Fin de la vie privée au Canada ?

No 33 - février / mars 2010

À l’aube de la surveillance globale

Fin de la vie privée au Canada ?

Antoine Beaupré

Il y a présentement un mouvement très fort au sein du gouvernement conservateur, appuyé par « l’opposition » libérale, pour grandement resserrer les lois sur la surveillance téléphonique et informatique. Vous allez être surveillés par votre police locale, provinciale, fédérale ou étrangère, sans mandat et sans en être avertis. On embarque dans le bateau de la surveillance globale, style 1984.

Projet de surveillance globale et arbitraire

Le gouvernement canadien se prépare présentement à obliger les fournisseurs d’accès et de services Internet (Bell, Vidéotron, Google, Hotmail, etc.) à vous surveiller sans mandat et sans vous avertir. Ces fournisseurs seront forcés par la loi de garder trace de toutes les activités de leurs utilisateurs. Voici les informations que les fournisseurs seront forcés de fournir, par la loi, à tout officier de police, ou « personne autorisée » qui en fera la demande : nom, adresse, numéro de téléphone, adresse courriel, numéro de carte SIM de téléphone cellulaire.

Toutes ces informations devront être livrées à la « personne autorisée », sans qu’elle ait besoin de demander un mandat à un juge. Simplement sur demande, un « agent de la paix » qui donne son nom, son numéro de badge, son rang et l’organisation pour laquelle il travaille pourra librement obtenir ces informations. De la façon dont la loi est formulée, c’est la personne autorisée qui décide si sa demande est légitime ou non, et l’opérateur réseau est un simple intermédiaire qui doit donner diligemment vos informations privées.

Les fournisseurs de services devront conserver non seulement la trace des communications, mais également leur contenu, ce qui imposera une charge supplémentaire énorme aux réseaux et opérateurs déjà fragiles sur ce point. Il faut donc ici distinguer la trace des communications (qui, quand, où, comment ?) de leur contenu (quoi ?), qui devra faire l’objet d’un mandat. Dans les deux cas, le FAI pourrait être tenu de garder le silence et ne pas vous aviser que vos communications sont activement surveillées.

La loi indique aussi que le service d’espionnage dispensé par les fournisseurs de services sera payé en bonne et due forme. Cela assurera la complicité des gros fournisseurs, auxquels de tels services imposeront des frais supplémentaires et qui ont protesté par le passé lorsque de telles lois ont été proposées, par exemple en Europe.

Finalement, la loi indique que les communications sécurisées (par exemple avec votre banque) devront être conservées « en clair », c’est-à-dire qu’elles pourront être décryptées par le FAI. Cela pourrait rendre impossibles des services de communication sécurisés au Canada, car cela obligerait les fournisseurs à conserver et à communiquer aux autorités des versions décryptées des communications (loi C47, article 3.6). De la même façon, un juge pourra vous ordonner de divulguer vos mots de passe afin d’accéder à vos données confidentielles.

Comme travailleur opérant des réseaux et serveurs pour l’organisme communautaire Koumbit.org, qui dessert plusieurs groupes communautaires, devenir un espion du gouvernement va à l’encontre de mon code d’éthique. Cela remet en question mon travail, qui consiste à permettre aux gens de communiquer entre eux de façon confidentielle et de publier leurs idées en sécurité et non pas de participer à une surveillance globale étatique. Koumbit a déjà eu affaire à la justice dans des circonstances similaires et a dû collaborer avec la police, car la loi permet déjà à l’État d’opérer une surveillance au cas par cas et à la police de faire son travail.

L’excuse politique

Toute cette intrusion dans notre vie privée est faite au nom d’une démagogie de bas étage, sous le prétexte de la refonte de la loi sur le droit d’auteur et de la protection des enfants contre la pédophilie. « Il faut protéger les enfants attirés sur Internet », selon les Conservateurs, comme si l’Internet était intrinsèquement une menace à l’intégrité physique et psychologique des enfants. Les objectifs de ces projets de loi sont en réalité beaucoup plus pernicieux et malhonnêtes et les députés, peu au courant des enjeux techniques, collaborent tacitement ou, s’ils comprennent les enjeux, malicieusement.

L’objectif premier est de permettre au lobby du cinéma et de la musique (Warner Brothers, Sony BMG, EMI et Universal) de continuer à faire des profits record en poursuivant les utilisateurs qui téléchargent librement et légalement de la musique et des films sur Internet. On parle depuis longtemps de la refonte du droit d’auteur et la réponse sera le copinage habituel avec les lobbys corporatistes.

Le deuxième objectif est de pouvoir surveiller la population, ce qui exige pour l’instant d’ennuyeuses procédures légales. Ces procédures (obtenir un mandat pour une perquisition par exemple) constituent des protections fondamentales qui assurent une sécurité de base dans tout État de droit. L’État veut maintenant avoir un accès sans contraintes à nos communications. Cela mettra directement en danger les discours politiques divergents ou plus simplement toute personne qui tient encore à sa vie privée et à la confidentialité de ses communications. Cette menace aux mouvements sociaux et à ce qui reste de notre démocratie devra être combattue à tous les niveaux.

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