Dossier : Mutations de l’univers

Les nouveaux médias

Promesses et périls

Simon Jodoin

Ce qu’on appelle les « nouveaux médias », ce ne sont pas tant des nouveaux outils ou encore une nouvelle manière de diffusion, rendus possibles par l’agencement de textes, photos et vidéos qui circulent via diverses plateformes sur le Web. Ces outils auraient très bien pu se développer sans que nous ayons à parler de nouveaux médias. Il aurait été simplement question d’extensions de la presse écrite, de la photo, de l’audio ou de la vidéo sur de nouvelles plateformes.

Si nous parlons désormais de « nouveaux médias », c’est que nous assistons à un changement de paradigme, nous parcourons des territoires médiatiques inexplorés, qui se distinguent de l’Ancien Monde, des « vieux médias ». Il s’agit de nouveaux lieux et de nouveaux espaces à investir. Un peu pompeusement, on pourrait dire que les nouveaux médias sont au monde de l’information ce que l’Amérique fut, à une certaine époque : un territoire vierge où, pour quelques téméraires, tout semblait possible.

C’est sur cette promesse que se sont constitués les nouveaux médias tels que nous les connaissons aujourd’hui. Vers la fin du siècle dernier, le réseau Internet laissait miroiter une foule de moyens permettant de contourner l’Ancien Monde médiatique. Ces nouveaux espaces ont été rendus possibles notamment par la création en commun de nouveaux logiciels, ce que j’appellerai le partage, mais aussi le piratage, qui consiste à briser les chaînes imposées par les empires de l’Ancien Monde. C’est ainsi que toute une cohorte de citoyens branchés a pu créer des vidéos, de l’audio, des photos afin de les mettre en ligne via des blogues ou des sites Internet, pour ériger, peu à peu, ce qu’on a appelé les nouveaux médias.

Ce faisant, les plus motivés des internautes participant à ce mouvement ont cru – et croient toujours – qu’ils participaient à un réseau de communication ouvert, transparent, plus authentique que les médias traditionnels qui, eux, étaient réputés fermés, hypocrites, opaques quand ils n’étaient pas tout bonnement soupçonnés de participer à une certaine forme d’occultation encouragée par les pouvoirs politiques et financiers.

C’est sur cette tension entre deux paradigmes que se fonde la distinction entre les anciens et les nouveaux médias : d’un côté la transparence et l’authenticité, de l’autre l’opacité et le mensonge. Les outils et les moyens de diffusion ont très peu à y voir. Un blogue ne contenant que du texte en Creative Common peut être un nouveau média, alors qu’une plateforme interactive d’un grand média corporatif contenant de la vidéo et de la photo peut être considérée comme un média traditionnel. Le nouveau média n’est nouveau que s’il s’inscrit dans la promesse de l’ouverture et de la transparence.

Empires virtuels, pouvoirs réels

Évidemment, il ne s’agit là que d’une promesse qui laisse aussi présager quelques périls. En mettant sur pied ce nouveau réseau, ceux qui ont participé à ce mouvement croyaient jouer un bon tour aux empires médiatiques. Enfin, croyaient-ils, l’information allait circuler librement et sans devoir subir les contraintes des grandes firmes de l’information. Cette sorte de foi médiatique culmine néanmoins depuis quelques années au profit d’immenses conglomérats qui ont assez peu de comptes à rendre à la diversité culturelle. Nous pouvons déjà identifier un duopole : Facebook et Google. À peu près tout ce qui circule comme contenu issu des nouveaux médias doit se soumettre aux règles de ces multinationales et s’adapter à leurs choix technologiques. Ces deux empires ont quelque chose en commun : ils ne créent aucun contenu ; ils se contentent d’être des contenants où convergent, à un moment ou à un autre, à peu près tous les contenus consultés sur le Web. Ils s’imposent même comme la mesure objective de la fréquentation, Google avec ses statistiques « analytics » et Facebook avec sa mesure du « like ». Ces deux empires sont devenus les adresses les plus fréquentées sur le Web, tuant ainsi tous les écosystèmes médiatiques et publicitaires locaux. Google à lui seul engrange plus de revenus publicitaires que toute la presse écrite aux États-Unis.

Voilà qui est pour le moins curieux ! En créant de nouveaux médias, en investissant un Nouveau Monde d’information libre, ouverte et transparente, ceux qui ont pris d’assaut le nouveau continent médiatique en tentant de contourner les empires traditionnels ont en fait travaillé à décimer les médias locaux garants d’une certaine diver­sité économique et culturelle. Car ce ne sont pas que les grands empires qui paient le gros prix de cette mutation. Ces derniers sauront bien y trouver leur compte. Ce sont les médias locaux et indépendants qui sont forcés à faire un choix : se fondre dans les règles imposées par les multinationales qui dictent les nouvelles règles ou tout bonnement mourir.

Tous les acteurs médiatiques locaux – et cela inclut les entreprises qui achètent de la publicité – devraient en prendre bonne note : c’est ensemble qu’ils devront travailler pour contrer, autant que faire se peut, le tsunami de la nouvelle donne médiatique. Si la promesse des nouveaux médias – qui annonçait un monde plus transparent – doit se rompre au profit de multinationales qui rasent purement et simplement les écosystèmes culturels, les forêts du Nouveau Monde seront bientôt semblables à un désert. Conserver et valoriser les structures médiatiques locales est ainsi le nouveau défi inhérent au développement des nouveaux médias qu’il faudra tenter de relever.

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