décembre dernier, plus de 60% des congressistes qui avaient appuyé le mandat ouvert en 2016 se sont rangés du côté du mandat fermé. Plusieurs ont consenti à ce compromis pour ne pas bloquer la fusion. C’est mon cas, comme c’est celui des député·e·s Manon Massé et Amir Khadir. De toute façon, le débat reviendra plus tard dans un contexte différent. Tant que le processus d’accession à l’indépendance ne sera pas formellement engagé, la question de la constituante demeurera, en effet, un sujet de discussion qui épousera l’évolution de la conjoncture politique.

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