Éditorial du numéro 93
La CAQ : le grand paradoxe
À la veille des élections, le collectif À Bâbord ! ne pouvait ignorer les quatre années du premier gouvernement de la CAQ. Le bilan de ces dernières nous confronte à un étrange paradoxe : comment un gouvernement aussi médiocre réussit-il à être si populaire ? Comment expliquer que les sondages demeurent toujours à son avantage alors que ses réalisations sont si restreintes et si contestables ?
À bien y regarder, le bilan de la CAQ est affligeant. Sa gestion de la santé s’avère déplorable, avec des résultats parmi les pires en Occident concernant la première vague de la COVID-19 et dans son incapacité, entre autres, à assurer à la population ne serait-ce que des médecins de famille en nombre suffisant. À l’ère de l’urgence climatique, ce parti retarde le plus possible l’imposition de mesures efficaces contre le réchauffement climatique. Son implication pour protéger l’environnement est minimaliste, malgré les appels d’une grande partie de la population à en faire davantage. La CAQ ignore le problème du manque de logements accessibles ou abordables, et refuse d’utiliser le mot « crise » pour en parler. Elle a remis aux calendes grecques sa promesse d’établir un mode de scrutin proportionnel. Elle a attaqué et affaibli les lois du travail dont le saccage du régime de santé et de sécurité du travail. De la petite enfance à l’université, la CAQ n’a eu aucun plan sérieux pour l’éducation : elle laisse derrière elle des listes d’attente historiques dans les services de garde, un parc d’écoles défraîchi, un réseau d’enseignement secondaire plus inéquitable que jamais, une structure scolaire opacifiée, un taux de décrochage qui repart à la hausse et un réseau postsecondaire sans projet. La CAQ s’occupe de la protection de la langue française de façon manipulatrice et superficielle. Elle s’est montrée frileuse, peu compatissante et calculatrice en matière d’immigration. Elle refuse de reconnaître, voire de discuter du racisme systémique, mais a favorisé le recours au programme des travailleur·euses étranger·ères temporaires, véritable vecteur d’exploitation digne du XIXe siècle. Son attitude est trop souvent celle d’un boys club, où des femmes ministres ont tout simplement été poussées vers la sortie, tandis que leurs collègues masculins ont échappé à ce sort, malgré leur incurie, et où des opposantes politiques sont ridiculisées (Dominique Anglade se faisant appeler « cette madame »). Et bien sûr, n’oublions pas sa législation phare, l’odieuse loi 21, qui, loin de renforcer la laïcité, a aggravé la marginalisation des femmes musulmanes sous prétexte qu’« au Québec, c’est comme ça qu’on vit ».
Le seul vrai grand projet de la CAQ est son troisième lien à Québec, un tunnel aussi pharaonique que dommageable pour l’environnement et outrageusement coûteux, et auquel ses candidat·es aux élections doivent absolument prêter serment d’allégeance. Son manque de vision correspond à l’image de son chef, François Legault, dont l’apparente bonhommie et les discours simplistes révèlent à quel point il n’est que véritablement sensible aux besoins des entrepreneurs de tout acabit et à sa performance dans les sondages.
La grande popularité de ce parti se maintient envers et malgré tout. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce mystère. Parmi celles-ci, la chute des deux partis de l’alternance du pouvoir depuis 1970, le Parti libéral et le Parti québécois, a laissé une grande place à ce parti de droite aux allures faussement modérées, faisant le compromis de ce léger déplacement pour prendre le pouvoir. Avec l’écroulement de la confrontation entre fédéralistes et souverainistes, la CAQ joue la fibre nationaliste, mais sans se lancer dans un projet aussi périlleux que l’indépendance du Québec. À la place, elle s’appuie sur la fierté d’être québécois·e par l’entremise d’un discours identitaire de plus en plus sclérosé et grossier.
Cette pierre angulaire idéologique doit nous inquiéter. Le discours de la CAQ dissimule peut-être mal ses mauvaises réalisations, mais il catalyse le chauvinisme et la réaction, rendant de plus en plus difficile le travail des forces progressistes. Notre défi sera de constamment remettre à l’avant-plan le bilan négatif de ce gouvernement et de révéler ce qu’il cache : un provincialisme grossier à la solde du capital. Après le calme forcé par les confinements covidiens, il faut au plus vite retrouver l’énergie pour tenir à l’œil et dresser un front contre un parti dont le chef a dit préférer s’associer à Maurice Duplessis qu’aux wokes.