Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau
Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle
Jonathan Durand Folco et Jonathan Martineau, Le capital algorithmique. Accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle, Montréal, Écosociété, 2023.
Le capitalisme est entré dans une nouvelle phase, où les algorithmes jouent un rôle central. Tel est l’argument, décliné en vingt thèses, qui fonde le solide ouvrage Le capital algorithmique de Jonathan Durand Folco [1] et Jonathan Martineau.
Les auteurs s’inscrivent dans le sillage de la théorie critique pour chercher à surmonter les impasses du déterminisme technologique et de l’éthique libérale. Leur objectif est de « débusquer les relations de pouvoir » liées aux technologies algorithmiques et de « comprendre l’économie politique qui les produit ». Le capital algorithmique, expliquent-ils, est « une nouvelle façon de produire, d’échanger et d’accumuler de la valeur, via l’extraction massive de données, l’exploitation du travail digital et le développement accélérée de machines algorithmiques ». Durand Folco et Martineau entreprennent de démonter la mécanique de ce capitalisme : extraction de données et prédiction des comportements, reconfiguration du travail, colonisation de la sphère domestique, etc.
L’une des contributions les plus stimulantes du livre est de nous aider à cerner la transition du capitalisme numérique après l’effondrement du néolibéralisme avec la crise financière de 2007-2008. On passe alors graduellement de la rationalité néolibérale à la régulation algorithmique. Cette dernière se diffuse à de nombreuses sphères de la société (notamment l’État et la police), vient perturber la vie démocratique et rebrasse les cartes de l’ordre international. Loin d’être une solution à la pandémie de Covid-19 et à la crise climatique, le capital algorithmique a profité de la première pour étendre son emprise sur nos sociétés et contribue à la seconde par son empreinte écologique massive. Sur un plan plus microsociologique, les auteurs avancent que ce capital vient aussi façonner la subjectivité des individus et générer de nouvelles formes d’aliénation.
Durand Folco et Martineau nous enjoignent à développer les résistances à cette dynamique qui semble autrement vouée à engouffrer les sociétés, les écosystèmes et les individualités. De fait, les auteurs ont judicieusement consacré les dernières thèses de leur œuvre aux voies de sortie possibles. Leur apport le plus enrichissant à cet égard est celui de la sobriété technologique, ou en d’autres termes, le rétrécissement du monde numérique et la subordination des algorithmes aux choix démocratiques.
Si les visées des auteurs de Le capital algorithmique sont indéniablement ambitieuses, ceux-ci ont les moyens de leurs ambitions. Non seulement l’ouvrage rassemble une somme considérable de références, mais il les articule avec intelligence en un ensemble cohérent et fluide.
Par ailleurs, à vouloir embrasser aussi largement la logique économique, politique, sociale voire même subjective de notre époque à l’aide d’un seul cadre explicatif, il était presque inévitable que le livre comporte quelques angles morts. Si la théorie critique développée par l’École de Francfort permet de donner une radicalité et une envergure à l’analyse du capital algorithmique comme phénomène social total, cette approche tend aussi parfois à prêter à son objet une puissance lisse et insurmontable, alors que les individualités semblent pour leur part écrasées ou insignifiantes. Or, suite aux travaux marquants d’Adorno, Horkheimer et consorts dans la première moitié du 20e siècle, les cultural studies, la sociologie des usages et les subaltern studies ont montré que les subjectivités ne laissaient pas si facilement enfermer par l’infrastructure économique et les logiques de domination. Ne peut-on pas armer la critique en montrant que le Goliath de notre temps est souvent fait de promesses fumeuses et de résultats médiocres ? Les auteurs établissent à juste titre dès le début du livre que l’IA n’est pas intelligente. Si on souhaite cultiver les résistances, ne devrait-on pas déduire de cette prémisse que les machines ne pourront jamais vider complètement les sujets de leur agentivité ?
En dépit de ces réserves, Le capital algorithmique est indéniablement une contribution majeure et incontournable aux enjeux de notre époque. Il permet des avancées significatives dans la compréhension de la logique algorithmique et des transformations du capitalisme, ce qui en fait un outil précieux pour l’émancipation.
[1] En toute transparence, Durand Folco et moi avons collaboré dans le cadre de deux autres ouvrages.

























































































































