« Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! »

No 88 - été 2021

Sandrine Ricci

« Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! »

Viviane Caron

Sandrine Ricci, « Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! » Rwanda, rapports de sexe et génocide des Tutsi, M Éditeur, 2019, 216 pages.

À travers son regard de sociologue féministe et spécialiste des violences faites aux femmes, Sandrine Ricci se penche sur la question du génocide des Tutsi de 1994. Elle aborde ce moment de l’histoire du Rwanda du point de vue des femmes survivantes. Afin de mener sa recherche, Ricci a recueilli le témoignage de 23 femmes, dont certaines vivent toujours au Rwanda alors que d’autres ont quitté ce pays.

Pour débuter l’ouvrage, l’autrice explique le contexte qui a mené à la séparation du peuple rwandais en deux ethnies différenciées : les Hutus et les Tutsis. Ainsi, on en apprend sur les origines complexes de la division du peuple rwandais depuis la colonisation européenne (allemande, puis belge) à la fin du 19e siècle, qui a lentement mené à la scission entre ces deux groupes majoritaires au pays.

On passe ensuite aux témoignages percutants des survivantes. Ces récits poignants permettent de se plonger dans les horreurs vécues par ces femmes. D’investiguer la violence faite aux femmes permet de reconnaitre l’importance qu’a eu leur traitement différencié, lié à leur sexe, dans le contexte de ce génocide. La liste des violences vécues est longue. Certaines ont été violées par des dizaines, voire des centaines d’hommes, parfois devant leur famille. D’autres ont vu leur famille entière exécutée ou violée devant leurs yeux. La transmission intentionnelle du VIH, afin de laisser les femmes mourir à petit feu dans de grandes souffrances, est un autre exemple du sort qui leur a été réservé. Certaines violences étaient reliées à la construction raciale et aux mythes entourant les femmes tutsies. Elles étaient vues comme des ensorceleuses dont la « matrice » serait différente de celle des autres femmes.

À la suite de ces passages difficiles, Ricci aborde la question de la réconciliation des peuples depuis la fin de cette guerre, loin d’être simple à résoudre. Plusieurs génocidaires ont été emprisonnés et ont dû comparaitre en justice pour les crimes commis. Des femmes ont témoigné, malgré ce qu’implique la dénonciation de tels actes, comme le fait de revoir leur bourreau et de se remémorer les événements. Tout au long de ces procès, d’autres femmes ont été tuées ou violentées. La libération de milliers d’hommes a été dénoncée par les survivantes à maintes reprises. La cohabitation de ces dernières avec leurs bourreaux, encore à ce jour, est un enjeu au Rwanda.

Dans cet ouvrage, les survivantes partagent leur vécu, dans un processus de guérison qu’elles poursuivent depuis plusieurs années. Leur entière confiance envers l’autrice pour la transmission de leur histoire, qui est aussi celle de leur pays natal, est remarquable. Sandrine Ricci nous permet de mieux comprendre le processus qui a mené à cet épisode sanglant de l’histoire du Rwanda, et ce, en donnant la parole aux femmes et en mettant de l’avant le sort particulier qui leur a été réservé tout au long de cette guerre.

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